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Produits pétroliers : pétrole, des prix durablement bas ?
Concernant la production de l’OPEP, des voix s’étaient élevées avant l’été pour indiquer que le manque d’effet de l’accord sur le marché pourrait décourager certains membres et les pousser à ne pas respecter l’accord. Las ! L’été a été l’occasion pour plusieurs d’entre eux de redire leur attachement à faire de cet accord un succès. L’Irak notamment, qui avait pu être critiqué pour son retard dans l’implémentation des réductions de production qui lui avaient été attribuées par l’OPEP, est finalement allé au-delà de ce à quoi il s’était engagé, selon son ministre du pétrole. Au final, selon l’Agence Internationale à l’Énergie (AIE), l’accord a été respecté à 82 % en août par les pays de l’OPEP. Historiquement, même le niveau de 75 % observé en juillet est élevé. De leur côté, les pays non OPEP signataires de l’accord ont, eux, dépassé leurs objectifs de réduction.
Cependant, un nouveau débat a vu le jour au sein de l’OPEP. En effet, l’accord de Vienne portant sur la production, un certain nombre de pays ont semble-t-il « contourné » leur engagement. S’ils ont effectivement limité leur production, ceux-ci ont en revanche maintenu leurs exportations en liquidant les stocks dont ils disposaient. Cela a d'autant retardé l’effet des mesures prises par l’OPEP. C’est le cas notamment de l’Iran, qui a liquidé les stocks flottants que le pays avait constitués pendant la période où il était sous embargo international (lire ici). En conséquence, ces stocks ont grossi les stocks mondiaux, renforçant l’idée que la stratégie de l’OPEP ne fonctionnait pas.
Le cartel réfléchit donc à une limitation des exportations plutôt que de la production.
Au final, depuis octobre 2016, mois qui a servi de base à l’accord de réduction de la production des pays de l’OPEP, les exportations des membres de l’organisation n’ont baissé que de 213 000 barils par jour, ce malgré un respect important de la réduction de production. Même si cela est en partie du fait de l’augmentation de la production des deux pays exemptés de réduction (Libye et Nigéria), cela a fortement irrité le ministre du pétrole saoudien Khalid Al Falih, qui estime que cela « est en train d’entamer [sa] crédibilité ». Aussi milite-t-il aujourd’hui pour la mise en place d’un quota d’exportation pour les pays de l’OPEP, plutôt qu’une limite de production.
Mais ce genre d’opérations a un effet limité dans le temps, dans la mesure où une fois les stocks vidés, il n’est plus possible d’y recourir. Cela commence d’ailleurs sans doute à se ressentir dans les chiffres d’exportation de l’OPEP. Si ceux-ci sont publiés très en retard par les organisations internationales, les premières estimations données par des fournisseurs privés font état d’une forte baisse des exportations au mois de septembre (cf tableau ci-dessous), la plupart des pays jouant le jeu.
On observe ainsi une réduction de plus en plus importante des stocks. La réduction est globale et touche autant les stocks flottants que les inventaires de l’OCDE. Les stocks flottants de Mer du Nord ont ainsi diminué de 60 % depuis mi-août, alors que les stocks commerciaux de l’OCDE, eux, ont reculé de près de 19 millions de barils en juillet, contre plus de 300 millions en début d’année ! La stratégie de l’OPEP semble donc peu à peu fonctionner, malgré les nombreux retards dans le plan envisagé. C’est sans doute ce qui explique la décision du cartel de prolonger son accord jusqu’en mars 2018 et potentiellement au-delà…
La vigueur de la demande, notamment en Europe et aux États-Unis, est également un facteur de soutien.
Si les stocks de pétrole ont baissé, c’est certes en raison de la réduction de production de l’OPEP et de ses alliés mais aussi en raison d’une reprise plus importante que prévue de la demande. On observe notamment une augmentation importante de la consommation en Amérique du Nord mais aussi en Europe, où l’amélioration de la situation économique semble se traduire dans les chiffres de la consommation énergétique. L’AIE et l’OPEP attendent toutes deux une hausse de la demande, respectivement de 1,6 et de 1,5 millions de barils par jour cette année, et 1,4 millions de barils par jour en 2018.
