L’entreprise absente du Grand Débat National : aidons celles qui veulent s’engager
Injustice. C’est sur ce sentiment profond que met le doigt la crise des gilets jaunes. Mais dans les thèmes du grand débat, rien ne semble concerner la place que doit jouer l’entreprise dans la répartition des richesses aujourd’hui et demain. Pourtant elles prennent une part centrale dans la solidarité nationale, dans la démocratie au quotidien, dans la répartition des richesses, dans la préservation ou l’épuisement des ressources.
Après les annonces conjoncturelles du Président de la République en décembre, repenser le rôle des entreprises dans les transitions économiques, écologiques et sociales est donc essentiel pour enrayer la fabrique des injustices sur le long terme. Car la France, ancrée dans un fort modèle de répartition, reste quand même championne du monde du versement des dividendes à ses actionnaires et laisse les patrons du CAC 40 se rémunérer en moyenne 280 fois le Smic.
En changeant de modèle, les entreprises peuvent significativement encourager un développement plus respectueux de l’homme et des ressources naturelles, et elles y sont prêtes : selon un dernier sondage Mouves / Aesio réalisé en décembre 2018 par Harris Interactive, plus de 9 dirigeants sur 10 estiment que leurs entreprises ont un rôle important à jouer dans la transition écologique et sociale, et ils considèrent ainsi avoir un rôle au moins aussi important que les pouvoirs publics.
Le gouvernement a récemment décidé d’encourager les entreprises à élargir leur objet social pour intégrer une mission sociale ou environnementale, c’est un premier pas utile pour guider les entreprises françaises mais qui est déjà remis en cause par le Senat ! Alors pourquoi les entreprises qui souhaitent s’engager ne sont pas clairement incitées à se transformer pour prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux avec des solutions qui ont fait leur preuve ? Pourquoi ne pas aussi encourager le développement d’entreprises sociales, solidaires et écologiques aujourd’hui reconnues par l’agrément ESUS, et qui sont les pionnières de ces évolutions ?
L’expérience et la réussite des entreprises engagées démontrent que l’ensemble des entreprises pourraient adopter 5 principes d’action clairs pour faire basculer leur modèle :
- Une répartition plus juste des richesses avec la transparence sur les échelles de salaires, un plafond raisonnable pour les rémunérations des dirigeants en fonction de la taille de la structure et une meilleure répartition des bénéfices,
- Le développement de l’emploi inclusif avec une part plus importante donnée aux plus fragiles via l’insertion professionnelle et l’emploi adapté,
- Plus de partage des décisions et des responsabilités avec une meilleure représentation des salariés et de l’ensemble des parties prenantes dans les instances de décision,
- L’augmentation de leur impact social avec une évolution des statuts en « entreprise à mission » (ajout d’un objet social autre que le profit) ou en « entreprise sociale » (objet entièrement tourné vers l’utilité sociale) avec une évaluation de l’impact régulière,
- La réduction de leur empreinte écologique, la recherche continue d'optimisation des impacts environnementaux de leurs produits et services et un engagement à augmenter la part du Chiffres d’affaires et des partenariats réalisés dans un rayon de 100 km, dans une logique de circuit court et de proximité.
5 clefs qui permettraient aux entreprises de ne plus seulement souhaiter être actrices des grandes transitions, mais de le faire concrètement. Elles pourraient s’accompagner d’une évolution des indicateurs de performance pour prendre en compte, au-delà des bénéfices financiers, les bénéfices sociaux et environnementaux de l’ensemble des organisations. Le grand débat national doit être pour cela un point de départ.
La triple crise de la contribution, de la répartition et de la participation que traverse notre pays n’attend pas seulement les réponses d’un Etat tout puissant, mais percute aussi de plein fouet les entreprises. Plutôt que d’apporter seul toutes les solutions, l’Etat doit aider l’ensemble des corps intermédiaires à y répondre et à se transformer pour le faire.
Nous, entrepreneurs, syndicalistes, ONG, ESS, nous proposons donc aujourd’hui que ce sujet central soit mis clairement à l’agenda du grand débat national et que des décisions courageuses soient prises pour rentrer en vigueur dès 2020. Nous appelons les responsables politiques à prendre leurs responsabilités et à jouer enfin leur rôle pour accompagner ce mouvement enclenché sur le terrain par des milliers d’entrepreneurs d’intérêt général qui n’attendent qu’un acte fort pour le généraliser.
Les signataires :
Jonathan Jérémiasz, Président du Mouvement des entrepreneurs sociaux, Laurent Berger, Secrétaire Général de la CFDT, Pierre-René Lemas, Président de France Active ,Luc de Gardelle, Président de la Fédération des entreprises d’insertion , Frédéric Bardeau, Président de France Eco-Sociale Tech, CEO Simplon.co, Anémone Bérès, Présidente de la Fédération ENVIE , Prosper Teboul, Directeur Général de APF France Handicap , Amandine Albizzati, Présidente d’Enercoop , Hugues Sibille, Président du Labo de l’ESS ,François Dechy, Président du groupe Baluchon,Jean Moreau, Co-fondateur & Président de PHENIX, Emilie Sarrazin, Présidente de Max Havelaar France , Thierry Beaudet, Président de la FNMF, Jean-Christophe Combe, Directeur Général de la Croix Rouge, Jacques Landriot, Président de la CGSCOP, Cécile Duflot, Directrice Générale d’Oxfam France, Emery Jacquillat, PDG de Camif Matelson, fondateur de la communauté des entreprises à mission, Jacques Huybrecht, co-fondateur d’entrepreneurs d’avenir, Jérôme Saddier, Président de ESS France et de l’Avise, Pascal Demurger, Président de la MAIF
Tribune publiée dans Le monde de la semaine dernière avant la clôture du Grand Débat...