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18 / 02 / 2025 | 1325 vues
Jean-Louis Lascoux / Membre
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Pourquoi la médiation professionnelle fonctionne ?

À la croisée de la rigueur méthodologique et des dynamiques cérébrales, la médiation professionnelle s’impose comme un art de la raison appliquée aux relations humaines. Là où l’émotion domine, où l’incompréhension s’installe, elle trace un chemin structuré vers la clarification et l’ajustement des postures. Mais qu’est-ce qui la rend si puissante ? En plongeant au cœur des mécanismes neuronaux, nous découvrons une résonance inattendue : une méthode qui épouse les processus mêmes qui façonnent notre perception, notre régulation émotionnelle et nos décisions. Comprendre ces liens, c’est ouvrir la porte à une pratique renouvelée de la médiation, où chaque échange devient un levier de transformation.
 

La médiation professionnelle expliquée par les neurosciences
 

Pourquoi la médiation professionnelle permet-elle de résoudre des différends là où d'autres approches se heurtent à des blocages ? Si la question vaut d'être posée, ce n'est pas en comparant avec les autres méthodes que les vraies réponses se trouvent. Celles-ci se trouvent dans les avancées en neurosciences qui offrent aujourd'hui une opportunité scientifique pour comprendre pourquoi les techniques d'ingénierie systémique relationnelle® (ISR) appliquées en médiation professionnelle sont efficaces.


Un simple constat pourrait permettre de comprendre : la rationalité est le principe rigoureux de structuration de la méthodologie de l'ISR et c'est un phénomène si accessible et systémique du fonctionnement cérébral qu'il nous échappe lorsque la méthode nous fait défaut.


Puisque la communication est une construction cognitive, son organisation suit les mêmes principes de structuration que ceux qui régissent le fonctionnement cérébral. La médiation professionnelle est une pratique de la communication assistée par un tiers, le médiateur professionnel, ce n'est pas une méthode alternative de règlement des différends ; elle se fonde sur le référentiel de qualité relationnelle (Lascoux - 2017).


Mais le scepticisme quant à la rationalité est si fort que sa démonstration ne parvient pas à convaincre et des preuves multiples deviennent nécessaires pour emporter les convictions. Autrement dit, les résistances à la rationalité sont renforcées par des schémas cognitifs préexistants et des biais émotionnels. Et ce n'est pas toujours suffisant tellement la crédulité fait son lit dans les schémas cérébraux !


Ainsi, les principes de la médiation professionnelle ont une correspondance dans les dynamiques neuronales qui gouvernent les processus de prise de décision, de régulation émotionnelle et d'adaptation cognitive.

Plasticité cérébrale et techniques d'ingénierie relationnelle

Le cerveau humain n'est pas figé dans ses représentations. Il révèle une plasticité constante (OCDE, 2007) qui lui permet d'ajuster ses schémas cognitifs et comportementaux en fonction de nouvelles expériences. Cette capacité est exploitée en médiation professionnelle pour accompagner les personnes dans la révision de leurs pensées limitantes et la reconstruction de leurs interactions relationnelles. Contrairement à une approche gestionnaire qui cherche à contenir le conflit par des implicites culturels et des compromis, la médiation professionnelle mobilise des processus cognitifs, par "l'élévation et la déclinaison conceptuelles", pour restructurer la dynamique relationnelle des parties impliquées, lesquels s'avèrent confortés par les observations de la plasticité cérébrale.


Même si certains blocages peuvent paraître échapper à la médiation professionnelle en raison d’influences externes, sa structuration cognitive reste un levier clé pour accompagner les parties et favoriser des ajustements relationnels. Aborder les mécanismes qui échappent à l'intentionnalité est une voie très opérationnelle.

Savoir faire réfléchir et prendre des décisions

Le fonctionnement du cerveau repose sur un équilibre entre l'amygdale, centre de la régulation émotionnelle, et le cortex préfrontal, siège de l'analyse rationnelle. Lorsque les émotions prennent le dessus, les capacités de prise de recul et d'évaluation des conséquences sont altérées. Une posture exclusivement centrée sur la personne, caractéristique de l'altérocentrage, typique de la médiation professionnelle (Lascoux - 2017, 2019), favorise la mobilisation du cortex préfrontal, parce qu'elle engage un processus d'appropriation conceptuelle. L'échange entre le médiateur et son interlocuteur favorise un cheminement qui l'amène à dépasser ses réactions impulsives et de structurer sa prise de décision. L'identification des invariants de l'adversité, détaillés et analysés, permet d'interrompre les boucles répétitives d'entêtement, lesquelles sont souvent renforcées par les approches fondées sur les modèles de 'gestion des conflits' et de négociation priorisant les enjeux et les intérêts, au détriment des révisions de positionnements. Contrairement à la méthode de négociation dite 'raisonnée' (raisonnable - cf. la méthode de Roger Fisher et William Ury), il est essentiel de recentrer l'approche sur les positionnements eux-mêmes, plutôt que de privilégier les intérêts apparemment en présence.

