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24 / 04 / 2012 | 112 vues
Pascal Pavageau / Membre
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Face à la RSE : revendications, salaires, emplois

La responsabilité sociale des entreprises (RSE), concept encore marginal il y a une quinzaine d’années, connaît aujourd’hui une grande actualité dans le discours des entreprises. Il trouve un large écho dans l’enseignement des « sciences sociales ».
On ne compte plus les colloques et les travaux de recherche qui lui sont consacrés. La presse multiplie les articles de glorification des actions de RSE et des politiques menées par les entreprises en faveur de la « préservation de l’environnement et de la prise en compte du bien-être au travail ».

À ce jour, il n’existe pas de définition universelle de la RSE. Résultat : chacun y intègre ce qu’il veut et cela se traduit souvent par l’usage de nouvelles pratiques ou règles défavorables aux travailleurs et à leurs droits au niveau de l’entreprise.

C’est pourquoi il convient d’être très vigilant face à une notion qui se développe et à laquelle les responsables Force Ouvrière sont de plus en plus confrontés dans les branches, dans les entreprises, avec les acteurs institutionnels (Préfet, CESER etc.) et même au sein du secteur public (à l’État, dans les établissements hospitaliers et dans les collectivités territoriales). Il est d’autant plus important de défendre les droits et intérêts des travailleurs dans ce nouveau cadre imposé de la RSE que d’autres organisations syndicales de salariés cherchent à le promouvoir et à le mettre en place en lien avec le patronat.

Les origines de la RSE

Version renouvelée et modernisée des différentes formes de paternalisme économique du XIXème siècle, la RSE est un phénomène déjà ancien relevant à la fois de la logique du « bien commun » et de ce qu’on appelle aujourd’hui la « soft law ». Conçue dans les années 1950 aux États-Unis, la notion de RSE connaît un essor dans les années 1960 et se répand aux cours des années 1990, parallèlement au déclin du compromis fordiste. En France dans les années 1970, à la suite du rapport Sudreau sur la réforme de l’entreprise, le législateur a encouragé les pratiques de management participatif. C’est lors du sommet européen de Lisbonne (mars 2000) que le Conseil a inscrit la RSE dans les priorités de l’Union.

En 2001, le livre vert de l’Union européenne a défini la RSE comme « l’intégration sur une base volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». Dans le cadre de la RSE, les entreprises adoptent donc un comportement qui n’est pas encadré par les obligations légales auxquelles elles sont soumises.

La formulation du concept a elle-même évolué. En France, le ministère chargé de l’Écologie préconise désormais l’emploi de la terminologie de « responsabilité sociétale des entreprises » plutôt que de « responsabilité sociale des entreprises ». Certains évoquent aussi une « responsabilité sociale et environnementale » des entreprises.

La déclinaison pratique du discours RSE a d’abord été réservée aux grandes firmes multinationales. Elle s’est ensuite étendue progressivement aux entreprises, quelle que soit leur taille souvent à la suite d’exigences des donneurs d’ordre qui veulent :

  • soit s’assurer du respect de principes sociaux et environnementaux tout le long de la chaîne de production (sous-traitance, notamment dans les pays où les droits fondamentaux assurant la protection sociale des travailleurs et de l’environnement sont inexistants ou insuffisants) ;
  • soit utiliser la RSE pour, au contraire, imposer des restructurations aux entreprises sous-traitantes afin de faire baisser leurs coûts de production.

Encore une fois, l’absence d’une définition unique et d’un cadre juridique fait varier les pratiques et l’application concrète du concept.

 

Plusieurs mouvements de fond expliquent la montée en puissance de la RSE.

« Nouveau capitalisme »


Le concept de RSE se développe dans le contexte d’un « nouveau capitalisme » fondé sur les nouvelles technologies, la mondialisation de l’économie, l’internationalisation des entreprises, le développement de la finance internationale et des mouvements internationaux des capitaux. Ce « nouveau capitalisme » fragilise les mécanismes de régulation institutionnels constitués en réponse à la crise des années 1930 dans le cadre d’un capitalisme fordiste.

