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27 / 10 / 2008 | 42 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Un suicide survient dans votre entreprise ! Que faire ?

« La personne souffrait de problèmes personnels ! Ce n’est pas un suicide en relation avec le travail !  Sa femme l’avait quitté ! Il était déprimé et vivait seul ! Il sortait de la clinique psychiatrique ! etc »… Même si ces déclarations des Directions ne sont pas forcément erronées, elles passent très mal vis-à-vis  des salariés comme des familles si ce n’est des médias et du public. C’est d’autant plus vrai quand le suicide est « dédicacé » à savoir quand la victime a accusé dans son dernier geste de désespoir son employeur, son travail ou d’autres personnes.

Pour les dirigeants et les représentants du personnel réagir vite est indispensable pour ne pas se laisser déporter par des phénomènes classiques de rumeurs, de désinformation, d’amplification. Sans préparation, sans formation préalable, les questions se bousculent.

Sur la base des nombreux dossiers de suicides que nous avons eu à traiter depuis une dizaine d’années ( plus de 20 dossiers depuis 10 ans ), l'équipe pluridisciplinaire de Technologia préconise une synthèse des actions clés d'un plan d'urgence (cette courte synthèse ne permet pas d’en rendre compte en totalité, voir le dossier complet dans le fichier associé). Les exemples que nous avons vécus montrent les écueils à éviter.

Sur le volet communication

Les dirigeants sont donc trop souvent dans le déni afin d’éviter une mise en cause de leur responsabilité ou tout au moins dans la minoration maladroite. Ce qui ne leur permet pas d’être en position de gérer la crise ouverte par le drame. Il s'agit au contraire de ne pas banaliser l'acte en annonçant qu’il va au contraire conduire à une analyse approfondie pour en tirer tous les enseignements. Le tout en ne livrant pas la vie de la victime en pâture aux médias et en établissant une description économe des circonstances de survenance.

Il ne paraît pas utile dans un premier temps d’aborder les questions de la qualification de l’acte en accident du travail. L’entreprise donnerait alors l’impression de « chipoter » ou de fuir ses responsabilités. Entrer dans un débat technique et juridique (exemple la présomption d’imputabilité !) alors que le choc est encore dans toutes les mémoires est malvenu. Surtout si la direction se refuse à cette caractérisation. Il y a un temps pour chaque chose.

Réunir les représentants du personnel (DP et/ou CHSCT) et ouvrir un débat authentique avec eux est indispensable. Une première étape, vers une éventuelle mission d’expertise paritaire dans le cadre du CHSCT.


Très souvent, les familles n’ont pas été reçues directement par un manager. 


Désigner un correspondant, si possible un membre de la direction ou de l’encadrement du service de la victime, pour les membres de la famille est tout aussi indispensable. Très souvent, les familles n’ont pas été reçues directement par un manager. Quand elles l’ont été, c’est souvent par une assistante sociale, un chef de service, qui était insuffisamment informés pour répondre aux questions concrètes des familles et des proches. Ces personnes interfaces étaient là dans un rôle de simple écoute et de tenue à distance. Cette façon de faire à eu pour conséquences d’accentuer les douleurs et les ressentis négatifs. Les familles n’ont pas admis que le management ne prenne pas le temps de la parole et du partage de cette douleur.

Le correspondant désigné devra prendre rapidement contact avec la famille et rendre des visites pour assurer un soutien moral et proposer si possible un soutien matériel notamment pour les démarches administratives.

Un volet "administratif" à multiples facettes

Il a été parfois difficile pour les familles de récupérer les affaires de la victime. Très souvent les problèmes ont porté sur une problématique de logistique morbide. Il a été parfois difficile pour les familles de récupérer les affaires de la victime. Elles n’ont pu accéder à son bureau ou à son ordinateur portable parfois à son Palm. Là encore, les entreprises ont généré des frustrations, des irritations, des colères.

Au sujet de la cérémonie plusieurs questions se posent :
  • Les salariés proches peuvent-ils venir ?
  • Ou encore, auront-ils l’autorisation d’absence indispensable de la part de l’employeur ?