Les premiers signes de tension apparaissent….
La conséquence de tout cela est une tension de plus en plus observable sur le marché. À ce rythme-là, la consommation mondiale de pétrole devrait dépasser les 100 millions de barils par jour en 2020 !
Cette tension se matérialise progressivement sur le marché physique. On note en effet une déformation de la structure de prix à terme du pétrole Brent de la Mer du Nord. Celle-ci se caractérise par une valeur des prix à terme moins élevée que les prix comptant, connue sous le nom de « backwardation ». Elle traduit une tension telle sur le marché que les opérateurs sont prêts à payer plus cher un pétrole disponible tout de suite qu’un pétrole disponible à plus longue échéance. Cette structure de prix est aujourd’hui la plus prononcée que l’on ait connue ces trois dernières années.
Reste la question de la hausse de la production des pétroles de schiste aux États-Unis.
Baisse des stocks, hausse de la demande… Reste l’inconnue de la production, notamment en Amérique du Nord, avec le rebond annoncé des pétroles de schiste. De nombreux intervenants annoncent outre-Atlantique pouvoir produire du pétrole à des prix extrêmement bas. Bien des intervenants ont adopté ce point de vue et ne croient plus à une reprise des prix du pétrole. Des chiffres de hausse de production de l’ordre de 1,5 million de barils par jour ont été évoqués pour l’année 2017. Mais les dernières publications de l’administration américaine de l’énergie sur la production américaine remettent en doute un tel scénario. Les chiffres sont aujourd’hui plus faibles qu’attendu...
Si la hausse du nombre de foreuses en activité a bel et bien augmenté (+140 % entre mai 2016 et août 2017 et +25 % depuis début mars 2017), la production de pétrole américaine n’a pas progressé depuis la fin du mois de février. Après une appréciation de la production américaine de 327 000 barils par jour entre janvier et février, la production a stagné depuis le mois de juin.
Le marché s’est focalisé sur la publication des chiffres hebdomadaires, alors qu’ils sont le résultat d’une estimation par un modèle. Les données mensuelles, publiées très en retard, mais sur la base des déclarations faites par les exploitants pétroliers, sont bien moins élevées. Il reste un écart important, qu’il semble difficile de combler par une remontée des données mensuelles étant donné le ralentissement des forages, et la baisse de productivité constatée sur les puits (lire ici). D’autant que, dans son dernier rapport, l’agence américaine de l’énergie a une nouvelle fois revu à la baisse de 100 000 barils par jour ses prévisions de croissance de la production aux États-Unis, à 9,25 millions de barils par jour, soit une hausse de tout juste 400 000 barils par jour par rapport à la moyenne de 2016 (lire ici). De leur côté, certains producteurs de pétrole eux-mêmes estiment que l’EIA surestime largement la production américaine.
Alors que l’action de l’OPEP semble enfin porter ses fruits et que la demande prête main forte au cartel en aidant à réduire les stocks, la déception quant à la production américaine de pétrole (si elle se confirme) pourrait être l’élément qui manquait au marché pour redevenir plus optimistes sur les prix de l’or noir. On pourrait alors assister à un rebond important des cours de l’or noir vers les niveaux de 60-65 $ le baril, qui constitue un objectif officieux pour l’Arabie Saoudite.
À plus long terme, la pénurie menace...
À plus long terme, il apparaît de plus en plus évident que le manque d’investissement dans le secteur pétrolier depuis 3 ans nous mène vers une pénurie de pétrole qui devrait soutenir les prix ! Patrick Pouyanné, PDG de Total, s’en faisait récemment l’écho dans une interview.
Il faudra alors certainement pousser les prix un peu plus haut encore afin de massivement « résolvabiliser » les pétroliers de schiste, seules compagnies capables de mettre rapidement en route des capacités de production (un puits peut être mis en production en quelques mois) indispensables à l’équilibre du marché.