Télétravail et droit au travail, aliénation et démocratie
Le fait d'offrir un emploi uniquement sous forme de télétravail viole le droit humain au travail, ainsi que le principe d'égalité devant la loi et d'égalité en droit...
- L'analyse de Arkadiusz Sobczyk, avocat et professeur de droit à l'université de Cracovie (Pologne).
Le présent article est une réaction aux signaux inquiétants envoyés par de nombreux employeurs, mais
aussi des salariés, après la première période de mise en œuvre du travail à distance. Rappelons que la particularité du travail à distance est que le salarié exécute un travail en dehors de son lieu de travail habituel, et ce, à la demande de l'employeur. En pratique, c'est un travail à domicile.
Ceci signifie que le salarié effectue ce travail dans un espace privé impliquant non seulement sa propriété
privée mais aussi sa vie privée. Pour cette raison, la famille du salarié devient au minimum actrice passive de son travail et le comportement des membres de la famille doit alors tenir compte du fait que ladite activité professionnelle travail est réalisée à domicile. Si l'on admet que chaque tâche effectuée a comme destinataire final, la société[1], le domicile devient alors au moins en partie espace de vie publique.
Travail à distance et bien commun
Toutefois, décrivant ce qui précède, je n'en fais pas d'évaluation critique. Je suis au contraire convaincu
que ledit travail à distance est pleinement compatible avec les obligations du salarié de se conformer au bien commun, non seulement en termes de communauté de travail, mais aussi de communautés nationales. Et je rajouterais qu’il s’agit là d'un travail à distance effectué dans les seules situations d'urgence, telles que l'actuelle pandémie. De plus, je vois là un certain nombre d'arguments en faveur d'une loi permettant à un salarié d'effectuer temporairement un travail en dehors de son lieu de travail habituel à la demande de l'employeur dans d'autres cas extraordinaires, comme, par exemple, une catastrophe naturelle ou touchant les infrastructures de l'entreprise, une panne de systèmes informatiques ou, et que cela ne se produise pas, en cas de conflit armé.
Il semble donc que le travail à distance dans le sens ci-dessus exposé corresponde parfaitement au principe de solidarité. Tout d'abord, une solidarité envers les autres salariés dont l'activité professionnelle peut être effectuée grâce au travail à distance. Deuxièmement, comme un acte de solidarité envers les autres, pour évoquer les enseignants ou les médecins travaillant à domicile. Troisièmement, et en particulier, comme un exemple naturel de solidarité avec l'employeur (entrepreneur). La grande majorité des institutions de droit du travail est basée sur la solidarité du capital envers le travail, dont un exemple sont les avantages sociaux sans contrepartie pour les salariés, avantages non réciproques concédés aux salariés par l'employeur (entrepreneur). Le salarié, dans cette situation et en dehors du travail fourni, apporte à la fois des éléments de sa propriété privée (utilisation de son domicile à des fins professionnelles) et de sa vie privée. Et, même si la contribution matérielle du salarié peut être évaluée et payée, il n’est alors pas possible d'évaluer complètement ce deuxième élément qui fait que, pendant la période de travail à distance, le travail est effectué non seulement par le salarié, mais également et dans une certaine mesure, par sa famille.
Comme mentionné ci-dessus, le bien commun justifie la mise en œuvre du travail à distance et l'implication sans contrepartie de l'espace privé du salarié. Le lecteur polonais peut alors se demander quel bien
commun pourrait-on trouver dans le secteur privé ?
Il semble alors que la pandémie, et en particulier les réactions des gouvernements et des sociétés à ce que
l'on qualifie de lockdown devraient éliminer tous les doutes à cet égard. Le caractère privé du secteur économique réside dans le fait que les entités privées, en règle générale, réalisent leurs intérêts individuels, à moins, bien entendu, qu'elles n'accomplissent des missions de service public. Ceci ne signifie pas cependant que les choix volontaires des entrepreneurs ne font pas partie du système de fonctionnement des sociétés. Aujourd'hui, par exemple, il est clair que des commerces privés ne sont plus considérés uniquement comme un lieu de commerce mais comme une partie du réseau social d'approvisionnement. J'ajouterais que le même raisonnement peut être appliqué à n'importe quelle industrie du secteur privé, même si parfois le concept de satisfaction des besoins sociaux sera un peu moins clair.
