La prévention et la réparation des dommages doivent rester une responsabilité pleine et entière des entreprises
La branche AT-MP : doyenne de la Sécurité sociale
Jusqu’en 1898, un salarié victime d’un accident au travail doit prouver la faute de son employeur pour bénéficier d’une réparation de son préjudice, conformément à l’application du droit commun de la responsabilité, dont la mise en œuvre suppose la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux.
Au XIXe siècle, l’industrialisation de la France transforme en profondeur le monde du travail.
Les accidents graves se multiplient, frappant une main-d’œuvre précaire, peu outillée pour faire valoir ses droits. Le système de responsabilité civile, fondé sur la faute, apparaît alors inadapté à cette nouvelle réalité sociale.
Après vingt ans de débats, un compromis social majeur aboutit et la loi fondatrice du 9 avril 1898 instaure un régime dérogatoire d’indemnisation pour les victimes d’accident du travail. Ce régime dérogatoire supprime la notion de faute de l’employeur et met en place une présomption d’imputabilité au bénéfice du salarié.
Dès lors que l’accident (ou la maladie à partir de 1919) remplit certaines conditions, il est automatiquement imputable au travail. Le salarié obtient ainsi une indemnisation automatique, mais en contrepartie forfaitaire, de son préjudice. Initialement à la charge des compagnies privées d’assurance, le risque AT-MP est intégré au sein de la Sécurité sociale avec l’ordonnance du 4 octobre 1945.
Ce texte fondateur consacre la création d’une branche autonome, organisée selon un modèle assurantiel et spécifiquement dédiée à la gestion des risques professionnels.
Son financement repose exclusivement sur les cotisations patronales, en application d’un principe fondamental : l’entreprise qui expose ses salariés à des risques professionnels doit contribuer à leur protection et à la réparation des dommages qu’elle cause.
C’est donc la branche AT-MP qui assure l’indemnisation des salariés victimes d’accident du travail, de trajet ou de maladie professionnelle par le biais d’une prise en charge intégrale des frais de santé et le versement d’indemnités journalières pendant la période traumatique, et aussi le versement d’un capital ou d’une rente viagère en cas de séquelles permanentes.
Au-delà de l’indemnisation, la branche AT-MP joue également un rôle majeur dans la prévention des risques professionnels via les caisses régionales (CARSAT, CGSS, CRAMIF) qui accompagnent les entreprises dans la mise en œuvre d’actions de prévention, financent des équipements ou des formations, et fixent des taux de cotisation modulés en fonction du niveau de risque et de sinistralité.
L’objectif est clair : faire reculer la sinistralité et améliorer les conditions de travail.
Malgré cela, près de 1 million de sinistres professionnels sont reconnus chaque année, dont plus d’un millier sont mortels, et près de 12 milliards d’euros de prestations sont versées. Ces données, déjà inquiétantes, restent pourtant bien en deçà de la réalité en raison d’un phénomène massif de sous-déclaration. Qu’il soit lié à la méconnaissance de leurs droits par les salariés ou à des pressions exercées par les employeurs, ce phénomène fragilise les droits des victimes et fausse l’évaluation des risques professionnels.
C’est également une perte de 2 à 3,6 milliards d’euros par an pour la branche maladie, selon la Cour des comptes, qui prend en charge indûment les soins et les indemnités journalières de victimes de
sinistres professionnels non reconnus.
£Par ailleurs, si la logique assurantielle de ce système protecteur a permis à la branche de rester structurellement excédentaire, cette situation s’est dernièrement détériorée.
Les excédents accumulés ont été régulièrement ponctionnés pour financer d’autres branches ou régimes et des exonérations ciblées de cotisations patronales ont réduit ses ressources. En 2025, la branche AT-MP devient elle aussi déficitaire. Une situation inédite et d’autant plus préoccupante qu’elle remet en cause la viabilité d’un régime financé exclusivement par les employeurs. Ce déficit survient à un moment où la branche est appelée à évoluer.
Les enjeux actuels sont considérables : amélioration du niveau de réparation, reconnaissance de nouveaux risques (souffrances psychiques, cancers professionnels…), renforcement des politiques de prévention… autant de défis qui exigent des moyens pérennes et une volonté politique forte. Préserver la branche AT-MP, c’est préserver un acquis social majeur.
C’est garantir aux salariés une protection digne face aux risques du travail, et rappeler que la prévention et la réparation des dommages doivent rester une responsabilité pleine et entière des entreprises.
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