Associations - pouvoirs publics : Le double lien, la double contrainte
S’engager dans le milieu associatif, c’est accepter d’avoir l’impression, certaines fois, de vivre une scène de « un jour sans fin », ce film dans lequel chaque jour revient de manière répétitive, dans l’attente du réveil de la marmotte, avec quelques petites différences. Si dans ce film, les choses semblent s’améliorer petitement ; dans la vie associative, les actes et les paroles se répètent et s’enveniment !
Ainsi, nous pensions avoir touché le fond avec l’application dévoyée du contrat d’engagement républicain (voir article Les Brèves du CIRIEC – avril 2023(1) : « Charte des Engagements Réciproques ou Contrat d’engagement républicain (CER) : de la co-construction à la déconstruction »), mais l’imagination n’a pas de limite et « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ».
C’est ainsi que nous nous retrouvons avec certaine ministre ou certains élus qui trouvent tous les prétextes pour supprimer les financements des associations entraînant le déclin voire la mort de celles-ci. L’exécutif comme le législatif sont partagés dans ce « double lien », cette double contrainte (au sens de Gregory Bateson : « Le double lien (ou double bind) désigne une situation dans laquelle un partenaire émet simultanément deux messages contradictoires ») qui consiste à reconnaitre l’importance et l’utilité des associations et la pensée (actée !) qu’il faut les supprimer.
Le CER, mais pas que ...
Le communiqué de presse du Mouvement associatif du mercredi 28 février est une preuve de cette injonction paradoxale entre la reconnaissance d’un fait (l’utilité des associations) et la dérive politique et idéologique (la suppression de ces mêmes associations) par la menace de l’arrêt de toute subvention, voire la suppression de tout agrément quand elles ne répondent pas à ce qu’en veulent les pouvoirs publics : « nous aurions tort de cantonner le sujet des libertés associatives à celui du CER.
Ainsi, nous tenons à alerter, comme cela était déjà le cas au moment où la Ligue des Droits de l’Homme avait été prise pour cible par le ministre de l’Intérieur, sur la tentation de contraindre davantage la subvention.
En ce sens, les positions défendues par la Ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes le 12 février dernier, qui menace de supprimer les subventions aux associations féministes qui auraient tenu des « propos ambigus » sur l’attaque du 7 octobre, sans possibilité de recours, ne sont pas acceptables.
Ces déclarations contribuent à considérer encore davantage les subventions comme un fait du prince. Une subvention ne sert pas à valider une ligne politique. Une subvention sert un projet associatif qui vise l’intérêt général. »
Non seulement il existe de plus en plus de liens de subordination entre les associations et les pouvoirs publics, mais ceux-ci deviennent des liens de quasi vassalisation lorsque la menace de l’arrêt de la subvention devient l’Alpha et l’Omega de la relation.
D’autres élus sont critiques à l’égard de ces associations qui ne vont pas dans le sens de ce qu’ils veulent, ainsi que le souligne le Mouvement associatif dans le même communiqué : « comment ne pas s’insurger quand un député déclare qu’à Mayotte "Les associations humanitaires jouent un rôle considérable dans l'immigration massive" les assimilant en complice des passeurs ?
La complexité de la situation mahoraise appelle à davantage de hauteur de la part des élus. Il aurait été opportun de rappeler par ailleurs l’importance de l’action des associations locales pour tenter de combler aux manques de l’État.
À ce titre, Parfois accusées d'éco terrorisme, d'autres fois blâmées pour des "propos ambigus" ou encore accusées d'être "complices des passeurs", les associations sont désormais la cible privilégiée de ceux qui cherchent à restreindre la liberté d’association. »
Le Mouvement associatif fait des propositions pour retrouver des relations saines et correctes : « Les associations sont plutôt une force indiscutable pour notre pays, où la démocratie se vit concrètement.
Nous devons rétablir cette confiance entre les associations et les pouvoirs publics. À un moment où le monde associatif traverse une crise sans précédent avec une diminution drastique de ses ressources, les associations et les 20 millions de bénévoles qui s'y investissent méritent mieux que le mépris et la suspicion généralisée. »
Et pourtant, le Sénat écoute ...
