Panorama et enjeux des négociations de l'information syndicale et des CSE sur les réseaux d'entreprise
Le dossier proposé passe en revue, au travers des échos syndicaux, le cadre, formel et informel, des usages de l'information syndicale et des CSE dans 21 réseaux d'entreprise. Directions et syndicats sont manifestement plus à l'aise pour négocier des heures de délégation et des mandats supplémentaires que des moyens d'information, un volet où la part des usages tacites est importante.
L'accord sur les moyens du dialogue social se borne souvent à la négociation du nombre de CSE et de CSST, du nombre de mandats et de postes d'élus, des heures de délégation, des budgets syndicaux et des ASC, sans bien entendu oublier les locaux des syndicats et du CSE. Si on aborde aussi désormais des conditions d'utilisation de la visioconférence et de la signature électronique dans la conduite des négociations, les moyens d'interactions des élus avec les salariés, tant pour les syndicats que pour les CSE, sont encore souvent un angle mort des négociations. A croire que certaines directions préfèrent entretenir le flou. On interdit, mais on laisse faire...
Sans prétendre être un échantillon représentatif, le panorama du cadre de l'information syndicale et des CSE sur 21 réseaux d'entreprise proposé fait clairement ressortir la part des usages tacites sur la messagerie professionnelle, sur le réseau social et la visioconférence.
Les 21 situations d'entreprise, commentées par les syndicats, proposent une grille de lecture commune [Avec abonnement] qui balaye le champ des usages officielles, ou non. Ce panorama se veut évolutif.
[Services technologiques] Capgemini / Orange / Microsoft / Worldline
[Services financiers] AG2R / BNP Paribas / GMF Assurances (Covéa) / Maaf (Covéa) / Macif / Maif / SG
[Commerce] Decathlon / Castorama / Leroy Merlin
[Industrie] Michelin / Renault / Stellantis / Thales / TotalEnergies
[Environnement-Transport] RATP / Veolia
Seulement 11 entreprises affichent un accord sur les "moyens numériques" et ces derniers sont très rarement complets puisqu'ils se limitent souvent aux règles d'usage de la messagerie. Les usages tacites sont donc parfaitement compatibles avec des accords partiels, parfois relégués au rang des annexes. Et si les usages sont modérément balisés pour les syndicats, ils le sont encore moins pour les CSE. Si les directions tolèrent l'information sur les ASC portée via les outils internes par les CSE, elles acceptent moins quand l'instance se décide à informer les salariés sur la vie sociale de l'entreprise [Lire avec abonnement Comment profiter des CSE pour informer les salariés sur autre chose que les ASC ?]
On est loin de l'accord cadre sur les moyens du dialogue social. Il y a beaucoup de trous dans la raquette.
- Avec "Infos CSE", tous les mois, depuis 2 ans, la DRH de la Macif diffuse la lettre d'information de l'instance à tous les salariés pour revenir "sur les sujets majeurs présentés lors des CSE". Un accord global, c'est aussi l'occasion d'aborder le cadre de la diffusion des informations par la direction auprès des salariés et de la ligne hiérarchique.
Liste de diffusion & tractage
Dans 25 % des 21 entreprises observées, les listes de diffusion syndicales sont certes interdites mais les directions font l'autruche face à ceux qui ne respectent pas la règle. De quoi susciter la frustration et l’agacement des syndicats qui respectent l'interdiction et qui voient dans cette tolérance une inégalité de traitement source d'un "avantage concurrentiel" pour ceux qui mettent un pied dans la porte [Lire avec abonnement De l'impunité des syndicats qui ne respectent pas l'interdiction d'utiliser la messagerie professionnelle ].
- Pendant les confinements, certains syndicats ont pris le droit d’utiliser la messagerie pour diffuser les informations à tous les salariés, quitte à s’exposer à des sanctions disciplinaires. [Lire avec abonnement Des syndicats à l’abordage de la messagerie d’entreprise pour informer les salariés confinés]
Si le développement du télétravail a montré les limites du tractage, des panneaux d'affichage et des espaces syndicaux réglementaires sur les intranets, seulement 50 % des 21 entreprises observés autorisent aujourd'hui l'utilisation de la liste de diffusion syndicale avec plus ou moins de contraintes [Lire avec abonnement BNP Paribas canalise, SG libère].