Dans les années 1980, le renouveau des thèses néolibérales, favorisé par la « révolution conservatrice » lancée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, remet en cause l’intervention publique et l’État social (coûteux, bureaucratique et impuissant à résoudre les crises selon ses détracteurs ultralibéraux) et valorise le rôle de l’entreprise dans la « production de richesses et du bien-être général ».

Toutefois, les pollutions, les violations des droits sociaux (internationaux ou bien nationaux), les scandales financiers, l’éclatement de différentes bulles financières spéculatives créent une prise de conscience de l’irresponsabilité écologique et sociale des entreprises d’une part et de l’absence d’une régulation efficace des grandes firmes transnationales d’autre part. Des critiques adressées à un système dévoyé, fondé sur le laisser-faire sans contrôle, se font de plus en plus nombreuses. Parallèlement, on assiste dans l’opinion à l’apparition de nouvelles préoccupations environnementales suscitées par le réchauffement climatique, la dégradation des écosystèmes.

Propagée alors par des ONG environnementales, l’idée se répand que l’entreprise n’a plus pour seule finalité la création d’un profit et la satisfaction de ses actionnaires mais qu’elle doit agir de « manière responsable » c’est-à-dire solidairement avec les autres « parties prenantes » (salariés, fournisseurs, sous-traitants, clients...) et qu’elle doit « se préoccuper de la situation de l’emploi, de la discrimination, de l’exclusion sociale, du développement harmonieux des territoires, de la promotion des arts et de la culture ».

La notion de responsabilité sociale émerge donc de la rencontre entre l’idée de moraliser l’activité des multinationales (« le profit, mais pas à n’importe quel prix ! ») et le concept de développement durable qui sera consacré au sommet de la terre de Rio en 1992.

Ainsi, interpellées et mises sous pression, les multinationales ont compris qu’elles devaient modifier leur image de firmes prédatrices. Or, elles ne veulent pas de réglementation contraignante, de normes sur leur responsabilité.

Car c’est bien là, un tournant majeur : alors que les dérives constatées au niveau des entreprises sont dues à la dérèglementation et à la dérégulation imposées par le marché libéralisé, la réponse n’est pas de revenir à un cadre règlementé et à des contrôles mais de permettre aux entreprises de « s’autoréguler » et de « s’autocontrôler » en justifiant leurs pratiques au sein d’un affichage de RSE.

Dans les années 1970 déjà, un certain nombre d’institutions comme l’OIT, l’ONU ou l’OCDE pressées d’agir par les organisations syndicales de salariés avait déjà cherché à soumettre l’activité des multinationales à une réglementation et à se conformer aux conventions et normes de l’OIT, aux législations sociales et fiscales nationales de chaque État. Sans succès.

Lors du sommet mondial du développement durable de Johannesburg en septembre 2002, la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a tenté, une nouvelle fois d’encadrer l’activité des entreprises transnationales. Par l’intermédiaire de la Chambre de commerce internationale (CCI) et l’Organisation internationales des employeurs (OIE), les multinationales ont refusé le projet de convention internationale proposé. Par communiqué, elles ont expliqué que « les États sont des sujets de droit international, pas les entreprises ».

Les multinationales ont donc dans un premier temps cherché à s’opposer à l’instauration de normes qu’elles considèrent comme une attaque contre les principes mêmes du marché et de la libre entreprise. Cela étant, les campagnes d’opinion se sont multipliées. Or, les managers savent que la construction de la notoriété d’une marque, de la réputation d’une entreprise demande du temps, et ils ont conscience qu’elles peuvent être faciles à ruiner à la suite d’év"nements ou de rumeurs.

À cet égard, de nombreuses organisations ont montré qu’elles savent très bien jouer des médias pour attirer l’attention et provoquer l’indignation de l’opinion publique. Les firmes ont donc compris qu’elles étaient très vulnérables à la publication d’informations pouvant porter atteinte à leur réputation et à la confiance accordée par les consommateurs, les clients, les fournisseurs, les investisseurs.

