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04 / 04 / 2011 | 134 vues
Denis Garnier / Membre
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La vraie arnaque de l’évaluation dans la fonction publique

Le 31 janvier 2006, le Ministre de la Fonction publique, Christian Jacob, a adressé une lettre de mission à Jean-Pierre Weiss (ex-DRH du Ministère de l’Équipement) pour qu’il réalise un rapport relatif au dispositif de notation et d’évaluation des fonctionnaires.

Dans son courrier, le ministre précise que « parmi les pistes possibles, pourraient être envisagés la suppression de la notation et son remplacement par la seule évaluation sur laquelle la reconnaissance de la valeur professionnelle serait fondée ».

Jean-Pierre Weiss a rendu son rapport. En bon soldat, il a répondu à l’invitation du ministre et a proposé la suppression de la note.

Une loi a été publiée le 2 février 2007. Elle autorise l’État à remplacer la note attribuée aux fonctionnaires par un entretien professionnel établi par le supérieur hiérarchique direct.

Cette modification a été instaurée à titre expérimental.

Le 17 septembre 2007, le décret d’application a été publié. Trois jours après, le 20 septembre 2007, le Premier Ministre François Fillon a demandé à Jean-Ludovic Sillicani, conseiller d’État, de rédiger un livre blanc sur « l’avenir de la fonction publique et le service public de demain ». Le rapport final « propose de remplacer la notation, système infantilisant et qui a quasiment perdu toute pertinence, par l’évaluation, dans la perspective ouverte par le décret du 17 septembre 2007. »

Quelle surprise ! Le gouvernement étendra l’évaluation par entretien professionnel à toute la fonction publique.
 
La liste des directeurs, amis du projet, fait comprendre les conclusions du livre blanc. Citons, Henri Proglio, président-directeur général de Veolia Environnement et Geoffroy Roux de Bezieux, président de l’association Croissance Plus.

Parmi les nombreuses personnes entendues (plus de cent), on relève les noms de grands spécialistes de la fonction publique et de l’évaluation du travail :

  • Olivier Barberot, ex-DRH, de France Télécom,
  • Henri de La Croix de Castries, président du directoire Axa, 10ème patron français le mieux payé en 2008, avec 2,5 millions €,
  • Marie Gariazzo, directeur d’études à l’Ifop,
  • Pierre Giacometti, directeur général de l’institut Ipsos,
  • Foucauld Lestienne, DRH de La Poste (auparavant DRH d’Alcatel CIT),
  • Bertrand Moingeon, DRH d’HEC,
  • Véronique Rouzaud, DRH de Veolia,
  • et un nombre considérable de directeurs de tout bord. 


Que de vrais spécialistes de la fonction publique !

Il n’y a aucun médecin du travail, aucun psychiatre, aucun psychologue, aucun des experts entendus par la commission du Sénat sur le mal-être au travail [1]. Pas de syndicaliste, bien entendu. Pas de Professeur Dejours et les enseignements de son livre sur L’évaluation à l’épreuve du réel [2]. Il n’y aura aucune personne invitée susceptible d’apporter la contradiction au projet gouvernemental. Il manquait aussi le DRH du Fouquet's !

Aujourd’hui, la notation est critiquée. C’est un système archaïque disent les uns, scolaire et infantilisant disent les autres. Tout système est critiquable dans la mesure où celui qui le remplace l’est moins. L'évaluation !

Or, comme le souligne Christophe Dejours dans son excellent ouvrage, « l’évaluation individualisée des performances conduit à une mise en concurrence généralisée entre travailleurs et entre services dans une même entreprise. Il s'ensuit une profonde transformation des rapports humains sur le lieu de travail : l'individualisation dérive vers le chacun pour soi et aboutit à des conduites déloyales entre collègues ».

Ainsi, l’outil essentiel de la destruction du collectif de travail est mis en place par une démarche viciée et malhonnête. C’est ce que l’on appelle communément une arnaque. Une tromperie. Une tricherie.

Mais « demander au gouvernement actuel d’être honnête, c’est un peu comme si l’on demandait à Al Caponne de payer ses impôts » [3].


[1] Mission du Sénat : « mal-être au travail », rapport de juillet 2010.
[2] Christophe Dejours, L’évaluation du travail à l’épreuve du réel, critiques des fondements de l’évaluation, Inra éditions, mars 2003
[3] Phrase adaptée, « gouvernement » ayant remplacé le nom d’un syndicaliste. Cette phrase a été primée dans un concours d’humour politique.

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Classé au deuxième rang du CAC 40,juste derrière le pétrolier Total, le groupe pharmaceutique Sanofi Aventis est une entreprise prospère: 9,2 milliards d’euros de bénéfices réalisés en 2010.

 Pour autant,comme le souligne la rédaction de FO Hebdo dans un récent article étayé d'exemples, il a supprimé 5 000 emplois en deux ans et envisage d’économiser deux milliards d’euros pour satisfaire ses actionnaires principaux que sont les fonds de pension.

«Conséquence: des salaires qui stagnent, l’emploi qui baisse, une surcharge et une dégradation des conditions de travail, des pressions au quotidien pour atteindre les objectifs en hausse constante, sans contreparties, le développement du télétravail avec les ordinateurs portables qu’on emporte à la maison après une journée de dix heures de travail, des externalisations, des projets de sous-traitance tous azimuts»,énumère Pascal Lopez, délégué central FO de Sanofi Aventis.

«Pendant que les salariés souffrent, notre directeur général a fait passer son salaire de 7,2 millions d’euros à 8,3 millions de 2009 à 2010, soit une progression de 15%.»

«PARTAGER LA MÊME VISION DES COMPORTEMENTS»

C’est dans ce contexte que Sanofi Aventis lance «un changement de culture», une culture de «haute performance». Le groupe entend faire partager à ses 100 000 «collaborateurs » dans le monde «la même vision des compétences et des comportements nécessaires à notre succès».

 Pour ce faire, la direction a voulu mettre en place un nouveau système d’évaluation mesurant la performance individuelle selon la combinaison du «quoi» –ce qui signifie l’atteinte des résultats– et du «comment», c’est-à-dire la manière dont sont délivrés ces résultats.

 Le nouveau dispositif qui établit «un lien clair et renforcé entre performance et décisions de rémunération» concernerait l’ensemble des salariés et plus seulement les cadres supérieurs qui touchent des bonus (25% du personnel). «L’évaluation reposerait pour moitié sur les performances professionnelles et pour moitié sur le comportement au travail avec des quotas préétablis de 15% d’heureux bénéficiaires et de 5% de sous-performants, le but étant de faire baisser la masse salariale», précise Pascal Lopez. Quotas dont se défend la direction en expliquant que ces chiffres ne sont qu’«indicatifs» tout en assurant que son intention n’est pas de «sanctionner» mais de «faire progresser» les salariés...

Au début de l’année, les élus du comité d’entreprise ont voté à l’unanimité une délibération marquant leur opposition à cette nouvelle méthode basée sur des critères comportementaux flous et subjectifs, ce qui est illégal

Enfin, ils ont prévenu la direction qu’en cas de passage en force, ils porteraient l’affaire devant les tribunaux.

Face à cette menace collégiale, la direction a décidé de suspendre son projet pendant un an, le temps de négocier avec les syndicats qui laissent planer la menace d’un recours en justice. Au cas où...