Les accords les plus contraignants encadrent l'expression des syndicats. On en arrive à un niveau de cour d'école quand les syndicats n'ont le droit qu'à une liste de mots clés pour titrer leur message...Ce sont les attaques entre syndicats et la possibilité d'en faire une caisse de résonance bien plus forte qu'avec un tract papier que tiennent à réguler les directions. C'est d'ailleurs pour cela que l'accord d'Orange interdit le transfert entre salariés des informations diffusées par messagerie par les syndicats.
Il y a des limites à ne pas dépasser comme quand l'intersyndicale de Worldline à lancé un appel aux salariés pour se positionner pour ou contre une grève via un lien vers un sondage. L'accord initial n'avait pas prévu ce cas de figure. Les règles ont été revues [Lire avec abonnement Pourquoi Worldline a réduit l'usage syndical de la messagerie ?]
Mettre le sujet des conditions d'utilisation de la liste de diffusion syndicale sur la table induit de trancher si tous les salariés seront inscrits par défaut aux listes de diffusion syndicale et qu'ils pourront, ou non, faire la démarche de se désinscrire (un indicateur intéressant à suivre) ou si c'est à eux de faire la démarche de s'abonner avec des directions qui se chargent d'assurer la promotion des espaces dédiés.
Une promotion à géométrie variable à l'image de l'espace de publication syndical que la direction doit mettre à disposition des syndicats sur l'intranet, la seule obligation légale en matière de mise à disposition syndicale de "moyens numériques”. Des espaces contraints qui ne sont pas les plus mis en avant par les directions qui ont toute liberté de décider si les salariés peuvent choisir de recevoir une notification à chaque nouvelle publication proposée dans un espace syndical.
La négociation des moyens doit d'autant plus être globale qu'il y a des interdépendances inattendues, comme entre la liste de diffusion syndicale et le tractage extra légal [Lire avec abonnement Messagerie syndicale, tract papier distribué "sur bureau" : c'est souvent l'un ou l'autre].
Visioconférence & réseau social
Dans beaucoup de grandes entreprises, les salariés ont le droit de participer sur leur temps de travail à un temps d'information syndicale périodique (1 h par trimestre par exemple). C'est un droit historique, en présentiel. Rares sont encore les entreprises où les syndicats peuvent en revanche organiser des visioconférences avec les salariés, sur le temps de travail ou non, et en assurer la promotion sur le réseau de l'entreprise...Et pour ceux qui le font, l'incapacité à assurer l'anonymisation sur l'outil apparaît comme un frein. Ça ne l'est plus du tout quand la visio sert à échanger avec les adhérents.
La question de l'anonymisation ne se pose pas sur les réseaux sociaux internes. Les salariés rejoignent les groupes syndicaux, "like" , commentent, partagent des contributions syndicales personnalisées, signées, en toute connaissance de cause. Des réseaux sociaux qui bousculent les syndicats qui avaient une volonté de centraliser la diffusion de l'information. A l'instar de chez Michelin où chaque délégué syndical peut informer sans limite les salariés de son usine via le réseau social. Un usage des réseaux sociaux internes qui intègre la capacité des syndicats à utiliser les outils collaboratifs de l'entreprise. Pour sonder les salariés, par exemple.
Si l'espace syndical statique n'intéresse pas les syndicats, il en va autrement du réseau social interne comme c'est le cas chez TotalEnergies. Michelin ou encore Thales. Face aux interdictions, les syndicats qui ont développé leur présence avec succès sur des réseaux sociaux externes comme Whatsapp, Instagram, Facebook, Discord,... n'ont pas nécessairement envie de retourner au bercail des outils internes [Lire avec abonnement Comment la CGT de GMF gère les 900 salariés inscrits dans ses groupes WhatsApp ?] Cela peut tout de même les amener à réfléchir si d'autres syndicats qui avaient une longueur de retard profitent de cette opportunité [Lire avec abonnement Ouvrir les réseaux sociaux de l'entreprise aux syndicats, une occasion pour les directions de rebattre les cartes].
Mais il ne suffit pas pour une direction d'ouvrir. Les conditions d'une libre expression ne se décrète pas. Les réseaux sociaux internes largement délaissés par les salariés ne sont pas rares. Pas de quoi motiver, dans ces conditions, les syndicats de s'y faire une place.