Énergies renouvelables : penser au nombre de zéros
L’énergie n’est qu’une utilité. Elle ne devrait entraîner ni sentiment, ni rêve ; il s’agit seulement de choisir les moyens les plus efficaces pour se chauffer, cuisiner, se déplacer, « usiner » etc. tout en préservant un environnement agréable. Que ce soit par une voie ou par une autre, cela n’a pas d’importance en soi pour le citoyen.
Pourtant, si l’on regarde les déclarations et prises de position, cette rationalité est souvent absente ; les ordres de grandeur et les disponibilités dans l’espace et dans le temps sont souvent oubliés. On passe de l’expérience pilote au bouleversement de la société en oubliant les étapes qui peuvent être des impasses. On confond objectifs et moyens en s’enthousiasmant sur des idées séduisantes mais irréalistes.
Actuellement, la grande cause est le changement climatique. La sécurité d’approvisionnement n’est plus le souci principal car, avec le pétrole et le gaz de schistes (sans parler des réserves de charbon), les disponibilités pour les énergies actuelles sont suffisantes à vue humaine.
Mais ces énergies doivent justement disparaître car elles sont sources d’émissions de CO2 et, pour les éventuelles énergies remplaçantes, la disponibilité sera bien le souci premier. Pour chacune d’entre elles, il faut se poser la question de leur potentiel pour savoir si elles sont à la hauteur des besoins, donc mesurer l’effort qu’elles méritent.
La consommation d’énergie est appelée à croître : sans doute pas dans les pays développés qui n’ont que des problèmes de composition de leur mélange énergétique. Mais les pays en développement doivent suivre la demande croissante d’une population elle-même croissante. Les énergies fossiles doivent être remplacées mais elles représentent 80 % de l’énergie mondiale, c’est-à-dire qu’il faut trouver des sources dont l’ordre de grandeur se chiffre en milliards de tonnes d'équivalent pétrole/an.
Nous ne développerons pas le problème de l’énergie nucléaire qui serait quantitativement en mesure de fournir l’énergie nécessaire (surtout avec les réacteurs de la prochaine génération) mais leur avenir dépend de positions politiques qui ne découlent pas forcément d’une même logique.
Le potentiel peut dépendre de la disponibilité primaire ou de la contrainte d’un autre facteur au cours du processus de mise en oeuvre. Nous allons successivement examiner chacune des énergies sur lesquelles beaucoup comptent. Trois n’ont pas de limite théorique à l’origine : éolien, solaire et géothermie.
Éolien et solaire
Nous regroupons ces deux énergies car, bien que très différentes, elles rencontrent des problèmes identiques.
Tout le monde s’est tourné vers elles et l'on peut dire que, parmi les énergies dites renouvelables, elles sont les seules à avoir atteint un stade industriel. Le potentiel est à la hauteur. Pour l’éolien, des estimations donnent un potentiel de 278 000 TWh, soit environ 27 milliards de tep. Pour le solaire, la terre reçoit 8 000 fois l’énergie qu’elle consomme.
Elles posent des problèmes d’intermittence dont nous ne parlerons pas dans cette note mais qui ne doivent pas être oubliés, car elles buteront sans doute sur cet obstacle.
Mais si la source énergétique n’est pas le facteur limitant, elles nécessitent pour les capter des surfaces importantes et ont des conséquences sur une richesse non comptabilisée : les paysages.
La plus grande centrale solaire construite au Maroc a une puissance de 580 MW et couvre 600 hectares ; la centrale nucléaire de Cattenom avec 400 hectares a une puissance de 5 200 MW. Les terrains sont certes des terres non cultivées qui sont rarement proches des zones de consommation. Or, le transport de l’électricité est coûteux et la construction de lignes se heurte à des oppositions. Pour le solaire, le projet actuel de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit d’atteindre 40 GW en 2028 en France (contre 8,4 aujourd’hui). Ceci correspond à environ 40 000 ha ou 400 km2, soit plus de 12 fois la superficie de l’aéroport de Roissy. On peut aussi rappeler que l’artificialisation des sols croît de 550 km2 par an.
Les éoliennes doivent être espacées les unes des autres de 500 mètres. Bien sûr, le sol en dessous n’est pas stérilisé mais difficile à vivre pour les hommes et les animaux. Leur puissance est de l’ordre de quelques MW.
