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13 / 06 / 2013 | 300 vues
Christine Leroy / Membre
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Droit d’alerte économique : un signal d’alarme au service des salariés

Véritable contre-pouvoir à la disposition des comités d’entreprise, le droit d’alerte économique est un outil puissant pour anticiper les risques sur l’entreprise et ses emplois. Dans les phases de difficultés économiques et de restructurations, il permet aussi de proposer des projets alternatifs. À condition d’être actionné au bon moment et utilisé à bon escient…

En septembre dernier, le CCE de Castorama avait lancé un droit d’alerte économique sur la situation de l’emploi au sein de la chaîne de bricolage, qui aurait prévu de supprimer 1 167 postes d'ici 2014. Chez Coop Atlantique, à Ingrades (Vienne), les inquiétudes provoquées par un projet de réorganisation logistique majeur susceptible d’entraîner la fermeture du site ont aussi décidé le comité d’entreprise (CE) à l’exercer. Quelques mois plus tard, les syndicats de Ducros Express appelaient à la mobilisation pour la défense de l'emploi, en marge d'un comité central d'entreprise (CCE) portant sur le projet de fusion de l'entreprise de messagerie avec les transports Mory, autre entité du groupe Caravelle. Dans cette opération, qui concernait 5 200 salariés, la marque Ducros Express devait disparaître et une quarantaine d'agences fusionner, selon les syndicats. Une situation qui avait décidé le CCE à déclencher un droit d'alerte.

Ils sont des centaines d’autres CE ou CCE (Fret SNCF, Carrefour, Sanofi…) à s’emparer de ce droit.

  • Une procédure qui ne doit être confondue, ni avec les autres droits d'alerte (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, délégués du personnel...), ni avec la procédure d'alerte du commissaire aux comptes.

Elle constitue un véritable outil à la disposition des élus du CE. Encadré par le Code du travail comme tel, le droit d’alerte leur permet d’obtenir des explications de la direction « face à des faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise » et/ou leurs emplois (Cour d’Appel de Grenoble, 10 février 2010, n° 09/01272).

Le droit d’alerte économique n’est pas circonscrit à la seule prévention des difficultés économiques. Le CE peut l’exercer « y compris en l’absence de situation de redressement judiciaire ou même de difficultés économiques présentes ou prévisibles » (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 10-30126, BC V n°26).

Un champ d’investigation d'autant plus large que le CE est, a priori, seul juge de ce qu'il estime être « préoccupant ». L’actualité nous rappelle que les élus des CE ou CCE peuvent être confrontés à de nombreuses situations laissant planer des doutes :

  • interrogations sur les résultats d’un choix de stratégie technologique,
  • aggravation du niveau de production invendue,
  • remise en cause d’accords d’entreprise,
  • difficultés de trésorerie,
  • fléchissement substantiel des investissements,
  • projet de réorganisation qui risque d'avoir des conséquences sur l'emploi…

Une liste non exhaustive… Chez Castorama, c’est une note « confidentielle » glissée sous la porte d’un local syndical qui a déclenché l’alerte.

À utiliser avec circonspection


Le CE peut exercer ce droit plusieurs fois dans l’année. Mais il ne peut recourir à l’assistance d’un expert-comptable rémunéré par l’entreprise qu’une seule fois dans le cadre des dispositions des articles L.2325-35 du Code du Travail. Il arrive parfois que l’employeur s’oppose au droit d’alerte. Dans les cas litigieux, la justice exige du CE qu’il invoque des « circonstances objectives » et des « faits précis ».

Toutefois, « dur dur » pour la crédibilité du CE s’il vient à être débouté ! C’est la déconvenue subie lors du droit d’alerte économique exercé par le CE d’une CRAM (caisse régionale d’assurance-maladie) sur un projet relatif au « schéma directeur informatique de la branche retraite 2005-2006 et à l’évolution des moyens informatiques » qui lui avait été présenté. Dans cette affaire, le tribunal a retenu que « l’information avait été donnée volontairement par l'employeur qui n'y était pas tenu et qu'elle ne portait pas sur des faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation de l'organisme » (Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 05-45.303).

Pour éviter tout sentiment de frustration en fin de procédure, il est essentiel que les élus clarifient parfaitement leurs attentes en amont, avec l’appui d’un expert, pour « réussir ». Il s’agit en effet d’une procédure claire et encadrée, qui doit respecter des étapes bien précises.

Des étapes clefs à respecter

Dans un premier temps, les élus inscrivent à l'ordre du jour d'une réunion de CE un certain nombre de questions « dans le but éventuel de déclencher un droit d'alerte ».

Même si l'expert-comptable ne peut être désigné à ce stade, son travail a déjà commencé car il accompagne les élus dès la construction et la mise en forme des questions qui seront posées au cours de cette réunion.

