La jeunesse au ministère des Armées : pourquoi ?
Le ministre ou le secrétaire d'État chargé de la Jeunesse est membre du gouvernement français. Il est généralement sous la tutelle du ministre de l'Éducation. Depuis le 4 juillet 2022, Madame Sarah El Haïry est secrétariat d'État chargée de la Jeunesse et du Service national universel.»
Et alors ? me direz-vous !
Alors, sur le site officiel du Gouvernement présentant les différents ministres et secrétaires d’État, Madame El Haïry est présentée comme « secrétaire d'État auprès du ministre des Armées et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, chargée de la Jeunesse et du Service national universel ».
Voilà ce qui peut interroger sur la volonté d’inscription de la jeunesse dans un ministère de tutelle qui n’est pas connu pour avoir une politique jeunesse prenant en compte tous les éléments de ce qui compose la (ou plutôt les) jeunesse(s).
Depuis la création de la Vème République, aucun ministre, secrétaire d’État, haut-commissaire, ... n’a été rattaché au ministère des Armées et là, il y a une vraie interrogation sur ce que cela cache de ce que l’on veut faire de la jeunesse.
Un rattachement de la jeunesse au fil des gouvernements et des ministères
Un regard attentif sur les différents ministères de notre Vème République (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ministre_de_la_Jeunesse_(France) montre clairement une orientation particulière, selon les gouvernements successifs et les conceptions idéologiques qu’ils ont défendues, mais le cadre a toujours été celui du rattachement à l’une des deux problématiques essentielles de la jeunesse : les sports et les loisirs (voire le temps libre pour certains) et l’éducation (au sens institutionnel et d’apprentissage, d’acquisition de la citoyenneté).
34 ministres, secrétaires d’État ou hauts commissaires de la jeunesse depuis la première nomination, le 27 septembre 1958, de Maurice Herzog ; parmi eux 4 l’ayant été deux fois.
Mais au-delà du chiffrage du nombre de ministres, ce qui est essentiel est le sens de leur nomination. Rattacher la jeunesse à un ministère des sports (et des loisirs) voire du temps libre (gouvernements Mauroy 1 et 2) ou de la qualité de vie (gouvernements Chirac 1 et Barre 1) n’a pas la même signification que de le faire auprès d’un ministère de l’éducation. Y ajouter, pour un certain nombre de ministres la vie associative (gouvernements Raffarin 3, Villepin, Fillon 2 et 3, Ayrault 1 et 2) est aussi symbolique des partenariats à engager sur une intervention commune pour la jeunesse.
Mais tout aussi symbolique est le rattachement aux « Solidarités Actives contre la pauvreté » (gouvernement Fillon 1) ou à la Ville (Valls 1). Ces deux rattachements sont sans doute ceux qui devraient le plus nous interroger car stigmatisantes pour la jeunesse : la cantonner à la question des solidarités contre la pauvreté ou à la politique de la ville est porteur de présupposés sur les comportements et/ou les conséquences de la vie dans certains quartiers.
Il n’y a plus, dans ce cas, d’approche globale des jeunesses mais seulement une politique orientée vers une catégorie spécifiée de certains jeunes au regard d’orientations politiques plus marquées par des a priori que par une réelle prise en compte de ce que sont les jeunes dans une société en évolution mais quelquefois peu en phase avec eux.
Sports et loisirs ou éducation ? ...
Tout cela n’est pas qu’une question de symbole, c’est primordialement une question d’orientation politique, de choix sociétal pour l’avenir de la jeunesse, c’est donner plus de sens à l’une des approches qu’à l’autre. Et il n’y a là aucun jugement sur le meilleur choix à opérer entre les deux domaines privilégiés jusqu’à présent (sports et loisirs ou éducation) car on peut supposer que les acteurs qui y interviennent sont autant préoccupés de l’évolution des apprentissages que du développement intellectuel, physique, social... des jeunes qui leur sont confiés.
Mais là, le virage doit nous interroger. Confier la question de la jeunesse à une tutelle bicéphale est à regarder de près : l’éducation et l’armée !
Pour l’éducation, nous avons dit ce que nous pouvions en dire en quelques mots, bien que cela demande des développements plus importants, en particulier sur ce qu’est une politique d’éducation qui peut soit formater les jeunes, soit les faire grandir, soit en faire des individus obéissants, soit en faire des citoyens avec leur libre déterminisme... et la liste serait longue des différentes options qu’offre l’éducation dans nos sociétés.
Non ! Armée ...
Mais ce qui doit nous interroger est ce rattachement à l’Armée. Comment peut-on rattacher la jeunesse à l’Armée ?
Cette interrogation est d’autant plus forte que la secrétaire d’État, bien qu’ayant une tutelle de deux ministères, est décrite prioritairement comme rattachée au ministère des Armées et que ses bureaux sont à l’Hôtel de Brienne, 14 rue Saint-Dominique, qui abrite les bureaux du ministre des Armées. On ne peut pas faire plus proche !