Aussi, les grandes entreprises ont accepté d’intégrer dans leur stratégie de communication les attentes de la société. La thèse de Milton Friedman pour qui l’entreprise n’a de finalité que la maximisation du profit et de responsabilité que devant ses actionnaires semble alors perdre de sa pertinence. Semble seulement car la RSE va finalement leur permettre de poursuivre dans ce sens tout en s’habillant d’un semblant de bonne conscience.

L’éthique, le comportement citoyen, la responsabilité sociétale vont alors devenir un élément fort de leur de communication pour prévenir les campagnes de dénonciations et les menaces de boycott. En s’autoproclamant comme « économiquement viable, socialement responsable et environnementalement saine », l’entreprise va chercher à se créer une image positive, attrayante, vertueuse, de nature à créer un capital de sympathie.

En promouvant la démarche RSE, les multinationales vont tenter de cacher les effets négatifs économique (scandales financiers), sociaux (sous-traitance pressurisée, travail des enfants, modération salariale, dégradation des conditions de travail, mise en concurrence des salariés, atteintes aux libertés syndicales, plans sociaux) ou environnementaux (dégradations, pollutions de sites industriels) de leurs activités.

Bien entendu, l’importance de l’investissement en matière de RSE se fait selon la taille de l’entreprise, selon un arbitrage coût/avantage et aussi selon la sensibilité des produits commercialisés aux risques éventuels.

Gagner un capital de sympathie pour gagner la sympathie du capital


La démarche RSE concerne essentiellement les grands groupes incités par les enjeux (image de marque, obligation de reporting) et capables de mobiliser les ressources humaines et financières nécessaires pour mettre en application leur démarche (service RH dédié, coût des rapports).

Néanmoins, les PME et les petites entreprises se soucient depuis quelques années de la RSE et se sont engagées dans la démarche. Certaines par obligation dès lors qu’elles interviennent comme sous-traitantes de grands groupes, d’autres entraînées par la conviction personnelle de leur dirigeant ou par une volonté d’augmenter la valeur immatérielle de la société, de se positionner sur le marché, de se donner une nouvelle image ou encore d’innover. La capacité financière de l’entreprise reste cependant un élément décisif dans l’engagement d’une politique RSE dès lors que celle-ci engendre des surcoûts.

Mais, très vite, les entreprises ont compris tout le potentiel de la démarche RSE. De contrainte, l’éthique va devenir une opportunité de croissance et ainsi une nouvelle source de profits.

En effet, très rapidement, les milieux d’affaires saisissent que la RSE est une excellente idée pour améliorer ou fabriquer une image et ainsi conserver ou augmenter la valeur patrimoniale d’une marque. Elle est également une opportunité pour augmenter l’efficacité de l’entreprise. D’outil assuranciel à l’origine, la RSE devient rapidement un outil de marketing et de gestion, y compris managériale. Dans le même temps, le changement de normes comptables internationales privilégiant la valeur future à la valeur historique a pesé dans le changement de comportement (exemple: licenciements dits « boursiers »).

Dans un monde très concurrentiel où il convient de se différencier, les entreprises (et les organisations patronales) valorisent la RSE. En s’affichant comme « RSE compatibles », elles cherchent à se procurer un avantage compétitif pour distancer des concurrents.

En surfant sur la vague de l’écologie et de la responsabilité sociale, l’entreprise cherche à gagner un capital de sympathie (et la sympathie du capital). Certaines ont recours à des agences de communication qui travaillent leur image à l’occasion de grandes campagnes de publicité. D’autres, ne souhaitent pas communiquer ostensiblement sur leurs actions philanthropiques mais font paradoxalement de cette absence un argument de communication. Des entreprises contractent des partenariats [1] avec des ONG qui leur servent alors de caution morale et se dotent de référentiels. Le label RSE permet de se distinguer, de faire parler positivement de la marque, de renforcer la confiance des consommateurs et donc de faire vendre.

