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05 / 11 / 2010 | 3 vues
Patrick Saint-Sever / Membre
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Chômeurs : tous les courtiers et assureurs ne sont pas les « ANIs » de votre couverture complémentaire santé

De la pénibilité de la portabilité des couvertures santé complémentaires des chômeurs. L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008, en sa partie 2 et plus particulièrement son article 14 et son avenant n°3 du 18 mai 2009, définit les voies et moyens de sécuriser les contrats de complémentaire santé et améliorer le retour à l’emploi.

Ceci doit s’entendre, en fonction des polarités et sensibilités des uns et des autres, en vue de fluidifier le marché du travail et/ou de limiter la précarité cumulative systématiquement associée au chômage.

  • Une bonne année après la mise en place de ce dispositif, les « retours d’expérience » sur le terrain mettent en avant de forts sujets de préoccupation quant à la conformité à ces buts des mises en application du dispositif par le trinôme entreprises, courtiers, assureurs.


Dans le même temps, la profession du courtage/assurance n’hésite pas, mezzo voce, à évoquer l’« insuccès » relatif du dispositif. Ainsi l’Argus de l’assurance (10 octobre 2009) : « Le succès n’est pas au rendez-vous pour l’instant, le bilan (…) dans les deux ans à venir permettra d’y voir clair et, peut-être, d’amender le dispositif ».

En réalité, cette profession du courtage/assurance n’a-t-elle pas dans une certaine mesure « mis à l’amende » le dispositif, ce qui expliquerait un insuccès qui reste à confirmer ?

C’est ce que nous allons rechercher.

Les dysfonctionnements constatés dans l’application peuvent être cartographiés selon un triptyque :  

  • difficultés à l’accès au dispositif,
  • difficultés à bénéficier des prestations à l’identique,
  • difficultés à rester dans le dispositif.

Difficultés à l’accès au dispositif

Les (véritables) conditions d’admissibilité et… la pratique de certains courtiers/assureurs

Pour l’ex-salarié, tout commence par le courrier adressé par l’employeur. Ce courrier de licenciement propose invariablement au salarié de… renoncer au bénéfice du dispositif de portabilité santé et prévoyance en même temps qu’on l’oblige à quitter la société.

  • Il ne lui est pas toujours indiqué qu’il a bien entendu intérêt à conserver sa couverture complémentaire, que ses représentants ont obtenu ce droit pour lui.


Cette faculté de renonciation est pourtant bien une disposition de l’ANI. En réalité, ce droit de veto vise à assurer la transition d’une adhésion collective obligatoire au maintien individuel au même contrat par consentement éclairé, l’employeur étant responsable de produire l’information et le conseil nécessaires à ce choix.

Mais trop souvent, on constate une grande déficience de l’information consentie, et l’absence totale de conseil, en faveur de la mise en avant de cette seule possibilité de renoncer, qui a d’autant plus de chances d’être suivie par le salarié qu’elle est incluse dans la lettre de licenciement qui casse toute relation de manière brutale et souvent agressive.

Faut-il s’étonner de cette tentation de la rupture totale car, au-delà de la volonté de rupture consubstantielle de la lettre de licenciement, il convient de remarquer que, quel que soit le mode de financement, la portabilité présente un coût pour l’employeur, outre le maintien d’un contact qu’il ne souhaite pas toujours.

Selon le Credoc/CTIP, en 2008 dans 47 % des entreprises la part employeur dans la cotisation santé était supérieure à 50 %, et dans 12 % des cas elle était même supérieure à 75 %.

Force est donc de constater que l’employeur peut s’estimer en capacité de détourner le texte comme son esprit. 

Force est donc de constater que l’employeur peut s’estimer en capacité de détourner dès le fait générateur (licenciement) le texte comme son esprit pour inciter à renoncer à la portabilité, à « couper les ponts » et… alléger ainsi ses coûts sociaux, a fortiori lorsqu’ils sont affectés à des salariés qu’il ne veut plus voir !

En cela, il n’est hélas pas aberrant de renvoyer le salarié consulter, seul, la copie de contrats abscons, parfois transmise des années plus tôt et avant même la création du dispositif ANI. Tout en lui « proposant » de signer la renonciation dans la foulée de la signature de l’accusé de réception du licenciement, et du solde de tous comptes…

Faut-il alors s’étonner qu’il y a un an, un trimestre après la mise en place du dispositif, l’argus de l’assurance alléguait : « les bénéficiaires de l’ANI sont beaucoup moins nombreux qu’attendu remarque un courtier », ce que confirmait et quantifiait en décembre 2009 le remarquable baromètre Santé de Mercer, hélas non actualisé depuis.

  • Par rapport au niveau théorique que l’on pourrait attendre on enregistrerait jusqu’à 7 fois moins d’entrées au dispositif ? Rien n’est indiqué quant aux stocks réels contre les théoriques.