La médiation professionnelle a-t-elle des limites ?

Si la médiation professionnelle repose sur des principes fondés sur l’usage de la raison, certaines situations de conflit présentent des imbrications relationnelles qui peuvent compliquer la dynamique de résolution. C’est notamment le cas lorsque des acteurs multiples, bien qu’invisibles dans l’échange direct, influencent lourdement les positions des parties en présence.


Ce type de situation se retrouve dans les conflits internationaux où des dirigeants politiques ou économiques externes sont impliqués. Les décisions prises en apparence sur des bases rationnelles peuvent être, en réalité, contraintes par des obligations tacites qui grèvent toute marge de négociation réelle. Les intérêts non dits, voire la corruption, et la confusion identitaire sont les causes principales de la dénaturation du processus. Les protagonistes ne sont parfois même pas en capacité d’envisager une réflexion sur les fondements de leur posture, sinon par des arguments contradictoires et toujours dans la surenchère, au mépris de la crédibilité. Ce type de comportement n'est pas facile à restituer par le médiateur, qui se trouve confronté à des manifestations ostentatoires de légitimité. Ici, il peut sembler que seul le temps ou le changement d'interlocuteur pour représenter la cause puisse permettre de venir à bout du différend. Or, c'est la difficulté de l'identification des facteurs de conflit qui constitue l'obstacle principal. Dans ces situations, la capacité du médiateur (son audace !) à restituer les facteurs bloquants devient déterminante.


Dans ces situations, la médiation professionnelle peut être entravée non par une absence de rationalité des parties directement concernées, mais par l’existence de jeux d’acteurs externes qui conditionnent en amont les décisions et verrouillent les évolutions possibles. L’accompagnement des individus reste possible et pertinent, mais il ne saurait suffire à lui seul à déconstruire des mécaniques de blocage qui sont entretenues par des acteurs tiers, absents du processus de médiation. Dans tous les cas, c'est le développement des compétences du médiateur, éventuellement assisté par une équipe de supervision, qui doit être interrogé. De fait, avec moins de 30 ans d'existence, la pratique méthodologique est récente et l'expertise est en actualisation permanente ; cette mise en parallèle avec les neurosciences en est une démonstration.

Etes-vous réellement maître à bord de vous-même ? 

L'ingénierie systémique relationnelle®, appliquée en médiation professionnelle, repose sur une analyse précise des interactions humaines. Elle ne se contente pas d'encadrer les discussions, mais s'appuie sur des principes rigoureux qui facilitent l'émergence de solutions durables. Le modèle systémique des interactions en communication permet d'identifier les freins neuronaux à la coopération, favorisant ainsi une approche rationnelle des différends. Cette démarche s'inscrit dans une perspective scientifique où la compréhension du fonctionnement cérébral devient un levier essentiel pour transformer les conflits et promouvoir l'entente sociale.


Il est possible de comprendre ce qui se passe dans le cerveau d'une personne lorsqu'elle énonce ce qui est créateur de son adversité de la part de la partie adverse, et aussi lorsqu'elle comprend ce qui de sa part peut générer la conflictualité de la part de l'autre. Cette prise de conscience repose sur des ajustements neuronaux où l'activité du cortex préfrontal intervient pour analyser, structurer et apaiser les perceptions initiales.


Comprendre ce qui alimente l’adversité, et ce qui dans notre propre posture peut générer du conflit, est un travail qui mobilise des ajustements neuronaux précis. Ces ajustements sont soutenus par plusieurs neurotransmetteurs clés :

  • dopamine : facilite la réévaluation cognitive et la motivation à adopter de nouvelles stratégies.

  • sérotonine : stabilise les émotions et réduit les biais négatifs.

  • ocytocine : favorise la confiance et l’ouverture à l’autre.

Avec les mécanismes activés, c'est une meilleure régulation cognitive et émotionnelle qui ouvre la voie à des réajustements des dynamiques conflictuelles - dont la durabilité reste circonstancielle.