L’image du paradoxe de ces interprétations et décisions peut se voir dans la réunion de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat (2) qui s’est tenue le mercredi 28 février pour rencontrer des représentants du monde associatif (BOUCHON François (Président de France Bénévolat sur la situation du secteur associatif)BRUNEAU Chantal (Viceprésidente du Haut Conseil à la vie Associative)HUET Mickaël (Délégué général du Mouvement associatif)) sur la question : « Comment accompagner le secteur associatif et valoriser l'engagement associatif ? », cette commission préparant le passage devant le Sénat d’une proposition de loi sur ce thème, le 13 mars.
Laurent Lafon, président de cette commission commence la présentation des travaux en soulignant : « vecteurs d’engagement et créateur de lien social, elles (les associations) jouent un rôle fondamental sur l’ensemble de nos territoires.
Le monde associatif a été durement touché au moment de la crise sanitaire avec une baisse du nombre de bénévole autour de 15% entre 2020 et 2022. Le secteur fait face à de nouveaux défis, de nouveaux enjeux qui peuvent le fragiliser.
Qu’il s’agisse de l’évolution des formes d’engagement, des effets de l’inflation sur leur trésorerie ou encore du poids des contraintes administrative sur leur fonctionnement. » Catherine Belrithi considère « le secteur associatif est un secteur primordial pour notre société et notre économie. » tandis que pour Jeremy Bacchi « le secteur associatif est un ciment de valeurs républicaines et comme vecteur de création de lien social. Sans la vie associative et sans le bénévolat nous aurions des fractures plus importantes que ce que nous pouvons connaitre » Yan Chantrel, rapporteur de la commission indique pour sa part : « en tant que rapporteur, je ne peux que déplorer les coupes budgétaires, d’autant plus que le budget initial avait été rejeté par la commission.
Cette coupure est de 130 millions concernant spécifiquement la vie associative. Alors même que cette commission va étudier un texte destiné à soutenir les associations et l’engagement bénévole. ». (voir à ce propos : https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2024/le-projet-de-loide-finances-et-les-documents-annexes-pour-2024/budget-general-2024/sport-jeunesse-et-vie-associative dans lequel se trouve le BOP 163 destiné au financement « de la jeunesse et de la vie associative »)
Eh oui, il remarque combien le paradoxe est grand quand on demande à des élus de peuple de trouver des solutions pour aider les associations dans leur développement et leur engagement « en même temps » (dit sans moquerie aucune !) qu’on en restreint les libertés et les moyens. Mais ce qui est encore plus paradoxal, c’est cette habitude du « stop and go » gouvernemental.
Des mesures sont prises, souvent sans étude préalable, seulement sorties des idées de ceux qui dorment 3 à 4 heures par nuit (interventions du président de la République et du premier ministre), puis suspendues sans véritable évaluation ; d’autres sont maintenues alors que chacun reconnait qu’elles font doublon ou que leur efficacité n’est pas démontrée.
Ainsi, Annick Billon demande ce qu’il en est du passeport bénévole, Patrick Kanner de l’impact de la disparition des emplois aidés depuis 2017 (« estce que le monde associatif s’est relevé de ce que moi (P Kanner) j’appelle un mauvais coup ? ») constatant que le service civique, dont tout le monde reconnait l’utilité, n’a pas augmenté, stagnant à 150.000 jeunes alors qu’il pourrait y en avoir beaucoup plus tandis que dans le prochain budget le Service National Universel (SNU) va augmenter de 14% !
Colombe Brossel apporte une conclusion qui résume bien l’ensemble de ce paradoxe : « les 130 millions de baisse des financements des associations viennent dans la suite des mauvais coups déjà faits antérieurement avec la suppression des contrats aidés et celle de l’ISF.
Quelle évaluation a été faite des CER et quelle conséquence à sa mise en place ?
La ville de Paris a fait le choix de la charte d’engagement réciproque (note du rédacteur : qui est une mesure de concertation bi voire tripartite, pas une disposition d’imposition unilatérale) ».
Le monde associatif propose ...
