Organisations
Pétrole de schiste : le vernis craque
À l’heure où il semble que la réduction de production de pétrole mise en place par l’OPEP commence à porter ses fruits et où la forte demande en produits pétroliers de ces derniers mois accélère le processus de déstockage, une inconnue plane toujours sur les cours du pétrole : l'éventuel redéploiement des pétroles de schiste aux États-Unis. Les attentes très optimistes quant à la capacité des compagnies nord-américaines à augmenter leur production maintiennent en effet les prix de l’or noir sous pression.
Mais, après une forte progression, l’activité de forage commence à ralentir.Mais les derniers éléments disponibles sur la production outre-Atlantique soulèvent quelques interrogations. D’abord, les informations concernant le rythme de forages dans les principaux bassins d’hydrocarbures aux États-Unis font ressortir un net ralentissement. En effet, après une croissance des foreuses en activité de plus de 20 % en moyenne sur les quatre précédents trimestres, la progression n’a été que de 6 % au troisième trimestre 2017. Ces dernières semaines, le nombre de foreuses en activité a même commencé à reculer. Au 20 octobre, le nombre de forages pétroliers outre-Atlantique s’est ainsi affiché à 736, en recul de 8 unités sur la semaine et au plus bas depuis juin.
Cette réalité a mené l’administration américaine (l'Energy Information Administration) à revoir ses anticipations de la production américaine en fin d’année à la baisse, à 9,69 millions de barils par jour (mb/j) contre 9,82 mb/j précédemment. Pour l’heure, la production américaine s’établit à 9,16 mb/j en moyenne à fin septembre. Certains estiment que l’agence est encore trop optimiste, y compris au sein des producteurs de schiste eux-mêmes.
Mais cette prévision pourrait s’avérer encore trop optimiste, si l’on en croit les déclarations des producteurs de pétrole de schiste eux-mêmes. Ainsi, Harold Hamm (directeur général de Continental Resources, l’un des principaux producteurs de schiste américain) déclarait il y a quelques jours que « l’EIA surestime ce que sera la production américaine cette année d’environ 100 % ». À 9,69 mb/j en fin d’année comme indiqué par l’EIA, la production américaine aurait cru de 920 000 barils par jour sur un an. Harold Hamm envisage plutôt un chiffre de production de l’ordre de 9,35 mb/j en décembre, soit une croissance de la production limitée à 580 000 barils par jour : belle différence en effet ! D’autant qu’en début d’année, les prévisions s’établissaient plutôt autour de 1,2 mb/j. Reste à savoir qui dit vrai… Mais à mesure que le vernis craque, la situation des producteurs de shale aux États-Unis apparaît de plus en plus clairement et la balance penche chaque jour un peu plus du côté des sceptiques. D’abord, parce que l’effet de l’innovation technologique, principal moteur des gains de productivité mis en avant par les producteurs de schiste pour expliquer leur capacité à être rentable même avec un prix du pétrole qui est passé sous les 50 $ le baril, semble s’estomper.
Les effets bénéfiques de l’innovation technologique s’estompent… Si le développement des forages horizontaux ou du « pad drilling » (forages multi-directionnels à partir d’un même puits) a effectivement permis des gains de productivité pendant un temps, ceux-ci ne sont pas reproductibles. En outre, les puits de pétrole de schiste ayant un taux de déplétion naturel élevé, il est nécessaire de forer régulièrement de nouveaux puits pour maintenir sa production. Aussi, les progrès techniques sont-ils à présent largement diffusés sur la production et ne permettent plus réellement d’amélioration. À titre d’exemple, 80 % des forages réalisés à présent sont horizontaux.
Les gains de productivité semblent toucher à leur fin.
En revanche, les difficultés techniques semblent se multiplier avec l’augmentation du nombre de forages sur un même site. On a ainsi vu des problèmes de pression sur des forages, liés à des capillarités entre plusieurs puits trop proches. Pour résumer, la fracturation d’un puits, en créant des fissures qui rejoignent celles déjà existantes de puits situés à proximité, crée une baisse de pression sur le nouveau puits mais aussi sur le puits voisin. C’est le phénomène dit de « frac hit ». Ce type de problème, s’il est gérable, entraîne du retard et des coûts supplémentaires pour la mise en production, entamant la rentabilité des opérations. C’est ce qui est par exemple arrivé à Pioneer Natural Resources dans le bassin permien, où certains forages ont été compliqués par des problèmes de pression sous-terraine. Pour finir, les opérations ont pu être réalisées mais cela a retardé les opérations de plusieurs mois et entraîné un surcoût de 400 000 $ pour chaque puits concerné (entre 5 et 10 % du coût total).