L’intégration de ces données par le cerveau favorise un ajustement progressif des réponses cognitives et émotionnelles, permettant ainsi une meilleure régulation des émotions.

Qu'est-ce qui, en vous, pilote votre communication ? 

Les réponses en situation de conflit sont liées aux mécanismes neurocognitifs qui sous-tendent la prise de décision et la régulation comportementale. En ingénierie systémique relationnelle (Lascoux - 2017, 2019), les Prêts d’Intention Négative (PIC), Interprétations jugeantes et Contraintes, lorsqu’ils s’accumulent, génèrent un phénomène de surenchère (S3), amplifiant les réactions émotionnelles et réduisant la flexibilité cognitive.

D’un point de vue neuroscientifique, ces dynamiques émotionnelles négatives sont associées à une activation excessive de l’amygdale, structure impliquée dans la détection des menaces et la régulation des réponses défensives (LeDoux, 1996). Une hyperactivation de l’amygdale est corrélée à une diminution des capacités de raisonnement et à une rigidité cognitive accrue (Etkin, Egner & Kalisch, 2011), ce qui se croise aisément avec les phénomènes d'entêtemlent typique de la conflictualité.

À l’inverse, le cortex préfrontal dorsolatéral (CPFDL) joue un rôle fondamental dans l’évaluation rationnelle des situations et le contrôle des impulsions émotionnelles (Miller & Cohen, 2001). Une activation plus marquée du CPFDL est associée à une meilleure régulation émotionnelle, ce que la pratique de la reconnaissance ne peut que produire favorablement, pour la prise de recul et l’élaboration d'une disposition adaptée pour faire baisser la tension.

L’hypothèse centrale est donc que l’intervention méthodologique du médiateur professionnel, par un processus structuré de restitution de sens et d’altérocentrage, permettrait à la fois :

  • une réduction de l’activation de l’amygdale en réponse aux stimuli conflictuels, limitant les réactions impulsives et défensives.

  • une augmentation de l’activation du cortex préfrontal dorsolatéral, facilitant une restructuration cognitive et une prise de décision rationnelle en contexte de conflit.

Cette hypothèse est soutenue par les travaux de Bogdan Draganski sur la plasticité cérébrale, qui ont démontré que des pratiques cognitives soutenues, comme la médiation et la régulation des interactions, peuvent induire des modifications structurelles du cortex préfrontal et améliorer les capacités de gestion émotionnelle (Draganski et al., 2004).

Ainsi, en rétablissant un équilibre fonctionnel entre les structures limbiques et les régions préfrontales, la médiation professionnelle apparaît comme une approche méthodologique susceptible de transformer les dynamiques de conflit en opportunités de réorganisation cognitive et relationnelle.

Ainsi, loin d'être une approche intuitive ou purement empirique, la médiation professionnelle s'impose comme une discipline fondée sur la rationalité du fonctionnement cérébral. Elle repose sur des principes scientifiques qui lui confèrent une efficacité objectivable, en résonance avec les dernières avancées en neurosciences. La prise en compte de la neuroplasticité et de la dynamique régulative du cerveau offre une explication à son succès, tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour l'accompagnement des individus en situation de conflit.

Une profession désormais multiservices

Ces observations sont de nature à nous permettre d'envisager une tout autre conception du fonctionnement cérébral que celle qui tend à faire autorité actuellement (modèle prédictif). Et c'est à partir de cette approche que nous pouvons entrevoir de nouvelles perspectives de recherche et d'innovation, questionner les paradigmes établis. nous pouvons déjà envisager des applications inédites en matière de relations interpersonnelles, sociales, de management et de gouvernance, voire dans le champ des technologies de communication. La profession de médiateur, formée avec les techniques d'ingénierie relationnelle, fait sortir la médiation de ses improvisations hasardeuses. Il résulte de cette étude une forte invitation à s'approprier les techniques de la médiation professionnelle. Cette pratique de la communication assistée par un tiers a désormais trois branches : accompagner les individus (médiation introspective), les interactions (médiation concertative) et les organisations (médiation contributive). 

 

Références

Mots clés 

Adaptation cognitive, Amygdale, Altérocentrage, Conflit, Contraintes, Cortex préfrontal, Décision, Dynamique relationnelle, Entente sociale, Gouvernance, Ingénierie systémique relationnelle (ISR), Interaction humaine, Interprétations, Médiation professionnelle, Modèle systémique, Neuroplasticité, Neurosciences, PIC-, Plasticité cérébrale, Prêts d’Intention Négative, Processus cognitif, Régulation émotionnelle, Rationalité, Surenchère

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