En outre, la RSE représente pour l’entreprise une source d’opportunité pour pénétrer de nouveaux marchés. L’adoption de référentiels RSE permet d’avoir accès aux commandes publiques qui représente 10 % du PIB à l’échelle de la France, l’État ayant adopté une politique de promotion de l’éco-responsabilité à travers les nouvelles règles régissant les marchés publics.

Parfois, la RSE constitue aussi un gisement d’éco-innovations, de nouveaux produits, de nouvelles activités dont les milieux d’affaires espèrent qu’ils permettront une relance, un rebond de la croissance orientée vers le développement durable.

En effet, à la suite de certains incidents industriels, de scandales sanitaires, l’opinion est devenue plus consciente et plus soucieuse des effets sur la santé et sur l’environnement des produits consommés et de leur mode de fabrication. Les consommateurs veulent se garantir contre les risques encourus mais donner également du sens à leur consommation. Les consommateurs expriment des besoins nouveaux de produits non seulement dépourvus de toute toxicité mais aussi « bons » pour la préservation de leur santé, pour leur forme physique, pour l’environnement. Ces nouvelles tendances font naître un marché. Les entreprises cherchent à se rapprocher des besoins exprimés et à les satisfaire en développant de nouvelles gammes de produits.

Considérée comme un nouveau levier de croissance par ses promoteurs, la RSE est encouragée par les pouvoirs publics, par les organisations professionnelles d’employeurs, par plusieurs ONG et par certaines organisations syndicales de salariés.

D’abord moyen de préserver le capital-réputation, la démarche RSE tend à devenir un levier de croissance. C’est d’ailleurs en partant de cette idée que la Commission européenne a publié, en 2001, son livre vert. Elle y écrit que « l’expérience acquise avec l’investissement dans les technologies et pratiques commerciales écologiques responsables suggère qu’en allant plus loin que le respect de la législation, les entreprises pouvaient accroître leur compétitivité. L’application des normes sociales dépassant les obligations juridiques fondamentales (…) peut également avoir des retombées directes sur la productivité ». Cette approche rejoint aussi la « stratégie de Lisbonne » (2000) pour la compétitivité et la croissance de l’économie européenne et la promotion du développement durable lancée après la publication du livre blanc sur la compétitivité et l’emploi en 1993.

Le MEDEF s’est doté d’un comité RSE. L’organisation patronale est convaincue que la RSE contribue à la performance globale de l’entreprise et offre un moyen de développer de nouvelles opportunités commerciales (les investissements d’avenir). Pour le patronat, la RSE est au cœur des nouvelles stratégies industrielles et stimule les recherches en matière environnementale (énergies renouvelables, économies d’énergie). On peut également lire dans le guide publié sur le sujet par la CGPME : « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, accorder une attention particulière à l’environnement, associer ses salariés à certaines décisions ou informer ses riverains sur l’impact de ses activités, ne constituent pas un frein au développement de l’entreprise. Au contraire, ces initiatives représentent une réelle opportunité en termes de coûts et d’image ».

Les milieux d’affaires ont donc compris tout l’intérêt d’incorporer une RSE devenue rentable, car source d’économies, dans leur stratégie de réduction des risques: risque commercial par la fidélisation autour de la marque ; risque financier par la fidélisation des actionnaires ; risque environnemental ; risque juridique en cherchant à anticiper et orienter l’action du législateur en amont par la mise en place de comportements ayant valeur d’exemple ou d’accords collectifs d’entreprise anticipant ou cherchant à initier la législation future.

À la suite de l’OCDE qui prône une meilleure « gouvernance d’entreprise », les pouvoirs publics nationaux vont également encourager la diffusion de la « philosophie RSE ». Des législations sur la RSE et l’investissement socialement responsable ont été adoptées par le Danemark, l’Allemagne, Pays-Bas ou les États-Unis (loi Sarbanne-Oxley en 2002).