Télétravail à l’horizon
Malheureusement, une menace sérieuse se présente à l'horizon. De nombreux mois d'exploitation de certaines entreprises basées sur le travail à distance ont conduit à la tentation de faire de ce mode de travail, la norme. Il ne s’agit pas là d’un mode de travail imposé, car après la période de pandémie, comme il faut le supposer, il sera impossible de le rendre définitif. Il s'agit d'outils juridiques déjà disponibles sous la forme dudit télétravail. Ce dernier est bien entendu volontaire sauf que dans les relations de travail, le volontariat est souvent une fiction.
En raison de sa nature sociale, un homme sous pression économique accepte beaucoup de choses. Pour quelle raison tirerait-on alors la sonnette d'alarme, puisque le télétravail existe dans l'ordre juridique depuis des années ? Pourquoi s'inquiéterait-on si de nombreux jeunes déclarent vouloir un tel type d'emploi ? Bien que je ne puisse pas parler de recherche empirique approfondie (j'en ai fait cependant plusieurs pour les besoins de cette étude), il est à noter que de nombreuses personnes ont récemment exprimé une réticence à retourner sur leur lieu de travail habituel.
Il y a par conséquent lieu de s'alarmer. D'abord, parce que la pandémie a été à l'origine de la gigantesque expérience sociale mondiale qu'était le travail à distance de masse. De plus, parce qu'en de nombreux endroits, l'expérience a réussi, au moins sur le court terme. Et, au vu des immeubles de bureaux vides et compte tenu des coûts de location souvent très élevés, il ne fait aucun doute que la pression sur le travail à distance sous forme de télétravail volontaire deviendra plus forte. Ce ne sera peut-être qu'une forme de télétravail à temps partiel, mais la tendance elle-même semble inévitable. De plus, cette tendance sera probablement renforcée par des arguments écologiques (suppression des déplacements pour se rendre au travail), familiaux (plus de temps libre), sécuritaires (accidents) et de liberté.
Il semble cependant que ces avantages comportent de sérieux risques sociaux aggravés dans le cas du
télétravail à plein temps mais qui peuvent aussi concerner le télétravail à temps partiel. Décrivons alors ces risques en commençant par une analyse des cas de télétravail forcé pour des raisons économiques.
Télétravail, droit au travail et égalité devant la loi
D'emblée, je suis d'avis que le fait d'offrir un emploi uniquement sous forme de télétravail viole le droit humain au travail, ainsi que le principe d'égalité devant la loi et d'égalité en droit.
Commençons par le droit au travail. Il semble qu'un élément important soit le fait qu'une personne exerçant son droit de travailler n'offre qu’elle-même et ses compétences. En particulier, le droit au travail ne peut être subordonné au fait que le salarié dispose d'outils de travail ou de locaux où le travail peut être effectué. En effet, une telle offre exclut ceux qui ne disposent pas de conditions de logement adéquates, soit parce qu'ils ne disposent pas d'une habitation suffisamment grande, soit parce qu'ils n'ont pas la chance d'avoir des connexions Internet suffisamment rapides en raison de leur lieu de résidence.
Par conséquent, le développement massif du télétravail entraînerait un risque élevé de violation du principe d'égalité dans le domaine du droit au travail, voire de discrimination, par exemple dans le cas où le manque de conditions de travail adéquates résulte du fait d'avoir une famille nombreuse. Comme je l'ai déjà mentionné, le droit au travail ne dépend pas et ne peut pas dépendre du statut économique. Une interprétation contraire ne ferait qu’aggraver l'exclusion sociale des personnes déjà fragiles.
Cependant, ce n’est pas le seul risque de restriction réelle au droit au travail et d’inégalité de traitement. Le droit au travail ne consiste pas seulement à trouver un emploi. Il repose également sur le fait que le travail doit donner une chance d'obtenir des résultats satisfaisants et une satisfaction du travail accompli en tant que tel. Selon mon opinion, et il est inutile de faire des recherches spéciales dans ce domaine, il est vrai qu'à long terme un télétravailleur a moins de chance d'obtenir les mêmes résultats qu'une personne travaillant sur un lieu de travail adapté.
