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18 / 01 / 2016 | 22 vues
Olivier Grenot / Membre
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Enquête automatisation et mécanisation : vers des entrepôts sans personnel ?

Le groupe Leclerc se lance dans l’automatisation de ses sites logistiques. Deux entrepôts entièrement automatisés ont ouvert récemment dans l’est de la France : ScapAlsace près de Colmar et ScapEst près de Châlons-en-Champagne. Sur son blog, Michel-Édouard Leclerc justifie les importants investissements correspondants (60 et 125 millions d'euros) par l’augmentation rapide du nombre de points de vente dans la région (rachat des magasins Hypercoop et ouvertures de drives).

Spécialisé dans la réception et l'expédition de produits secs, ScapEst emploie 150 personnes et constitue l'un des centres logistiques des plus modernes de France.

  • L'entrepôt de 43 000 m2 et de 32 m de haut fonctionne 16 heures par jour et livre hyper- et supermarchés dans un rayon de 300 km. Les produits réceptionnés sont placés dans des racks géants par des « transtockeurs », systèmes automatisés qui se déplacent tant horizontalement que verticalement à plus de 3 m/s. Toutes les opérations de préparation sont également automatisées : sans intervention humaine, les produits sont dépalettisés et intégrés aux colis destinés aux différents magasins.

La grande distribution entre dans les villes...

Ce qui se passe dans le groupe Leclerc n’est pas un phénomène isolé : les autres enseignes de la distribution sont déjà en train de lancer des investissements pour adapter leurs entrepôts aux nouveaux besoins de la chaîne d'approvisionnement (cf ci-dessous la situation chez ITM, décrite par Richard Mouclier). Pourquoi nouveaux ? Parce que ces dernières années, le secteur de la grande distribution a singulièrement changé de visage.

Alors que jusqu’aux années 2000 les enseignes s’étaient essentiellement concentrées sur les hypermarchés de périphérie, elles se tournent désormais massivement vers le commerce de proximité, cette fois à l’intérieur des villes. Du coup, les commandes aux entrepôts sont plus fragmentées et les colis livrés chaque jour aux magasins peuvent tenir, selon les cas, dans un semi-remorque entier ou dans une simple palette.

Aujourd’hui, la plupart des opérations effectuées dans les entrepôts le sont encore par des opérateurs chargés de décharger les camions entrants, stocker les produits par références, puis de préparer les commandes de chaque magasin par des opérations de « picking ». Dans les sites logistiques « à l’ancienne » (ils sont encore nombreux dans notre pays, comme nous l’a confirmé Yann Picard, DSC chez Biocoop) les opérations se font manuellement : l’opérateur va chercher, un par un dans les racks, les produits commandés et répertoriés sur une liste.

  • Résultat : dans certains entrepôts, les opérateurs sont amenés à soulever jusqu’à 15 tonnes de colis par jour, alors que les normes en vigueur limitent le tonnage cumulé admissible à 7,5 t par personne et par jour, sans assistance mécanique.

Généralisation des WMS (warehouse management systems)

Depuis quelques années, la prise en compte de la pénibilité des opérations manuelles a accéléré la mise en place de systèmes de gestion d’entrepôts informatisés (le WMS). Ces systèmes se matérialisent sur le terrain par des outils visant à réduire la pénibilité de tâches répétitives, à assurer la ponctualité des tâches, à augmenter la sécurité (mais aussi la productivité) des opérateurs et à limiter le risque d’erreurs.

Le « voice picking » se développe depuis une vingtaine d’années dans les entrepôts et constitue la technique d’automatisation des tâches la plus utilisée dans la grande distribution. Son principe : le préparateur, doté d’un casque-micro, est en contact direct avec le WMS via un logiciel de reconnaissance vocale.

Il a les mains libres pendant le circuit, d’où une diminution de la fatigue et un meilleur contrôle des gestes.