En France, plusieurs lois sont intervenues pour promouvoir la transparence de l’investissement socialement responsable (ISR) ou la RSE: loi sur l’épargne salariale du 19 février 2001, loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, loi du 17 juillet 2001 qui institue un fonds de réserve pour les retraites, loi de sécurité financière du 1er août 2003 (obligation de rendre compte du fonctionnement du conseil d’administration et des procédures de contrôle interne).

L’État a lancé la stratégie nationale du développement durable en 2003 et créé le comité national du développement durable. Il a cherché à promouvoir la démarche RSE autour de trois objectifs : la création d’un référentiel, l’analyse des pratiques, le développement de l’ISR.

Si plusieurs textes législatifs et de nombreuses circulaires abordent le concept de RSE [2], il convient de rappeler à nouveau que sa définition demeure floue, de façon volontaire afin de permettre aux entreprises de l’appliquer comme elles l’entendent.

La RSE : une réalité différente des ambitions affichées


Selon la théorie libérale, l’objet de l’entreprise est l’obtention d’un profit maximal et croissant tout en satisfaisant les besoins du marché. Le profit est considéré comme une contrepartie aux risques pris par le dirigeant et les investisseurs.

Afin de tenter de relégitimer le système capitaliste, les milieux d’affaires prétendent que désormais le but de l’entreprise ne sera plus le profit mais la « contribution au bien commun ». La souscription de plusieurs milliers d’entreprises dans le monde aux dix principes du « Global compact » [3] des Nations-Unies (préservation des ressources, respect et promotion des droits humains, la lutte contre la corruption, la reconnaissance de la Charte de l’Organisation internationale du travail etc.) attesterait de cette nouvelle ambition.

Cependant, cette conception ne correspond évidement pas à la réalité. Quand bien même la recherche du profit maximal serait tempérée par d’autres finalités (amélioration des conditions de travail, offrir de meilleures rémunérations, fournir des services et des produits préservant l’environnement), ce qui reste à prouver tant cela est difficilement crédible, l’entreprise ne peut renoncer à rechercher la meilleure rentabilité, dans un monde fortement concurrentiel où les investisseurs placent ou déplacent leurs capitaux en fonction du taux de rentabilité.

En conséquence, la diffusion de l’idée que les entreprises et notamment les entreprises multinationales auraient renoncé à leur mauvaise conduite relève de la mystification, du « greenwashing ». La peinture verte ne supprimera jamais la noirceur de la réalité sociale de l’entreprise, surtout si elle est au plomb.

Derrière les images magnifiques des campagnes de publicité (souvent aux coûts exorbitants, représentant une ressource financière qui n’est pas redistribuée dans les salaires), la réalité de la RSE est moins attrayante. Une entreprise espionne ses salariés et ses clients. Une multinationale multiplie ses profits en affrétant des bateaux poubelles à des sociétés situées dans les paradis fiscaux et optimise si bien qu’elle ne paie pratiquement pas d’impôt sur les sociétés en France. Une autre laisse sa filiale faire travailler des enfants. Une entreprise publique supprime les tarifs les plus économiques sous prétexte de les simplifier. Les exemples ne manquent pas.

La RSE : un danger pour l’organisation syndicale et les salariés


La démarche RSE incite l’entreprise à élargir le cercle de ses interlocuteurs. En effet, si l’organisation syndicale de salariés reste incontournable sur les questions de salaires, d’emplois, d’évolution de carrière, de conditions et temps de travail, les problèmes liés à la manière de produire, à la qualité des produits, aux répercussions de l’activité sur l’environnement, à l’externalisation, à l’équilibre travail/vie privée, à la lutte contre la corruption, ou au partage de la valeur ajoutée, commencent à être discutées par l’employeur avec de nouveaux « acteurs » : associations de consommateurs, ONG environnementales, groupements de clients, collectivités territoriales etc. Ceux-ci s’estiment désormais fondés à avoir un droit de regard et d’expression sur l’entreprise comme sur le monde du travail. C’est ainsi qu’un grand nombre d’interlocuteurs venant d’horizon divers et représentant des intérêts souvent divergents, voire opposés à ceux des salariés, font basculer le « dialogue social » dans le « dialogue sociétal ».