De plus, le télétravail réduit considérablement la capacité de l'employeur à respecter certains éléments importants inhérents au droit au travail, tels que l'obligation de l'employeur d’effectuer une évaluation équitable de ses salariés (article 94, paragraphe 9 du code du travail), et l'obligation de mettre en place une organisation du travail permettant au salarié d’obtenir les meilleurs résultats possibles, lui permettant de se développer au maximum (art. 94 paragraphe 2 du code du travail). Le fait n'est pas que l'employeur témoigne d'une mauvaise volonté à cet égard. Il faut juste dire que l'exécution des obligations mentionnées ci-dessus par l'employeur dans le cas du télétravail est tout simplement difficile.
Pour résumer, si quelqu’un remplit de manière générale les conditions matérielles du télétravail, il y a une très forte probabilité qu'il n’arrive pas à obtenir des résultats professionnels comparables à un salarié standard. Ainsi, ses chances de promotion sont réduites. En tout cas, cette thèse semble valable sur le long terme.
Libre choix et aliénation sociale Il convient de se référer aux cas mentionnés ci-dessus, dans lesquels le salarié lui-même est intéressé au télétravail et si la raison de son intérêt n'est pas une contrainte économique. En d'autres termes, il s'agit des situations qui remplissent entièrement les conditions d'exercice du travail sous forme de télétravail spécifiées dans le code du travail. J'ai déjà indiqué que l'expérience de la pandémie conduit à la conclusion que la part de salariés désirant réaliser leur activité professionnelle sous forme de télétravail risque de connaître une croissance considérable. Il faudrait donc se demander si la loi devrait limiter la liberté individuelle en ce domaine. Après tout, aucune personne volontaire ne subit de préjudice.
Il semble cependant que cette question n'est pas si évidente et que sa réponse n'est qu'apparemment simple. On peut, bien entendu, essayer de réduire l'emploi à un accord d'obligations mutuelles et d’en supprimer l'élément social. Sauf qu'une telle vision du travail sera contraire à l'expérience sociale. À ce stade, rappelons les effets sociaux négatifs correctement diagnostiqués de l'aliénation au travail. Il est difficile de lutter contre ce phénomène car il est impossible de remonter à l'époque des manufactures.
Rajouter cependant à une aliénation au travail, en quelque sorte inévitable, l'aliénation du travailleur à sa communauté constituerait une grave erreur. Surtout à une époque où les transformations du modèle de vie de famille et le développement dans les réseaux sociaux de relations sociales superficielles et basées sur le
narcissisme[2] et le mensonge, génèrent un gigantesque phénomène de solitude.
Arrêtons-nous à ce point, car nous touchons à l’une des fonctions les plus sous-estimées du droit du travail
en droit polonais, appelée jadis, un peu à tort, la fonction éducative. En fait, le seul véritable outil permettant à l’État de lutter contre l'aliénation sociale est justement d’imposer un travail en communauté, c'est-à-dire un travail effectué par des personnes présentes physiquement les unes à côté des autres. L'État peut profiter du fait que les gens doivent travailler, pour des raisons à la fois économiques et de dignité[3]. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'autre niveau de relations sociales dans lequel l'État peut imposer une coopération personnelle entre les hommes et qui donne au moins une chance à l'émergence de liens sociaux.
Il semble incontestable que travailler ensemble a de nombreux effets sociaux positifs pour les travailleurs
eux-mêmes[4]. Pour certains, c'est une chance de créer des liens qui sont transposées dans la vie privée. Pour d'autres, le travail lui-même est au moins un lieu où les gens ne sont pas seuls. Ce n'est peut-être pas une solution optimale, mais c'est mieux que la solitude, ressentie à la fois pendant le télétravail et après le travail. À ce propos, il convient de mentionner le phénomène de plus en plus important d'addiction au travail, juste par choix volontaire.