Avec des éoliennes de 5 MW, il faut 200 éoliennes pour obtenir 1 000 MW. En ligne, elles s’échelonneraient sur 100 km. Le projet actuel de PPE prévoit 20 000 MW supplémentaires : cela fait 2 000 km !
Bien sûr, comparés à la surface de la France (550 000 km2), ces chiffres peuvent paraître faibles ; la limite risque en fait d’apparaître avec l’acceptation de la population.
Quand on voit des plans d’eau couverts de cellules photovoltaïques (les poissons remontent pourtant parfois à la surface !) ou des éoliennes installées dans des sites touristiques, on peut avoir des doutes sur le développement possible, sans parler des lignes et des installations futures nécessaires au stockage.
Une dernière remarque concerne les limites (ou du moins les difficultés) pouvant provenir de la disponibilité de certains éléments chimiques. Mais ceci risque d’affecter les coûts plus que la faisabilité physique.
La géothermie
À vue humaine, le potentiel est illimité. L’énergie fournie n’a pas de problème d’intermittence et les surfaces mobilisées sont comparables à celle du pétrole et du gaz. L’obstacle est technique car les réalisations sont encore plutôt expérimentales ou de démonstration. Les conditions de réalisation sont aussi très variables suivant les zones. La géothermie en zone volcanique n’a techniquement rien à voir avec la géothermie dans un bassin sédimentaire, du fait des terrains traversés et des températures. Quand on voit les progrès que les pétroliers ont faits dans les techniques d’exploitation du sous-sol, le potentiel de progrès de la géothermie est certainement très grand et un accroissement de l’effort en ce domaine est certainement justifié.
Les énergies précédentes n’ont pas de problème de ressources à l’origine. Il n’en est pas de même de celles qui vont suivre.
Les énergies marines
Ces énergies ont une bonne image dans le public et font rêver mais leur potentiel est sans doute bien inférieur aux espoirs exprimés.
Tout le monde pense aux marées et à l’usine de la Rance. Mais outre que les marées correspondent à un phénomène de résonance et non à un apport continu d’énergie, il faut, pour en tirer parti, des sites aux caractéristiques très spécifiques qui n’existent que dans un nombre très limité de cas. D’ailleurs, elle n’a jamais été copiée. Ce sont aussi des sites touristiques à protéger ; pourrait–on aujourd’hui construire l’usine de la Rance ?
De même, les courants suffisamment forts ne sont pas en grand nombre.
Pour les océans, certains ont avancé un potentiel mondial de 120 000 TWh/an mais la majeure partie est l’énergie thermique des mers qui joue sur les différences de température entre la surface et les profondeurs. On voit difficilement une réalisation industrielle. Cette différence est relativement faible (de l’ordre de 30 degrés) et tout le monde sait qu’en thermodynamique des différences élevées sont nécessaires pour des procédés efficaces. Les algues en milieu marin supposent aussi des sites rares et leur exploitation posera aussi des problèmes écologiques.
Dans le domaine des énergies marines, il y a sans doute des niches, mais elles doivent être traitées comme telles et non comme le début d’un bouleversement énergétique.
La biomasse
La biomasse fait également rêver. Dans les populations primitives, c’était pratiquement l’unique source d’énergie. Les énergies fossiles sont d’ailleurs de la biomasse stockée au cours des millénaires. Les productions semblent importantes et on entend régulièrement parler des surplus agricoles, cauchemar des responsables budgétaires ! En fait, les ordres de grandeur ne sont pas là pour bouleverser le système énergétique. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que les forêts européennes ont été sauvées par le charbon car elles ne suffisaient pas aux besoins des industries naissantes.
La production actuelle de biomasse n’est pas disponible pour l’énergie. Elle est utilisée dans l’alimentation humaine ou animale, dans l’industrie, dans la construction… Il faut donc viser des productions nouvelles ou des productions fatales non utilisées. La production mondiale de céréales est de l’ordre de 3 milliards de tonnes. En énergie contenue, c’est la moitié environ donc à peine 10 % de la consommation d’énergie. Mais c’est surtout la base de l’alimentation d’une population croissante. La production forestière est aussi de l’ordre de 3 milliards de tonnes mais elle est aussi utilisée ; c’est aussi un secteur aux évolutions lentes.