Pourtant, la mise en place de la portabilité est automatique, de la seule responsabilité de l’employeur qui dispose de tous les éléments lui permettant de s’assurer de l’éligibilité(motif du licenciement, localisation de l’ouverture des droits) et de mettre en œuvre une portabilité (capacité à prélever les cotisations), présumée favorable au salarié ! Tout devrait se mettre en place vite et bien.

Il faut donc une série de dysfonctionnements bien lourds pour expliquer un tel constat de désintérêt.

Nous en avons vu les premiers, de nature informative, qui affectent donc directement l’entrée au dispositif. Pourtant, même pour le salarié qui n’a pas fait jouer son droit de veto, sa démarche va s’avérer encore fort pénible et pavée d’embûches.

Difficultés à bénéficier des prestations à l’identique

La lecture du titre et de l’entre-titre de l’article de l’argus de l’assurance déjà cité : « ANI les courtiers en première ligne », « Ce que prévoit l’accord, ce que permet la technique » laisse en effet fort mal augurer du bon fonctionnement du contrat après le licenciement. Ou encore l’argus du 25 juin 2009 : « La FNIM revendique une application souple de l’ANI (…) car les garanties à l’identique sont difficiles à maintenir ».

Souvent l’ex-salarié est laissé seul par son employeur face au courtier, lequel adopte un mode relationnel robotisé, comminatoire.

Ce titre met d’abord en évidence une grande confusion des genres, que l’on constate sur le terrain : souvent l’ex-salarié est laissé seul par son employeur face au courtier, lequel adopte un mode relationnel robotisé, comminatoire : son client est l’entreprise, pas l’« ex » de son client, vécu comme dérangeant pour des systèmes de traitement de masses, qui ne connaissent pas l’individu « isolé ».

  • Confusion des genres car c’est bien l’employeur, et lui seul, qui est et doit rester en première ligne : les textes ne font référence qu’aux seuls « employeurs » et « salariés », les prestataires de service ne sont titulaires d’aucun droit, direct ou indirect, d’aucune capacité juridique opposable.


Les textes, comme la plus haute et constante jurisprudence, disposent pourtant clairement l’identité des clauses contractuelles applicables à l’ex-salarié avec celles du salarié en activité dans l’entreprise. Il ne saurait donc se présenter aucune difficulté pseudo « technique » !

Pourtant les exemples de dénaturation sont légion. Toutes vont dans le sens d’une dégradation des conditions financières de l’ex-salarié, et donc d’une accélération de sa précarité, au strict rebours des volontés des signataires des textes et du législateur.

Ceci prend même parfois la forme de « régularisation » de ces clauses illégales et inopposables par « avenants » dérogatoires au contrat qui est appliqué aux salariés, l’ex-salarié étant contraint de signer par exemple son renoncement au bénéfice des prestations de tiers payant (effet trésorerie négatif pour lui), voire à la télétransmission (effet négatif se cumulant au précédent).



Si l’on ajoute à cela la dimension « trésorerie » inhérente à l’oukase, trop fréquente, de produire préalablement au remboursement des soins du mois son attestation d’allocation Pôle Emploi, on remarque que le salarié qui est resté dans l’ANI peut être largement désappointé… De là à dissuader d’autres licenciés lorsqu’ils lui demanderont le résultat de son expérience…

  • Qu’on en juge : si, par exemple, il actualise sa situation le 15 du mois suivant, collationne ses demandes de remboursements du mois précédant, les envoie par courrier avec l’attestation, cela va entraîner pour lui un décalage entre une dépense de soin et son remboursement qui pourra aller jusqu’à plus de deux mois ! Le tout dans un dispositif qui ne dure que neuf mois en faveur d’une personne durablement précarisée financièrement…


Encore faudrait-il qu’en cas de non-versement d’allocation mensuelle par Pôle Emploi, l’assureur ou le courtier ne « décident » pas qu’il ne sera jamais remboursé de ses dépenses du mois en question puisque n’ayant pas d’attestation afférente.

Ces détournements de capacités et des textes vont au rebours de la volonté de leurs signataires. Et ce n’est pas tout. Si, nous l’avons vu, certains courtiers/assureurs cherchent tous les prétextes pour dissuader et exclure les chômeurs de leurs contrats collectifs de santé et de prévoyance, dès le début, les tentations et tentatives d’évincer le chômeur existent également durant la période de portabilité.

Difficultés à rester dans le dispositif


Témoigne de ce type de dysfonctionnements cette interrogation, fort étonnante, formulée en janvier 2010 par le leader mondial du courtage, dans sa lettre d’information sous la rubrique « ANI 6 mois plus tard » : il n’hésite pas à contredire le texte référent en s’interrogeant « Le versement des allocations chômage s’effectue au terme d’un différé d’indemnisation. Le dispositif de portabilité entre-t-il en application à la date de cessation du contrat de travail ou à la date du versement des allocations chômage ? ».

Le texte est pourtant limpide : « Le dispositif de portabilité entre en application à la date de cessation du contrat de travail » !