Une personne qui vit seule continue à travailler même si on ne lui dit pas de le faire, simplement pour échapper à la dépression et à la solitude. Enfin, même lorsque les relations sociales au travail ne sont pas idéales, c'est une forme d'expérience sociale qui permet le développement de l’homme, et la loi, du moins du point de vue formel, doit protéger toute personne défavorisée.
Les cas mentionnés ci-dessus sont liés à la santé mentale des individus. Cependant, vu l'ampleur du phénomène de solitude, travailler ensemble devient un élément du système de santé publique. Cependant, forcer un salarié à demeurer en communauté présente également d'autres avantages sociaux importants. L'homme apprend la coopération qui est également nécessaire dans la vie privée, par exemple entre voisins. Il apprend à gérer des relations difficiles, que nous ne pouvons éviter, également dans la vie extra-professionnelle. Enfin, travailler en équipe est une école de démocratie. Dans chaque établissement de travail, bien qu'à une échelle différente, il existe aussi bien en terme de décision, des processus législatifs que des actes à caractère unilatéral[5]. Ceci a un impact évident sur les attitudes démocratiques dans la vie quotidienne.
À ce stade, j'avance le ferme postulat que le manque de démocratie dans un établissement de travail, résultant principalement du modèle postcommuniste du mouvement syndical, est l'une des raisons des processus sociaux observés actuellement en Pologne.
Compte tenu de ce qui précède, la question de savoir si l’État est obligé de respecter la volonté du salarié
de choisir le télétravail n’est pas si évidente. Les objectifs décrits ci-dessus, notamment de minimiser le phénomène de solitude, d’apprendre à vivre dans des groupes micro-sociaux et d'adopter une attitude démocratique, ne peuvent être atteints efficacement que par un droit du travail qui, en règle générale, force à travailler ensemble dans un espace commun.
Dans ce contexte, les arguments sans doute justifiés donnés sur le plan de l'écologie ou du gain de temps
ne sont plus décisifs. Aussi abstrait que cela puisse paraître au moment de la rédaction de ce texte et de la pandémie qui fait rage, il vaut la peine de dire que le déplacement au travail, quels que soient les risques sociaux impliqués, est lui-même très souvent un élément de socialisation. De plus, se rendre au travail avec des transports en commun, avec tous les risques de désagrément éventuel, est une expérience très précieuse, à la fois sur le plan individuel et social, même si cette expérience est parfois douloureuse. Vous risquez, par exemple, de frôler un sans-abri, ivre et malodorant, ce qui n'est pas agréable. En fin de compte, l'expérience du contact avec toutes les classes sociales nous permet cependant de faire des choix de vie qui ne reposent pas sur des visions artificielles du monde, basées sur de soi-disantes bulles sociales et Internet. Le contact avec la vie prosaïque peut être désagréable, mais c'est d'abord et avant tout une chance pour une vie meilleure et des choix plus intelligents.
Dans ce contexte, il convient de revenir à ce que l'on qualifie de fonction éducative dans le droit du travail, mais sous une optique différente. Il était difficile d'affirmer l’existence d'une soi-disante fonction éducative dans le droit du travail à l'époque du totalitarisme. Le communisme ne traitait pas les gens comme des sujets. Il ne voyait pas l'individu, se concentrant sur la communauté telle qu’elle était comprise par le totalitarisme. Par conséquent, l'éducation par le travail était une éducation à l'obéissance. Ce n'est pas un hasard si un exemple typique de cette fonction était le droit de l'employeur d'imposer des sanctions pour un travail mal fait.
Dans une perspective libérale, l'éducation doit avant tout servir le développement des individus et des
sociétés. Il y aura également place pour des sanctions, car l'exécution honnête du travail est toujours dans l'intérêt de la société. Mais la première fonction de l'établissement de travail reste principalement l'apprentissage de la vie sociale. Bien que les libéraux asociaux puissent traiter ce que j'écris avec dégoût, la déclaration contenue dans l’introduction à l'ancien Code du travail qui n’est plus en vigueur, stipulant que l'établissement de travail constitue un espace de notre vie, est toujours valable. C’est la vie d'une communauté travaillant ensemble, mais aussi parfois célébrant ensemble un événement et s’offrant un soutien mutuel. Et l'enchantement néolibéral de la réalité, selon lequel les établissements de travail n'ont que des objectifs économiques, n'y sera pour rien car, en fait, ce sont les entreprises qui ont des objectifs économiques. Les établissements de travail, qui sont aux services des entreprises, ont surtout des objectifs sociaux. Dans le contexte de la soi-disante économie sociale de marché, ils sont et ils seront toujours l’espace d’une vie non économique.