Les instructions lui sont données par une voix synthétique et sa propre voix, en retour, est transformée en données numériques. Un boîtier, porté à la ceinture, assure la communication grâce à un réseau wi-fi. Pour le préparateur, le système évite la gymnastique permanente du regard entre la liste, les étiquettes, le « picking » et la conduite du chariot... Il a les mains libres pendant le circuit, d’où une diminution de la fatigue et un meilleur contrôle des gestes. Par ailleurs, des robots de manutention et des convoyeurs automatisés, des chariots à guidage autonome et des objets connectés sont déployés dans un grand nombre de sites logistiques. Le déplacement des palettes ou des colis se fait dans de nombreux établissements à l’aide de flottes d’AGV (chariots autopilotés).

Une révolution est en marche. Certes, l’automatisation des entrepôts a été longue à démarrer en France, contrairement à ce qui se pratiquait chez nos voisins de l’Europe du Nord, mais la transformation de la chaîne logistique a entraîné une accélération spectaculaire du processus.

Et l’emploi ?

On peut logiquement se demander quel en sera l'effet sur l’emploi et si, là aussi, l’irruption des nouvelles technologies et des automatismes aura pour conséquence une nouvelle vague de plans sociaux dans le secteur. Sans doute mais il faut cependant relativiser ce risque, dans la mesure où ces technologies représentent des coûts d’investissement très élevés et que, dans le contexte actuel, les enseignes ne se lancent pas dans de telles dépenses sans passer par des phases de test et sans « préparer le terrain », tant sur le plan technique que sur le plan social.

Les entrepôts sans personnel, ce n’est donc pas pour aujourd’hui, ni même pour demain. D’ailleurs, certaines enseignes refusent actuellement d'envisager le recours aux nouvelles technologies, soit parce que les volumes traités sont insuffisants pour le justifier, soit par souci de préserver l’emploi dans leurs établissements.

Mais l’évolution de nos secteurs vers les solutions robotiques et digitales est inéluctable, et chacun de nous doit s’y préparer dès maintenant.

Richard Mouclier, DSC FO chez ITM : une catastrophe pour l’emploi en France


« Chez nous, 3 entrepôts vont être automatisés, c’est en cours de réalisation depuis l’an dernier près de Lyon, dans le Nord et à côté de Rennes. Ils automatisent d’abord la partie « sec » et ensuite tous les entrepôts vont être mécanisés sur la partie « frais » ».

Il faut préciser qu’il y a deux notions : la mécanisation, c’est uniquement sur les produits frais : il y a quand même de l’intervention humaine, pour le conditionnement et le déconditionnement... La mécanisation, ça ne fait que du tri. Alors que l’automatisation, c’est la totale. On met la palette qui vient du fournisseur à un bout, elle est stockée et déstockée automatiquement et à 80 % reconditionnée automatiquement pour le point de vente.

Pour nous, c’est une catastrophe en termes sociaux. Ça va causer des suppressions massives d’emploi. À terme, on va compter un entrepôt automatisé pour quatre actuels. En mécanisation, on est plutôt sur un, sur deux ou trois. L’automatisation, c’est ce qui fera le plus de mal. Quand on voit ce qu'il s’est passé dans certains sites industriels, comme pour l’embouteillage de boissons, l’automatisation a supprimé entre 60 et 70 % des emplois.

Avec la mise en place du CICE, il faut se poser la question de l’amortissement d’un tel outil, par rapport à la casse sociale que ça peut faire. Ce n’est pas en automatisant qu’on va recréer de l’emploi, parce qu’en France, on n’a pas d’outil industriel d’automatisation. Ça en crée peut-être dans les pays d’Europe du Nord, et encore... Chez nous, il n’y a pas de possibilité de transfert des salariés de la grande distribution vers des sites de construction de matériels d’automatisation. D’ailleurs, quand une entreprise allemande installe ses machines, c’est elle qui gère le suivi et l’entretien ! Eux, ils protègent leurs emplois, mais c’est au détriment des nôtres ».

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