Dès lors, il est clair que la période de carence de Pôle Emploi et/ou les délais d’inscription administrative, pas davantage que les périodes ultérieures de suspension des allocations chômage, justifiées ou non, ne constituent des motifs opposables de « cessation » de l’accès au droit à portabilité. Au contraire même, serions-nous tentés d’écrire : les partenaires au dispositif ont souhaité fluidifier le marché du travail, en remédiant aux dangers de la précarisation, phénomène d’ordre exponentiel et rapide s’il en est.

Ils ne sauraient valider le dévoiement de leur dispositif par l’accroissement des difficultés de trésorerie de l’ex-salarié, dès lors qu’il n’a temporairement pas accès aux allocations de chômage, soit à son entrée dans le dispositif (délai de carence), soit en cours de vie (suspension et non-cessation).

  • Les courtiers et assureurs n’ont donc ni capacité ni raison saine et opposable de demander, comme ils le font trop souvent, la production des attestations de paiement mensuel de Pôle Emploi.

Observons d’ailleurs que même si le bénéficiaire doit fournir à son ex-employeur (et nul autre tiers) la justification de sa prise en charge par le régime d’assurance chômage (et non les paiements mensuels), un manquement de sa part sur ce point ne produit pas de sanction stipulée au texte, contrairement au cas du non-paiement des cotisations qui, lui et lui seul, constitue une cause de radiation du dispositif.

Vers du contentieux

C’est pourtant le (non-) « droit » que s’arrogent les professionnels de l’assurance en multipliant les oukases, exigeant ce qu’ils n’ont aucune base légale pour solliciter, ce qui risque non seulement de générer un courant contentieux élevé, mais de placer tant les signataires de l’accord et l’État que l’employeur en porte-à-faux considérables. Il y a là un danger juridique non mesuré à ce jour, qui ne restera probablement point seulement prud’homal, comme l’a invoqué la profession de l’assurance.

  • Ajoutons que nous n’avons ici traité que les aspects « santé », les plus faciles à appréhender. Les déviances sont semblables en matière de prévoyance, les capitaux en jeu étant beaucoup plus importants il conviendra de suivre de près la jurisprudence du contentieux qui ne manquera pas de s’installer.

Par exemple un cadre supérieur, père de famille nombreuse, licencié décède pendant la période de carence ou avant son actualisation Pôle Emploi, ou en cours d’un mois de suspension d’allocations…. Le courtier aura du mal à convaincre les ayant-droits qu’ils n’en ont aucun !

Ces éléments conduisent à s’interroger quant au degré d’implication de certains courtiers, assureurs, voire employeurs, à appliquer ce texte.

Cela est d’autant plus patent que l’employeur est fortement engagé dans la cotisation de la couverture sociale.

Il est un fait que ce dispositif de portabilité des garanties complémentaires dérange certains employeurs, qui n’ont pas l’intention de conserver une forme de contact, de responsabilité et de coût associé à leur « ex», et des courtiers qui, par définition, ne veulent connaître que les DRH. Cela est d’autant plus patent que l’employeur est fortement engagé dans la cotisation de la couverture sociale.

Mais il faut relever que l’assureur peut également avoir une motivation semblablement dévoyée : après la phase ANI, il y a (en santé) la phase Evin, sur une durée potentiellement beaucoup plus longue encore.

Et en la matière, la capacité de révision tarifaire et contractuelle des assureurs a été très sévèrement encadrée par la jurisprudence de la haute juridiction. Il est donc clair que, plus le coût de la portabilité ANI est élevé pour l’employeur, plus il le sera par la suite pour l’assureur, via la loi Evin. Supposons une couverture prise en charge à 100 % par l’employeur de la cotisation, dans la phase suivante l’assureur devra assumer un contrat bien peu « rentable »… Un aspect « option cachée » qu’il n’a peut-être pas mesuré en signant le contrat avec l’employeur…

Il a donc, lui aussi, tout intérêt à participer, avec l’employeur et le courtier, aux dysfonctionnements qui permettent de dissuader le chômeur d’entrer ou de rester dans le dispositif ANI, et donc probablement Evin par la suite…

Le constat de « désintérêt » pour le dispositif prendrait donc, si les chiffres venaient le confirmer, l’apparence d’une certaine tartufferie…

Est-ce la raison pour laquelle, sous réserve d’inventaires plus complets, on relève en pratique un plus grand respect des textes et de leur esprit chez les institutions de prévoyance membres du CTIP par rapport aux assureurs commerciaux, par exemple ?

Peut-être mais on relève également qu’un courtier comme April semble mettre en place le dispositif fort correctement. Les salariés étant potentiellement, tous de futurs licenciés, ils doivent également avoir ceci en tête lors des discussions avec leur employeur quant au prestataire pressenti…

Somme toute, faut-il s’étonner que le secteur dit « concurrentiel » ne regarde pas avec les yeux de Chimène un dispositif social ?

Ceci dit, « la loi de la République doit désormais être acceptée par tous », même lorsqu’elle est favorable aux salariés précarisés ! Sinon il ne faudra peut-être pas « amender » le dispositif, mais bien recourir aux sanctions ?

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