Télétravail à temps partiel et solidarité dans le sacrifice
Je pense par conséquent que la propagation du télétravail à plein temps est en conflit direct avec les
objectifs sociaux décrits ci-dessus. La solution résiderait alors peut-être dans un télétravail partiel. C'est sans doute une direction de développement intéressante, mais qui n'est probablement pas à généraliser. Il semble que dans les usines employant des ouvriers de production et des ouvriers non productifs, la question n’est pas plus évidente. Du point de vue des ouvriers de production, introduire du télétravail à temps partiel est un signe d'inégalité, car ils n'ont pas cette option.
Et, si ce point de vue peut sembler sans intérêt et ne pas mériter qu'on s'y arrête, on peut toutefois soutenir
que, concernant la règle de l'égalité de traitement des salariés, une comparaison n'est pas pertinente.
Il serait alors, mon avis, une erreur de se limiter à ces seuls arguments. Ce serait également là la seule
vision d'un représentant d'une élite. Outre l'égalité formelle dans les relations de travail, la solidarité est également indispensable. Par conséquent, l'égalité dans le processus d'exécution du travail doit également être considérée comme une égalité de sacrifice. Dans ce contexte, la rationalité mathématique cesse d'être un argument. Puisqu'un employé de production doit investir son temps pour se déplacer au travail, un employé de bureau devrait également le faire. Le signe que nous travaillons ensemble est que nous sommes côte à côte et que nous portons ensemble le fardeau de la vie quotidienne. L'envie n'y a pas sa place. Le fait de supporter les inconvénients courants des déplacements est un signe de respect pour ceux avec qui nous créons ensemble un établissement de travail. Par conséquent, l'utilisation massive du télétravail à temps partiel détruit le tissu micro-social.
Et, les communautés de travail ne sont pas isolées de la société dans son ensemble. Le privilège du
télétravail pour les employés de bureau est par conséquent, et à mon avis, un élément de destruction du tissu social dans la dimension supra-entreprise, générant un sentiment de séparation des élites du reste de la société. Bien entendu, je ne parle pas des cas dans lesquels le télétravail est lié à la combinaison de fonctions familiales ou s’il est causé par des problèmes de santé. Cependant, dans ces deux cas, nous faisons appel à des situations complètement nouvelles et à des valeurs sociales différentes.
Cette approche prudente ou plus équilibrée des tendances de propagation du télétravail est aussi fondée sur le fait qu'aujourd'hui, dans un contexte d'affaiblissement des liens familiaux (communautés familiales), le lieu de travail est fondamentalement une communauté tout à fait basique, pour ne pas dire unique, vu l'intensification des relations interpersonnelles dans les établissements de travail. Cela signifie également que cette communauté, cet établissement de travail, est confronté à de nombreux défis, car cette même communauté devra prendre en charge, presque toute seule, de nombreuses missions liées à la construction de relations sociales et d'attitudes prosociales.
Conclusion
La question des effets sociaux du télétravail, notamment dans le cas de sa possible massification, est bien
entendu complexe. Nous pouvons ajouter d'autres arguments en faveur de cette pratique, par exemple que ce type de travail permet à des personnes, vivant loin d'un lieu de travail dit classique, d'exercer une activité
professionnelle. Certains des arguments soulevés peuvent également être évalués de manière plus critique, par
exemple, le fait que les microentreprises n'ont pas de grandes équipes de salariés et que leur démocratie en est
discutable.