Faire constater le décès par un médecin, rédiger la déclaration d’accident de travail sans mentionner pour des questions évidentes d’assurance la cause de la mort s'impose aussi. Constituer un dossier avec tous les éléments, confidentiels ou non, comme par exemple la copie complète du dossier personnel de la victime.

Informer les différents services concernés que sont la police, le service de Prévention de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie, l’inspection du travail. Il est primordial de bien préparer dans le détail la participation aux enquêtes officielles (Police, CRAM, Inspection du Travail) car la superposition des différentes démarches peut occasionner un rejet ou une lassitude des salariés interrogés.

  • Une cellule de crise prendra le temps d’expliquer à chacun les différentes démarches en cours dans leurs différences, les statuts divers des enquêteurs, les enjeux et résultats à attendre de ces enquêtes.

 

Libérer les expressions et accompagner

Dans ce groupe de travail, le manager ne doit pas être présent afin de permettre la liberté de parole.  Il paraît essentiel de faire travailler les collègues les plus proches de la victime par expression orale collective afin que les émotions s’apaisent. Il convient de recentrer le groupe de parole sur ce qui fait sens pour tous à avoir le travail. Le drame peut générer aussi des troubles chez ceux qui demeurent, voire participer à la fragilisation d’autres salariés. De plus l’épreuve peut réveiller des fractures anciennes.

Le médecin du travail peut animer cette première réunion. Il peut cependant arriver qu’un manque de formation les contraignent à une attitude en retrait. Dans le cas où le médecin du travail ne possède pas la formation adaptée, il pourra se faire assister par un psychologue du travail. Il est à noter que les structures de santé du travail sont  toutes aujourd’hui très largement pluridisciplinaires, les psychologues y cotoient les médecins et chacun est amené à travailler en équipe.


Dans ce groupe de travail, le manager ne doit pas être présent afin de permettre la liberté de parole. En revanche, les salariés N – 1 ou les sous-traitants peuvent être admis.

Nous avons constaté que souvent les responsables des services de sûreté/sécurité étaient les premiers arrivés sur le lieu du drame. Cette remarque incite donc à mettre dans la boucle de la communication les sociétés de service qui sont les employeurs en sous-traitance. En effet leurs salariés seront affectés et très souvent les premiers interrogés par les différents services d’enquête.

Gare aux conséquences de propos mal maîtrisés ou d’écrits mal adaptés.
Le manager qui assume une responsabilité, en raison d’un mandat social, incarne alors physiquement en quelque sorte la personne morale qu’est l’entreprise. Les différentes enquêtes, les interrogatoires, l’éventuelle mise en examen - au titre de ce mandat social - qui est toujours très redoutée peuvent profondément déstabiliser les caractères les plus trempés. Il doit être assisté (sans doute par un conseil juridique pour ce qui est de la défense des intérêts de l’entreprise et de ses propres intérêts) mais surtout par une personne en soutien psychologique.

Le manager de proximité peut quant à lui développer des troubles de culpabilité. Une situation de détresse psychologique d'autant plus renforcée si le manager n'est pas accompagné. Gare aux conséquences de propos mal maîtrisés ou d’écrits mal adaptés.

Il ne faut pas rien négliger. Nous avons été ainsi frappés de la symbolique qui s’attachait parfois aux lieux. Ainsi dans une entreprise, un salarié s’est suicidé selon le même protocole qu’une précédente victime 5 ans auparavant… Comment traiter cet aspect de la morbidité ?  Des travaux de rénovation peuvent être engagés. Bien entendu la rénovation des locaux ne garantit pas que l’acte n’aurait pas eu lieu mais tout au moins, elle reste un signe concret et positif en direction des salariés proche.

Texte rédigé pour l’équipe de Technologia par Jean Claude Delgenes, directeur,  avec le concours des consultants :
Docteur Elisabeth Font Thiney, Médecin Psycho Pathologue
Docteur Stéphanie Palazzi, Psychiatre clinicien
Gérard Bregier, Ingénieur Prévention

 

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