Une étape déterminante qui a permis au CCE de Sony France de « circonscrire le champ de l'investigation (la dégradation importante des résultats) et donc de l'expertise qui va éventuellement suivre (dans un premier temps, elle portera sur l’analyse des comptes sociaux de l’exercice fiscal 2011) », peut-on lire sur le blog d’un élu de l’entreprise. Trente-quatre questions ont ainsi été soulevées devant les dirigeants du groupe…

Dans la procédure classique, une deuxième réunion est consacrée aux réponses « circonstanciées » de la direction. Si les élus estiment que ces éléments répondent parfaitement à leurs inquiétudes, ils peuvent arrêter le droit d'alerte. Quitte à en lancer un nouveau plus tard si la situation se dégrade….

Si, au contraire, celles-ci ne lèvent pas les inquiétudes des élus, le droit d'alerte, à proprement parler, s'enclenche et l'expert peut être nommé.

C’est le cas pour Fret SNCF. « Les 13 pages de réponses apportées par la direction aux questions du CCE portant sur la dette, la situation commerciale, l’activité et l’exploitation, la situation sociale et son avenir, n’ont fait que conforter nos inquiétudes », ont souligné les élus de Fret SNCF dans un communiqué de presse. Un droit d'alerte économique sur la pérennité de l’activité fret a alors été initié « en toutes connaissances de cause ». Prochaine étape : le CCE de Fret SNCF va mandater une expertise externe avec mission de rédiger un rapport d’analyse, comportant des propositions alternatives.

Pour nombre de CE qui ne disposent pas des compétences en interne, le recours à un cabinet d’expertise comptable est en effet un passage obligé. En plus de les aider dans l’évaluation de la situation de l’entreprise, il remplit plusieurs missions : émission d’un avis quant à l’ampleur des difficultés décelées et sur les explications données par le chef d’entreprise, formalisation de recommandations et de propositions. Il pourra même être amené à s’exprimer sur le mode de traitement des difficultés retenu par la direction...

Surtout, l’expert bénéficie d’un accès à l’ensemble des données économiques et sociales de l’entreprise, au même titre que le chef d’entreprise ou le commissaire aux comptes.
Autre avantage et non des moindres : le cabinet d’expertise comptable a pour client le comité d’entreprise mais c’est à l’employeur qu’il revient de prendre en charge ses honoraires.

  • Le CE peut également s’adjoindre les services de deux salariés, non membres du CE, pour l’assister dans la préparation du rapport, chacun bénéficiant de 5 heures de délégation.


Après la remise du rapport au CE et sa transmission au chef d’entreprise (et au commissaire au compte) qui devra y répondre en séance, une nouvelle phase de dialogue s’instaure entre les deux parties, avec le soutien de l’expert-comptable.

La plupart des procédures trouve un terme rapidement. Le cas échéant, le CE peut juger nécessaire, par un vote majoritaire des titulaires présents, d’en saisir ou d’en informer l’organe de contrôle de l’entreprise. Le rapport doit alors être discuté à la prochaine réunion de cette instance et l’employeur est tenu de fournir une réponse motivée au CE. Dans le cas où ses réponses sont toujours jugées insuffisantes, le CE peut aller plus loin en décidant tout recours dont la saisine du Tribunal de Commerce.

Une influence non négligeable


Une démarche qui, si elle peut se révéler assez longue et nécessite une motivation au long cours (d’autant que le droit d’alerte n'est pas suspensif des faits sur lequel il porte), joue un rôle fondamental dans l’équilibre des forces de l’entreprise.

Bien menée, il est fréquent qu’une telle procédure aboutisse. C’est le cas, récemment pour un groupe de presse dans lequel, suite à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et à une dégradation rapide des résultats de l’entreprise, les élus ont décidé de déclencher un droit d’alerte portant sur l’appréciation des mesures envisagées par la direction pour redresser la situation.

Assistés d’un expert, les élus sont parvenus à :

  • contraindre la direction de formaliser une organisation,
  • mettre en évidence les services les plus touchés par les départs liés au PSE,
  • remettre en cause les hypothèses économiques sur lesquelles reposait la réorganisation d’un secteur de l’entreprise…

Le droit d’alerte économique est donc une procédure efficace à condition d’appuyer sur le bouton dès les premiers signes d'alertes et avant qu'il ne soit trop tard.

Une procédure en cinq étapes


Étape 1 – Constater des faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise et/ou de ses emplois.

Étape 2 – Demander des explications à l'employeur.

Étape 3 – Prendre en compte la réponse de l'employeur pour formuler la décision du comité.

Étape 4 – Établir un rapport en s’appuyant sur un cabinet d’expertise comptable.

Étape 5 – Saisir les organes de contrôle de l’entreprise.

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