Cependant, identifier le télétravail avec le travail à domicile est une erreur et le télétravail, le cas échéant,
peut être pratiqué dans des espaces publics, avec d'autres télétravailleurs d'autres employeurs[6]. Il est vrai que dans les micro-entreprises, les équipes de salariés sont réduites. Cependant, elles impliquent souvent des relations sociales avec les clients, voisins, concierges, etc... , ou des relations résultant uniquement du trajets au travail. Il est vrai que la démocratie des petites entreprises est illusoire. Mais on peut aussi dire que son absence résulte du fait que l'État polonais et la science du droit du travail sont toujours paralysés par la pensée néolibérale avec la peur de forcer les entrepreneurs à adhérer aux organisations patronales, et par conséquent, la peur d'un véritable transfert du dialogue social au niveau supra-entreprise.
Pourtant, je n'affirme pas que le télétravail ne représente que des inconvénients. J’indique juste que dans le cas d'une application massive de cette forme d'emploi, les solutions actuelles de télétravail présentent absolument
un risque très sérieux pour le développement social, tant en termes de santé publique que de démocratie. D'autant plus que le télétravail est très attrayant, du moins en apparence, du point de vue individuel du salarié. Pourtant, ça n'est seulement qu'après plusieurs années que l’on pourra savoir si effectivement chaque salarié est capable d'évaluer ce qui est bon pour lui et sa famille. Cependant, l'État devrait être plus sage. L’État est appelé à prendre des décisions à l'avance, sur la base des acquis des sciences sociales. L'État doit anticiper et prévoir. De plus, l'État devrait prendre des décisions qu'un individu ne comprend parfois pas en raison de sa perspective individualiste, et même simplement parce qu'il n'a pas une image complète de sa propre situation (de son environnement). C'est pourquoi l'État trace certaines limites ou définit des seuils, guidé par une perspective plus profonde et mieux comprise du bien humain. Cette connaissance doit être fournie à l'État par ses élites. À travers des recherches fiables et solides et en tenant compte de l'ensemble des acquis de la civilisation qui outrepassent les frontières nationales, ses élites sont tenues de construire une sorte de socle de connaissances devant servir de point de départ pour prendre des nouvelles décisions législatives et
jurisprudentielles. Par conséquent, j'estime qu'il est tout à fait approprié et qu'il n'est pas prématuré de réexaminer la réglementation juridique en matière du télétravail.
[1]Cf. A. Musiała, Prawo pracy: czyje? Res publica ! O stosunku pracy teoretycznoprawnie, [Droit du travail : pour qui ? Res
publica ! Perspective sur la théorie de la relation de travail], Poznań 2020, p. 78.
[2]Cf. p. ex. E. Bendyk, W Polsce, czyli wszędzie. Recz o upadku i przyszłości świata, Warszawa 2020. [En Pologne comme
partout ailleurs. Essai sur le déclin et l’avenir du monde, Varsovie 2020]
[3]Cf. A. Musiała, Polskie prawo pracy a społeczna nauka Kościoła. Studiom prawno-społeczne, [Droit du travail polonais et
enseignement social de l'Église. Etude juridique et sociale] Poznań 2019, p. 33 et suivantes
[4]Cf. A. Musiała, Prawo pracy: czyje? [Droit du travail : à qui ?], pp. 79-80.
[5]La question du pouvoir en droit du travail est généralement reprise dans la doctrine polonaise à titre occasionnel. L'auteur de cet article est d'avis que tant les processus de création du droit des sociétés que certaines autres activités telles que le contrôle ou les ordres officiels traduisent l'autorité publique. Ceci signifie que la participation des salariés, par exemple, aux processus législatifs est une forme de démocratie au sens littéral du terme, cf. A. Sobczyk, Państwo zakładów pracy [État du lieu de travail], Varsovie 2017 p. 318 et A. Sobczyk, Zakład pracy jako zakład administracyjny. Z problematyki prawawewnętrznego i innych zadań publicznych pracodawcy (zakładu pracy) [L'établissement de travail comme un établissement
administratif. Sur les questions de droit interne et autres missions publiques de l'employeur (lieu de travail), Cracovie 2020 (sous presse). Dans la littérature, cependant, on présente une opinion que le pouvoir de l'employeur est également perçu comme un pouvoir réel, sociologique et privé, cf. A. Musiała, Prawo pracy : czyje ?... [Droit du travail : à qui ? ...] p. 160 in fine.
[6]Cf. A. Sobczyk, Telepraca w prawie polskim [Télétravail en droit polonais] Varsovie