« La réforme des retraites est le fruit d’une volonté politique et non d’une nécessité économique » - Jean-Paul Segade, CRAPS
Jean-Paul Segade, nouveau président du Club de réflexion sur l'avenir de la protection sociale (CRAPS) a bien voulu répondre à nos questions et faire le point sur les importantes contributions de ce « laboratoire d'idées » depuis une dizaine d'années maintenant, dans les débats sur la protection sociale...
Vous venez d’être élu président du CRAPS ; quelles sont vos ambitions ?
Il y a dix ans, Jean-Claude Mallet eu une idée ambitieuse, en tout état de cause inédite, de créer un espace de réflexion et d’expression relatif aux enjeux contemporains de cette exception française qu’est la protection sociale. C’était avec beaucoup d’enthousiasme que j’avais d’abord accepté de prendre part à cette aventure puis avec beaucoup de fierté que j’avais ensuite accepté d’intégrer le bureau en tant que vice-président. Dix ans après, Jean-Claude Mallet a décidé de remettre son mandat au comité directeur et m’a proposé de lui succéder. J’ai accepté cette tâche tout en en mesurant la complexité.
Laboratoire d’idées consacré à la protection sociale et, à ce titre unique, le CRAPS a été reconnu par les pouvoirs publics dès 2015, lui conférant un caractère d’intérêt général à caractère scientifique grâce à la qualité de ses membres et de ses partenaires, dont chacun reconnaît l’expertise, la notoriété et la qualité des travaux. Nous devrons ainsi sauvegarder cet héritage et cet ADN qui fait la force de notre collectif. Différents enjeux s’offrent à nous, le premier est probablement un renouvellement générationel indispensable à l’évolution du CRAPS.
Je souhaite à cet égard que nous engagions cette démarche essentielle avant la fin de l’année. De plus, notre engagement sociétal et notre obligation de représentativité doivent également nous conduire à plus de mixité. Par ailleurs, à l’instar des événements du premier semestre, il paraît nécessaire de poursuivre notre volonté d’inviter des personnalités politiques et économiques de premier plan afin de placer nos réflexions et nos productions au cœur des débats sur les réformes engagées ou futures.
Je souhaite également que nous accentuions nos actions de sensibilisation à la fois auprès du grand public et surtout auprès des plus jeunes, afin d'éclairer ceux-ci sur les enjeux contemporains, de ce qui est le ciment de notre société, c’est-à-dire la protection sociale. Déjà quatre nouvelles vidéos seront proposées aux lycéens et collégiens, grâce au partenariat que nous avons noué avec la fondation Charles de Gaulle et le réseau Canopé.
Enfin, il est indispensable que nous puissions évoquer les politiques sociales mises en place dans d’autres pays. Pour ce faire, nous travaillons actuellement sur ces sujets avec les conseillers sociaux d’ambassades et l’OIT avec qui nous portons une volonté commune d’échanges.
Vous avez récemment publié « territoires de santé, nouvelles frontières » dans la collection des cahiers du CRAPS quelles sont vos propositions et que pensez-vous de la crise des urgences ?
N’y voyez aucune provocation mais je pense que l’octroi de moyens supplémentaires aux services d’urgences ne résoudra pas la crise que nous traversons. Nous devons avoir le courage de procéder à une évaluation des ressources actuelles avant d’injecter des moyens supplémentaires et revoir la coordination des acteurs. La réponse à la crise doit passer par une optimisation des ressources (qu’elles soient médicales, soignantes ou sociales) mais également par une nouvelle organisation territoriale du dispositif, comme cela a par exemple été le cas du Danemark en 2007, qui a fait de la médecine de ville l’acteur central de la régulation de l’offre de soins tout en responsabilisant le malade. Par ailleurs, l’ouvrage Territoire de santé, nouvelles frontières apporte analyse et propositions, la commission évoque un nouveau contrat fédérateur qui permettra à l’ensemble des acteurs de redéfinir leurs responsabilités, de donner un nouveau souffle aux territoires afin qu’une organisation adaptée et réaliste soit mise en place sans impératif réglementaire ou unitaire.
En janvier, vous avez publié un ouvrage intitulé Retraite, un patrimoine collectif ; la réforme des retraites proposées par le gouvernement vous semble-t-elle plus juste ?
Les Français sont très attachés à leur système de retraite, constitutif d’une protection sociale des plus complètes au monde. Présidée par Patrice Corbin, la commission du CRAPS a travaillé en amont des décisions gouvernementales, c’est-à-dire sans connaître dans le détail ni les modalités, ni le calendrier de la réforme ; cela s’est avéré être un avantage méthodologique.
L’un des débats qui a occupé la commission était de savoir si une réforme majeure du système de retraite était souhaitable. La commission a laissé la question ouverte, considérant que la réforme des retraites est le fruit d’une volonté politique et non d’une nécessité économique mais le pouvoir politique est légitime à réformer.
En réalité, certaines problématiques liées aux mécanismes actuels peuvent être palliées par une simple loi. Cependant, il s’agit d’être vigilant car l’on ne fait pas une réforme de cette ampleur sur un slogan comme il ne faudrait pas que l’on renverse le cadre général de notre système de retraite par répartition par des mesures techniques successives.
Si nous souhaitons revoir l’ensemble du mécanisme, nous devrons également nous soucier des questions périphériques, notamment de la question de la gestion des fins de carrière, de la pénibilité et des phénomènes liés au vieillissement.
En soi, un régime universel n’est pas une mauvaise idée mais la question d’un régime unique revient à promouvoir un égalitarisme qui ne répondra pas aux spécificités des métiers et pourrait de fait rendre le système inéquitable, la question de la gouvernance restant également en suspens.
Le CRAPS continuera de travailler sur ce sujet fondamental et produira diverses réflexions dans le cadre de l’année de concertation annoncée par le gouvernement.
- Protection sociale parrainé par MNH