Les représentants du monde associatif ont apporté les réponses utiles pour que les sénateurs et sénatrices puissent avoir une information plus complète sur ce que vivent aujourd’hui les associations :
- Mieux renforcer l’engagement des actifs et faire face au déclin de l’engagement des séniors.
- Mettre en place des mesures pour que le congé bénévole soit plus mobilisé
- Sur les financements : simplifier les conditions de prêt entre les associations
- Les coupe budgétaires annoncées et en particulier celles sur le BOP 163 sont graves et peuvent impacter fortement le service civique. Il faudrait qu’il y ait plus de moyens donnés aux services civiques.
- Le Mouvement associatif demande la suppression du CER en raison de sa mauvaise utilisation par les collectivités territoriales. Il y a des outils qui sont dans une relation de confiance entre État, collectivités, associations
- Il y a un cadre contractuel en France sur le volontariat, il ne faut pas confondre les bénévoles et les volontaires. Le bénévolat est plutôt réservé aux CSP+ en raison de son coût pour les bénévoles (déplacements, ...). Il y a une fracture associative. Il est demandé un crédit d’impôt pour les bénévoles afin de permettre un investissement de tous ceux qui le veulent
- Il faut trouver les moyens de permettre aux jeunes de prendre des responsabilités face au désengagement de plus âgés.
- Le terme de volontaire définit une relation contractuelle précise. Le choix d’appeler volontaires des personnes intervenant au cours des jeux olympiques peut faire l’objet d’une jurisprudence, de poursuites de ceux qui embauchent ces volontaires.
- Demandes concernant les emplois associatifs :
- Création d’emplois aidés sous forme d’emplois d’utilité citoyenne (à mettre en place de manière expérimentale),
- Suppression de la taxe sur les salaires pour les associations,
- Augmentation du montant de l’unité FONJEP (7200 euros, non modifié depuis sa création).
... Mais sera-t-il écouté ?
Au terme de cette séance travail, nous reprendrons volontiers l’interrogation de Patrick Kanner sur la prise en considération du monde associatif. Il s’interroge en effet sur le véhicule législatif proposé : « pourquoi une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi porté par le gouvernement avec une étude d’impact et un avis du conseil d’état. Est-ce suffisant face aux enjeux sociétaux que représente la vie associative ? »
La réponse n’est-elle pas contenue dans la question ?
La vie associative est constamment dans un « double lien » (je t’aime et je te déteste) avec les pouvoirs publics : on utilise les associations quand on en a besoin, quand on veut développer à moindre coût, quand les politiques gouvernementales ne répondent plus mais qu’il faut afficher quelque chose et surtout quand on ne veut pas pérenniser une politique publique, mais la fragiliser en ne prenant pas les moyens de sa mise en place, ....
Mais on a une considération moyenne à l’égard de ceux qui passent pour des amateurs au yeux des tenants d’une économie libérale (alors même que les niveaux de qualification universitaire, professionnelle, sociale des membres des associations – bénévoles comme salariés - peuvent souvent permettre d’en remontrer à certains décideurs), dans la mesure où les associations ne sont pas dans un objectif de lucrativité, mais de création de richesse sociétale, de lien social, de réponse à l’intérêt général.
Alors, oui, nous sommes dans un paradoxe permanent et la relation entre associations et pouvoirs publics est souvent faite de rejet/reconnaissance.
Nous n’avons pas de tracteurs pour faire entendre notre voix, mais nous devrions démontrer l’utilité des associations en cessant toute activité durant quelques jours pour être mieux considérés. Notre dépendance aux financements publics nous rend fragiles alors même que nous sommes des acteurs essentiels et reconnus dans les territoires, porteurs du lien social et de la défense de l’intérêt général. La commission du Sénat n’a fait que confirmer cette importance.
Augurons que le rapport de cette commission ne serve pas à caler les armoires des ministères et retrouvons des liens sains entre associations et État. ▪
(1) https://ciriec-france.org/ciriec/custom/module/cms/content/file/newsletters/Lettres_2023/Lettre_04_2023.pdf
(2) https://videos.senat.fr/video.4409104_65dedd7ccc958.comment-accompagner-le-secteur-associatif-et-valoriser-l-engagement-associatif--