Participatif
ACCÈS PUBLIC
10 / 06 / 2025 | 45 vues
Olivier Sévéon / Membre
Articles : 15
Inscrit(e) le 23 / 02 / 2016

Décisions critiquables sur le COD'IT et crise de l’inspection du travail 

Le « COD'IT » est le code du travail numérique que le ministère du travail met à la disposition des Inspecteurs du Travail (d’où la terminaison IT de l’acronyme). Jusqu’en juillet 2024, il s’agissait d’un fichier Excel réactualisé tous les trimestres et téléchargeable gratuitement : il pouvait servir à des tiers extérieurs au ministère (élus du personnel, syndicalistes, juristes, etc.). Depuis avril 2025, l’application COD'IT » n’est plus disponible que par l’intranet du ministèreLa mise au rebut injustifiée d’un investissement utile.


Comparativement à Légifrance – site gouvernemental pour la diffusion des textes légaux – le COD'IT a pour avantage de regrouper les articles par idées principales, ceux issus de décrets (lettres R et D) étant positionnés avec les articles « L » (partie législative) traitant du même sujet. Autre avantage : il indique en lecture directe la nature des articles (ordre public, supplétifs, ou champ de la négociation). Rappelons que depuis les ordonnances Macron l’employeur peut négocier un accord d’entreprise dérogeant à la loi.


Il en résulte désormais trois niveaux d’articles :

 

OS

Cette nouveauté complique la tâche des élus du personnel : il ne suffit plus de lire un article dans le Code, il faut s’assurer qu’il n’est démenti par aucun accord d’entreprise... 


Sans explication, à la fin du premier semestre 2024 la DGT (Direction générale du travail) a abandonné le format Excel du COD'IT pour le remplacer par une application. Cette décision est déroutante car elle détruit un investissement appréciable qu’il suffisait d’actualiser régulièrement : le fichier EXCEL offrait de nombreuses fonctionnalités, permettait des customisations et une utilisation en l’absence d’internet. 

Une interdiction inexplicable d’accéder au COD'IT 

Cette première sortie de route de la DGT a rapidement été suivie d’un seconde. Au départ, « l’application COD'IT » du ministère était accessible à tous grâce au lien https://codit-staging.osc-fr1.scalingo.io/.


Il restait donc possible de bénéficier d’un outil préservant les deux avantages précités, ainsi qu’en atteste l’extrait suivant. 

OS2

 

Depuis avril 2025, l’application COD'IT » n’est plus disponible que par l’intranet du ministère.

Intranet

Pourquoi verrouiller l’accès à un outil d’utilité publique, réalisé grâce aux deniers des contribuables ? Questionnée sur ce point, la DGT se contente de conseiller l’utilisation du mal nommé « code du travail numérique » (CTN), vitrine de diversion lancée en janvier 2020 pour laisser supposer que les ordonnances ne répondaient pas qu’aux vœux du Medef. 


Aujourd’hui, avec 10 millions de visites, le CTN est présenté comme une réussite. Ne doutons pas que la fin du COD'IT permettra d’améliorer ce score ! On peut pourtant s’interroger sachant que le CTN se fonde sur les fiches pratiques du ministère qui étaient déjà consultées par 7 millions de visiteurs en 2020.


L’objectif du CTN était modeste : apporter 2 500 réponses « en français facile » [sic] aux 50 questions les plus fréquentes. Il ne faut donc pas s’étonner s’il est peu adapté aux préoccupations des élus du personnel : une recherche avec les mots « confidentialité » et « liberté de déplacement » permettra de s’en rendre compte.

Des décisions à rebours de la crise de l’inspection du travail 

Les deux décisions ministérielles que nous venons d’examiner s’inscrivent à contre-courant de ce qui serait nécessaire, dans un contexte où la Cour des comptes dénonce depuis 2020 le nombre insuffisant d’inspecteurs travail et où la revalorisation de leur métier est à l’ordre du jour. 


La bonne diffusion du COD'IT peut permettre d’obtenir des réponses basiques sans avoir à solliciter les inspecteurs, ce qui ne peut être négligé vu le manque croissant de moyens auquel ils sont confrontés.


Un rapport de juin 2022 de l’IGAS (inspection générale des affaires sociales) alerte sur les vacances de postes qui « affectent très négativement le moral et la motivation des agents de contrôle ». Il cite un directeur de DREETS : « on gère un système à trous en répartissant les pénuries ; nous sommes noyés et occupés par des problèmes d’organisation, d’effectifs, d’intérims... et nous n’arrivons plus à parler métier et de sens au travail ».


Ce même rapport observe « le sentiment d’une perte de sens assez généralisé ». Il conclut qu’il est urgent de revaloriser les métiers de l’inspection et de remédier à la crise des vocations qui se traduit par une chute des candidatures aux concours. Interdire l’accès des élus du personnel et des syndicalistes au CODIT est aberrant au regard de ces constats. Les doter au contraire des moyens de mieux appréhender le droit social contribue à élever leur niveau de dialogue et de coopération avec les inspecteurs, dont le rôle sera d’autant valorisé.


Récemment la France a été mise sur la sellette à cause de son nombre alarmant d’accidents mortels du travail, comparé aux autres pays européens. La DGT campe sur une double attitude de déni. D’une part elle invoque des méthodes de déclaration des accidents différentes d’un pays à l’autre (en se gardant bien de signaler que nos propres statistiques sont incomplètes [cf. notamment non prise en compte de la fonction publique]). D’autre part, elle affirme corriger le tir grâce à des recrutements d’inspecteurs du travail.


Dans ce domaine, en réalité la DGT a inventé le « juste en retard » (par opposition au « juste à temps » de Toyota) : ses programmes d’embauches sont chroniquement insuffisants pour combler les postes vacants, parce que – austérité budgétaire oblige – ils sous-pondèrent les départs en retraite et la volatilité des recrutements. 
Pour lutter contre le fléau des accidents du travail mortels, il serait temps que l’inspection du travail soit reconnue pour son rôle dans la prévention des risques, et qu’il soit mis fin à la régression en cascade de ses effectifs.
 

Pas encore de commentaires