Les agences de notation extra-financière, quant à elles (Vigéo par exemple), s’immiscent de plus en plus dans la gestion des entreprises qui les rémunèrent, à travers les rapports d’évaluation à destination des investisseurs et orientent les pratiques managériales.

  • Nombreux sont les employeurs qui, tout en reconnaissant le rôle important des organisations syndicales, considèrent désormais que le dialogue social ne peut se restreindre à elles seules et préconisent une ouverture à la société civile.

Dans un contexte de reprise en main néo-libérale, de liquidation des droits sociaux, cette externalisation du dialogue social constitue au-delà de la complexification des rapports employeurs/salariés un risque de marginalisation de l’organisation syndicale de salariés qui ne serait plus qu’un des nombreux interlocuteurs de l’employeur. Ce danger est d’autant plus grand que le patronat et les pouvoirs publics encouragent à la décentralisation du dialogue social à l’échelle de l’entreprise (devenant le lieu prioritaire de négociation, remettant progressivement en cause les conventions collectives nationales) ou de l’établissement ou du service (remettant en cause le statut général et les statuts particuliers). On est alors très proche des démarches de types « droit d’expression des salariés » ou « conseils d’atelier » des lois Auroux, promulguées en 1982, sur lesquelles Force Ouvrière alertait déjà à l’époque.

L’entreprise peut ainsi jouer de ces nouveaux entrants pour peser sur le droit des salariés, pour revenir sur des droits acquis, pour filtrer les demandes des salariés qui devront d’abord faire la preuve de leur RSE-compatibilité ou pour délégitimer les revendications syndicales pour le motif que d’autres acteurs proposent autre chose ou s’inscrivent en opposition à celles-ci. Le danger est d’autant plus fort que l’on assiste au développement de partenariats ONG/entreprises à travers desquels se nouent des complicités car chacun en retire un profit (labellisation et/ou certification contre dons).

À terme, les instances paritaires ou les instances représentatives du personnel pourraient être modifiées pour reconnaître le rôle des ces autres acteurs et associations. Sur le modèle du Grenelle de l’environnement (2007), le dialogue social serait revisité par l’idée de gouvernance afin de transformer toutes les parties prenantes en partenaires acquis à la recherche d’un développement harmonieux commun afin de repérer et d’éviter les différents risques préjudiciables et coûteux à l’entreprise selon le slogan : « fortifier et élargir le dialogue social dans l’entreprise pour des résultats partagés ».

Le risque existe également d’une dilution du social dans le sociétal. Nous avons pu le voir à l’occasion du processus Grenelle de l’environnement où le « pilier environnemental » est venu se financer sur le « pilier social ».

En contrepartie de l’ouverture et de l’intervention dans le champ social des nouveaux interlocuteurs, l’organisation syndicale de salariés sera invitée, encouragée, à s’emparer des thèmes environnementaux, sociétaux portés par les associations, à devenir elle-même un organisme labellisateur apportant sa caution à la politique de l’entreprise. C’est déjà ce que préconisent d’autres confédérations syndicales françaises.

  • La création du Comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES) constitue un autre exemple de cette évolution de la transformation de l’organisation syndicale en partenaire co-gestionnaire. Le CIES qui regroupe CGT, CFDT, CFTC, CGE-CGC labellise en recourant à la notation extra-financière les fonds qui gère l’épargne salariale liée aux dispositifs d’intéressement et de participation mis en place dans les entreprises.

De mars à août 2011, la confédération a mené une étude sur la RSE. Son objectif était d’établir un état des lieux des pratiques des fédérations et délégués syndicaux de Force Ouvrière en matière de RSE. Cette étude visait aussi à regarder comment les structures et les représentants Force Ouvrière sont déjà confrontés aux concepts et champs de la RSE.

