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Accord formation et CPF : le compte n'y est toujours pas
Dans la nuit du 21 au 22 février, les partenaires sociaux se sont mis d'accord sur la formation, notamment sur des évolutions pour le compte personnel de formation (CPF). Le compte n'y est malheureusement toujours pas.
35 heures annuelles de formation pour tous les salariés et 55 heures pour les non-diplômés, ce sont plus de 700 millions d'heures à financer chaque année.
L'idée de donner le même capital d'heures aux salariés à temps partiel et aux salariés à temps complet est bonne mais pourquoi ne pas y avoir pensé dès 2014 ?
L'idée d'octroyer plus d'heures de formation à ceux qui sont les moins qualifiés (ou diplômés) est aussi positive mais, là aussi, pourquoi ne pas y avoir pensé dès 2014 ?
La fin des listes de formation éligibles au CPF est une bonne chose mais pourquoi l'avoir prônée en 2014 pour l'éliminer quatre années plus tard ?
En augmentant de plus de 50 % les heures octroyées aux salariés, on rend le manque de financement global du dispositif encore plus criant.
Un calcul rapide, pour 18 millions de salariés et 35 heures de CPF par année, donne un capital total de formation de 630 millions d'heures de formation. À ces 630 millions, il faut encore ajouter 50 % d'heures de formation supplémentaires (55 au lieu de 35) pour le quart des salariés les moins qualifiés en France (selon les calculs de l'OCDE).
Le CPF version 2019 équivaudrait donc 720 millions d'heures à réaliser (et donc à financer) chaque année.
En face de ces 720 millions d'heures (qui incorporent désormais aussi les CIF), les partenaires sociaux proposent toujours une mini-cotisation variant de 0 % (les entreprises de moins de 11 salariés) à 0,40 % (pour les plus de 50 salariés).
Dans la loi de mars 2014, les pouvoirs publics ont fixé le prix d'une heure de CPF abondé à 30 euros.
Si l'on admet que le CPF n'est pas un artifice social et qu'il doit permettre à l'ensemble des salariés de se former (parfois 400 heures, parfois 35 heures sur une seule année), il faut le financer à hauteur de 720 millions x 30 euros = 21 milliards d'euros par année pour viser une généralisation (en faisant d'ailleurs l'impasse sur la rémunération des stagiaires, encore comprise dans les « financements » du CPF).
Le CPF version 2019 = 1 000 euros par salarié chaque année
Tant que le CPF ne sera pas provisionné à hauteur de 1 000 euros par salarié et par an (35 heures * 30 euros), il restera un « compteur » de formation et un simple dispositif inventé pour leurrer les salariés, les entreprises et le monde du travail sur le prix et la valeur d'une formation généralisée et universelle (comme le sont les congés payés).
Les congés payés sont provisionnés dans les comptes des entreprises, le CPF devrait l'être également.
S'il avait été décidé depuis 1936 de généraliser les congés payés sans que les entreprises ne puissent provisionner chaque année les sommes correspondant à ces mêmes congés payés (environ 14 % de la masse salariale), les congés payés seraient restés un vœu pieux, des jours de congé qui s'additionneraient sur des compteurs sans aucune possibilité de les réaliser.
La formation ne peut rester une vaine promesse sociale irréalisable pour 95 % des salariés.
En 2018, le CPF des salariés est bien plus complexe, aléatoire et élitiste que ne l'était le DIF en son temps (DIF qui concernait bon an mal an 6 % des salariés alors que le CPF atteint à peine 1 % des salariés).
Pour la plupart, les salariés ne prendront pas 200 ou 500 heures sur leur temps libre pour se former (les compteurs de CPF passeraient de 150 à 400 ou même 550 heures). Aujourd'hui, prendre 20 ou 30 heures de CPF est déjà très compliqué à organiser quand on est salarié.
La formation a un coût que notre pays ne peut pas se contenter d'ignorer.
Nous dépensons officiellement 1,3 % de notre PIB pour notre formation (mais 35 % pour tout le social) ; ces dépenses sont très insuffisantes dans l'économie de la connaissances et si nous ne parvenons pas rapidement à nous mettre à niveau, nous perdrons chaque année nos compétences, notre compétitivité et nos capacités à épouser le travail et ses nouvelles exigences cognitives et sociales.
Notre pays peut-il jouer tous les quatre ans à ces ruineux « essai-erreurs » des accords interprofessionnels sur la formation ?