L’autre élément important est la hausse des coûts des services dans le secteur. En effet, si les sociétés de pétrole de schiste avaient profité de la baisse des cours du pétrole pour renégocier leurs contrats de services avec leurs fournisseurs, à présent que les prix remontent, les prix des services s’envolent. Les sociétés de services pétroliers ont largement licencié ces trois dernières années et se retrouvent limitées en termes de main d’œuvre disponible. En outre, le faible taux de chômage outre-Atlantique rend le recrutement de personnel qualifié de plus en plus difficile. À cela s’ajoute le fait que le personnel qualifié qui a retrouvé du travail dans un autre secteur d’activité hésite à quitter un emploi sécurisé pour rejoindre une industrie qui a massivement licencié ces dernières années et qui pourrait être amené à recommencer si l’accroissement de la production de shale entraînait une nouvelle correction des cours de l’or noir… Cela provoque des goulots d’étranglement qui ont forcé bien des sociétés (comme Parsley Energy ou Callon Petroleum) à revoir leurs objectifs de production pour l’année.
Les prix des services s’envolent…
Au final, tous les prix s’envolent. De l’immobilier (+8,5 % sur un an dans des villes du bassin permien) aux pompes ou aux coffrages de puits (de +20 à +30 % sur un an), l’ensemble des coûts s’alignent sur la « nouvelle donne » du secteur. Ces hausses de coûts ne se ressentent pas encore totalement dans les charges des sociétés productrices car celles-ci ont, pour la plupart, prévu leur plan de forage en début d’année et signé les contrats de service nécessaires avant la hausse des prix.
… et les marges en pâtissent.
Mais les effets du manque de main d’œuvre qualifiée, eux, affectent déjà largement les résultats des sociétés. Celles-ci mettent plus de temps à réaliser les travaux, ce qui consomme l’intégralité de leur marge.
Dernière inquiétude (et non des moindres) : le ratio gaz/pétrole dans la production. Cette inquiétude qui a vu le jour après les dernières publications trimestrielles repose sur le fait que le gaz naturel (co-produit de l’extraction de pétrole de schiste) voit sa part augmenter dans l’extraction au fur et à mesure que la pression diminue dans le réservoir et ce pour des raisons géologiques. Les avis divergent sur l’interprétation de cette donnée, mais s’il se confirmait lors des prochaines publications trimestrielles que la proportion de gaz (notamment dans les gisements du Permien) et continuait d'augmenter, la réaction du marché pourrait être violente…
Les investisseurs réclament à présent une direction plus responsable, centrée sur la rentabilité…Tout ceci est en train d’entraîner une prise de conscience de la part des investisseurs, qui deviennent de plus en plus regardants sur le développement des sociétés d’exploitation de pétrole de schiste. Des fonds activistes sont ainsi en train d’essayer de faire changer les mentalités des dirigeants du secteur. L’idée est que ceux-ci doivent désormais se concentrer sur la rentabilité pour les investisseurs et plus uniquement sur l’augmentation des volumes de production. C’est, par exemple, ce qui a lourdement pénalisé la société Apache, lorsque celle-ci a annoncé que ses investissements dans la production excéderaient ses flux financiers d’un milliard de dollars cette année et que ce serait probablement le cas également en 2018.
Un tel phénomène s’était déjà produit à la fin des années 2000 dans le secteur minier aurifère, entraînant un ajustement des valorisations de ces sociétés.
…et réduisent leurs investissements.
Les faibles performances des actions de ce secteur par rapport au reste de la cote ont notamment fortement diminué les levées de fonds en actions, passées de 34,3 milliards de dollars en 2016 à moins de 6 milliards sur les 9 premiers mois de 2017.
L’enjeu est de taille car l’adoption d’une telle discipline obérerait forcément la capacité de production des sociétés américaines.
Une telle différence, si elle se confirme, devrait avoir des conséquences importantes. D’abord, sur le prix de l’or noir. À l’heure où les pays signataires de l’accord de réduction de janvier (OPEP et pays alignés, Russie en tête) semblent déterminés à tout faire pour soutenir les cours du pétrole (on parle notamment d’une prolongation de l’accord pour 9 mois, jusqu’à fin 2018), l’incapacité des shale à augmenter davantage leur production lèverait toute crainte de voir les efforts du cartel contrebalancés par les acteurs du marché américain.
Cela pourrait permettre au prix du pétrole de repartir de l’avant.
Les actions du secteur des pétroles de schiste aux États-Unis pourraient en revanche fortement pâtir d’une telle situation. De nouvelles déceptions sur la production lors des prochains résultats trimestriels (début novembre) pourraient en effet éloigner les investisseurs de ce secteur. Si la conséquence pouvait être lourde pour les cours des actions du secteur, elle pourrait l’être aussi sur les dettes « corporate », où le coût de financement risquerait de sérieusement augmenter. Certaines dettes, déjà cotées dans le compartiment hautement spéculatif (high yield) pourraient se retrouver en position délicate…