En avril 2011, l'envoi d'un questionnaire aux fédérations a permis un premier état des lieux. Sur une base de 59 questionnaires reçus, on constate que le concept de RSE est peu connu au sein de l’organisation (32 % n’en n’ont jamais entendu parler).

Certains accords dits RSE ont été signés par FO. Ils permettent d’inscrire noir sur blanc des engagements sociaux qui pourront dès lors être « retournés » contre l’entreprise.

La RSE : un risque de fragilisation du droit du travail


Afin de prévenir les différents risques sociaux, environnementaux, économiques, la puissance publique pourrait être tentée d’adopter une réglementation coercitive. Mais les entreprises ne souhaitent pas être bridées dans leur recherche du profit et ont fait connaître leur hostilité à un système normatif. Certes, la globalisation de l’économie a créé de nouvelles règles juridiques mais celles-ci sont destinées à libéraliser les marchés et aucune législation contraignante n’est venue encadrée les activités des firmes multinationales.

Or, différents scandales ont révélé l’insuffisance des cadres normatifs et des moyens de contrôles publics pour faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs ou pour réprimer leurs violations. Les diverses mobilisations pour obtenir une législation plus respectueuse des droits sociaux et environnementaux ont poussé les firmes multinationales à batailler pour éviter l’intervention de toute réglementation.

Le succès de la RSE se comprend bien dans ces conditions. Son développement montre qu’il existe un danger réel de voir une norme privée élaborée par l’entreprise pour la sauvegarde de ses seuls intérêts se substituer aux normes de l’OIT, au droit du travail, à la règlementation, à une convention collective nationale ou à un statut.

  • Certains analystes de la RSE comme Alain Supiot [4], estiment qu’il s’agit pour les entreprises de s’arroger le privilège de produire le droit, et pas seulement dans l’économie ou le droit du travail, et même de produire l’ordre au sens général [5].

La volonté conjuguée des pouvoirs publics et des entreprises de faire évoluer le dialogue social et d’impulser la démarche RSE dans un contexte de remise en cause du droit du travail risque de provoquer une érosion brutale d’un code du travail [6] ou du statut général jugés comme des freins à l’emploi, à la croissance et à la « compétitivité ».

La RSE est une démarche surtout bénéfique pour la performance économique et financière de l’entreprise. Pour Force Ouvrière, il n’appartient pas à une organisation syndicale de salariés de s’en saisir ou de l’initier. Il convient donc d’être particulièrement vigilant. Rappelons en particulier que nous avons toujours privilégié la négociation, y compris au niveau international, aux codes ou chartes de bonnes pratiques.

Il serait extraordinairement dangereux de laisser la RSE devenir un creuset dans lequel va s’élaborer le droit social futur, entreprise par entreprise. Outre le fait de déporter toute négociation au niveau de l’entreprise, en y associant d’autres interlocuteurs que les organisations syndicales de salariés, il faut avoir conscience que derrière un accord RSE et ses cautions environnementales ou sociétales se retrouvent la flexibilité, la mutualisation, la rationalisation, la pressurisation, la réduction des postes, la modération salariale, l’individualisation de la rémunération etc.

Comme Force Ouvrière l’a déjà montré, il ressort majoritairement de l’examen des chartes et codes de « bonne conduite » ou de « bonne pratique » que celles-ci introduisent dans le contrat des exigences individuelles supplémentaires, des responsabilités nouvelles qui renforcent vis-à-vis des salariés une culture darwinienne de l’entreprise.

  • Nul besoin de RSE pour que l’entreprise respecte les textes internationaux ou nationaux s’imposant à elle.
  • Nul besoin de RSE pour que la puissance publique règlemente, traduise les accords nationaux et contrôle et sanctionne.
  • Nul besoin de RSE pour que l’organisation syndicale de salariés revendique et négocie à tous les niveaux adaptés.

Face à une démarche RSE imposée par l’employeur avec l’assentiment d’autres organisations syndicales de salariés, la meilleure défense reste le cahier des revendications.
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