L’énergie ne doit donc compter que sur la croissance des productions ou la valorisation de ce qui n’est pas utilisé aujourd’hui. Tout n’est pas valorisé, et c’est certainement la première priorité que de valoriser les déchets perdus, par exemple dans les centrales utilisant les bagasses, le biogaz etc. On peut penser à des cultures spécifiques mais soit sur des sols fertiles et en concurrence avec l’alimentation, soit sur des sols arides et même avec des plantes adaptées, la production est limitée et l’effet sera lent.
Il reste la substitution aux forêts primaires en remplaçant le peuplement primaire par des espèces à pousse rapide. L’exemple d’efficacité du point de vue énergétique est sans doute l’huile de palme, mais est-ce un exemple à suivre ? En première approximation, 1 million de tonnes d’huile de palme est équivalent à 1 million de tep, mais pour le produire il faut 250 000 hectares (4 t/ha). Pour arriver à 1 milliard de tonnes il faudrait 250 millions d’hectares (près de 5 fois la France métropolitaine), c’est-à-dire multiplier par plus de 10 les surfaces actuelles qui posent déjà des problèmes écologiques car ces surfaces correspondent à de la déforestation.
Quelle que soit la culture, on sera confronté au même phénomène. Comme les quantités sont limitées, il faut viser les applications les plus simples.
À ce titre, les biocarburants de deuxième génération sont sans doute le régal de chimistes. Mais est-ce justifié pour ne remplacer qu’une faible partie des carburants fossiles, alors qu’il y a des usages plus simples et tout aussi efficaces pour diminuer les émissions de CO2 ?
La biomasse ne révolutionnera pas les grands usages énergétiques mais les énergies fossiles (notamment le pétrole) ne servent pas qu’à l’énergie. Elles sont utilisées via la chimie dans beaucoup de secteurs et, là, on retrouve des ordres de grandeur compatibles avec la biomasse.
Il existe certainement un large domaine dans lequel l’utilisation de molécules naturelles peut remplacer des produits issus du pétrole. Le papier, par exemple, peut se substituer à des films plastiques, le bois d’œuvre aux structures métalliques ou plastiques ; c’est certainement l’utilisation la plus efficace de la biomasse. Mais bien sûr, le pire est de transformer le bois d’œuvre en bois énergie !
Hydroélectricité
L’énergie hydraulique fournit actuellement 15 % de l’énergie électrique mondiale. Des estimations ont été faites sur le développement possible : on trouve un chiffre de l’ordre du milliard de tep, ce qui est donc important. Mais ce potentiel est majoritairement situé dans des pays en voie de développement, loin des lieux de consommation importante. Pour être réalisé, il doit trouver sa place dans des plans d’ensemble. Dans les pays développés, les sites possibles sont déjà équipés. Il n’y a donc pas là une source importante pour modifier le mélange énergétique. Il faut aussi ajouter que les projets rencontrent de fortes oppositions au nom du bouleversement de l’environnement. Quand on regarde les équipements français, on peut se demander s’ils seraient possibles aujourd’hui.
À la fin de cette revue, on voit bien qu’il n’y a pas une voie royale et qu’il est peu probable que l’on parle à l'avenir de l’ère d’une nouvelle énergie, comme on a pu évoquer l’ère du charbon ou celle du pétrole. Ceci est d’autant plus vrai que, dans cette tribune, seul l’aspect physique a été abordé et pas l’aspect économique. Ceci signifie premièrement que la sortie des énergies fossiles sera très difficile à réaliser, surtout si l'on écarte le nucléaire. L’effort public est déjà très important quand on le compare aux autres actions publiques. Par exemple, l’aide à la transition énergétique est supérieure au budget de la justice ! Il convient donc dans ce domaine de choisir les actions en fonction de leur efficacité et non de la virtuosité scientifique ou du rêve.
Une grande partie du chemin devra être faite par un effort continu sur des actions plus obscures que les grandes annonces sur de nouvelles énergies, c’est-à-dire sur l’efficacité énergétique et la saisie de toute opportunité de production ou de meilleure utilisation.
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LA REVUE DE L’ÉNERGIE, AU CŒUR DES TRANSITIONS ÉNERGÉTIQUES
Réflexions publiées dans la Revue de l'Energie il y a plusieurs mois...toujours d'actualité !
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