Sur le site vie publique du gouvernement, nous avions quelques raisons d’espérer une politique ouverte pour la jeunesse en Europe : « Les jeunes ont été particulièrement touchés par la crise sanitaire du Covid-19, en raison des perturbations dans le domaine éducatif, de l’isolement social, des pertes d’emplois, de revenus et d'évolution de carrière. Selon l’ Organisation Internationale du Travail (OIT), ces difficultés pourraient entraîner l'émergence d'une "génération du confinement".
"L'Année Européenne de la Jeunesse " , lancée en 2022 sous la présidence française du Conseil de l'UE, a pour but de rétablir des perspectives positives pour les jeunes Européens qui subissent les conséquences de la pandémie. Les députés européens ont voté un budget de 8 Millions d'euros , provenant d'Erasmus+ et du Corps Européen de Solidarité pour soutenir ce programme.
Celui-ci est axé sur quatre objectifs :
- Inclure les jeunes dans l’élaboration des politiques européennes, travers notamment la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui doit se conclure au printemps 2022 ;
- Promouvoir les possibilités que les politiques de l’UE offrent aux jeunes afin de soutenir leur développement personnel, social et professionnel ;
- Souligner les opportunités que représentent les transitions écologique et numérique ;
- Intégrer la politique de la jeunesse dans toutes les politiques de l' Union environnement, éducation, culture… »
Si cette volonté européenne est à souligner, qu’en est-il des politiques jeunesse en France si celles-ci sont confiées au ministère des Armées ?
Le prétexte sans doute avancé est celui de la prise en compte du Service National Universel par les Armées et qui justifierait que la secrétaire d’État y soit rattachée. Mais dans ce cas, n’aurait-il pas mieux valu que le Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse ait en charge les politiques de jeunesse et que la secrétaire d’État lui soit rattachée (et uniquement à lui) pour la gestion/coordination du SNU ?
D’autant que la description du SNU sur le site du Gouvernement indique : « Vous avez entre 15 et 17 ans, vous êtes de nationalité française, vous souhaite participer la construction d'une société de l’engagement, bâtie autour de la cohésion nationale, ne ratez pas les inscriptions du Service national universel ! »
Mettre en avant la question de l’engagement n’est pas sans nous interroger au moment où le Gouvernement lui-même (sans parler de toutes les initiatives des acteurs associatifs de l’éducation, de l’éducation populaire, des sports, de l’environnement, du développement durable, de la vie sociale, de la solidarité...) met en place des dispositifs particuliers liés (même si certains existaient avant) à l’année européenne de la jeunesse (https://jeunes.gouv.fr/L-annee-europeenne-de-la-jeunesse-10336), portés par d’autres ministères compétents en matière de jeunesse, d’emploi, de cohésion sociale ou ..... d’engagement :
- « Le Service Civique est une expérience unique pour ê général de 6 à 12 mois, ouvert sans condition de diplôme aux jeunes de 16 à 25 ans, jusqu 'à 30 ans en situation de handicap. D'une durée hebdomadaire de 24 heures minimum, il est indemnisé au moins 580 € par mois.
- Le Corps européen de solidarité est un programme financé par l'Union européenne. Il offre aux jeunes entre 18 et 30 ans la possibilité de se porter volontaires et de mener des projets de solidarité au bénéfice de collectivités dans toute l'Europe.
- JeVeuxAider.gouv.fr est la plateforme publique du bénévolat, proposée par la Réserve Civique. Elle met en relation celles et ceux qui veulent agir pour l'intérêt général avec les associations, établissements publics et communes qui ont besoin de bénévoles. Les missions de bénévolat sont ouvertes à toute personne âgée de plus de 16 ans et résidant en France, sans condition de nationalité.
- Les élèves ont la possibilité de dans leur établissement en faveur du climat, de la biodiversité, et plus globalement en faveur du développement durable : depuis la rentrée de septembre 2020, des éco-délégués de classe sont élus dans chaque classe de collège et de lycée. »
Il y a donc, forcément, une autre explication à ce rattachement. Pourquoi ?
Afin de ne pas être taxé d’antimilitarisme primaire, nous laissons le sujet en suspens en nous posant trois questions :
- Pourquoi la jeunesse est-elle sous la tutelle du ministère des Armées ?
- Quelles raisons dictent ce lien entre l’institution militaire, l’éducation et la jeunesse ?
- Le ministère de l’Éducation peut-il se laisser dicter des orientations de politique jeunesse par le ministère des Armées ?
Ne le cachons pas, cela provoque une juste inquiétude sur les dérives possibles d’une « mise au pas » de la jeunesse, au moment où il est constaté, pour un certain nombre de jeunes, une perte des cadres sociaux, une recrudescence de comportements de rupture, en même temps que pour d’autres, il y a demande de vivre une vie « ayant du sens » (en particulier dans le secteur professionnel).
Mais la réponse doit-elle être militaire ou doit-elle être un sursaut de tous les ministères concernés dans une politique systémique en direction et avec la jeunesse ?
À nous tous, acteurs des politiques publiques et des structures de l’économie sociale et solidaire de faire des propositions conjointes pour oeuvrer ensemble dans un cadre laïque et républicain.