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27 / 04 / 2009 | 3 vues
Christian Kostrubala / Membre
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Tours de bureau, tours infernales ?

La 3ème rencontre Actineo dresse l’état des lieux sur les ITGH (Immeubles de Très Grande Hauteur) en France, et remet en question les bienfaits des tours, à l’heure où l’hexagone se convertit à la verticalité.  

L’arrivée annoncée de plusieurs immeubles de très grande hauteur autour de Paris relance le débat sur les effets que l’environnement de travail dans les tours produit sur la qualité de vie de leurs occupants.

Psychologues, architectes et chefs d’entreprises ont été sollicités le 25 mars par Actineo, l’observatoire de la qualité de vie au bureau, pour exposer leur point de vue. Le problème du manque de surface contraint aujourd’hui l’immobilier à abandonner l’organisation urbaine horizontale pour s’orienter vers une organisation verticale. L’empilage permis par les tours est donc une réponse aux coûts de surface et la verticalité est devenue une composante de la ville qui semble ne plus pouvoir être remise en question. Rationalisation des dépenses et des espaces, centralisation des activités, image modernisée, les entreprises devraient voir dans l’adoption de ses structures des avantages sensibles dans leur gestion globale et leur productivité.

Néanmoins, le passage de l’horizontal au vertical suppose une sérieuse réorganisation du travail, et des bouleversements humains non négligeables.

Tours infernales ou gain maximal ?

La folie des grandeurs remonte à la nuit des temps. Le mythe de Babel est l’illustration de cette tendance active des hommes à élever des tours jusqu’au ciel. Mais est-ce si naturel ? L’homme est-il fait pour vivre au-dessus du sol ? Rien n’est moins sûr, à écouter ce qu’en révèlent les psychologues du travail et au regard des statistiques effectuées auprès des utilisateurs travaillant dans les tours.

D’après un sondage INSEE, si a priori les gens n’ont rien contre travailler dans une tour, à l’usage ils s’aperçoivent des différences. La fierté d’œuvrer au sein d’un bâtiment moderne et technologique est vite ternie par le caractère claustrophobique du lieu, dont on ne peut ouvrir les fenêtres, et dont on ne sort qu’après un long voyage en ascenseur, parfois même avec des changements, des temps d’attente indéterminés, quand ce ne sont pas des problèmes techniques ! La « pathologie des tours » dénoncée au début de leur émergence dans les années 1980 est tout de même à reconsidérer aujourd’hui.

Les efforts des architectes et concepteurs en matière de bien-être sont probants. Seuls les « anciens modèles » souffrent encore des problèmes liés à la ventilation, la climatisation, l’éclairage artificiel et les locaux aveugles qui justifiaient la dénomination de « tour infernale ».

Si l’angoisse du labyrinthe (une seule porte de sortie, pas d’ouverture ni de visibilité sur l’extérieur) est résolue, il reste quand même des obstacles à l’appropriation du lieu : l’angoisse de la hauteur, l’impression d’étouffement liée à la densité de population, la difficile circulation, ainsi que l’univers aseptisé et contrôlé des immeubles de très grande hauteur (ITGH) en sont des exemples, pour Elisabeth Pelegrin-Genel, architecte et psychologue du travail.

  • Dans de tels bâtiments, le rapport au sol n’existe plus puisqu’on ne le voit plus, et les occupants du site se sentent souvent coupés du monde, au-dessus de la réalité, dans un microcosme qui peut devenir gênant pour le travail. Les architectes tentent cependant de répondre à ces problématiques, en intégrant par exemple des balcons à chaque étage pour faciliter l’accès à l’air libre, et à un espace non-contrôlé.

L'expérience de la Société Générale

Pour une bonne utilisation des tours, il s’agit en fait de penser un réaménagement complet de l’espace et une réorganisation du travail qui lui est associé. Patrick Chausse, directeur adjoint de l’immobilier de Société Générale, nous en livre quelques exemples. Les trois tours bâties par le groupe représentent trois réponses différentes en terme d’architecture, l’ensemble permettant d’optimiser l’organisation et le mode de fonctionnement par le partage de différentes fonctions (restaurants, parking, salles de réunion…) mises en commun dans cet espace réduit. Si le premier objectif est une maîtrise de la consommation d’énergie et une réduction des coûts, le bien-être des occupants a été une préoccupation réelle dans la conception du projet. L’axe a été mis sur le confort visuel, par la mise en place de cloisons transparentes pour bénéficier de la lumière naturelle, l’élévation de la hauteur des plafonds pour aérer l’espace, la sobriété du mobilier pour ne pas perturber l’utilisateur.

  • En outre, les concepteurs ont cherché à pallier les problèmes pratiques inhérents à la forte densité dans ses sites, en mettant en place un système de comptage des places de parking ainsi qu’un système d’information en tant réel qui informe dans les ascenseurs du nombre de places disponibles dans les restaurants ! 

Une éducation est nécessaire pour faire évoluer les comportements dans ce type d’espace, et c’est pourquoi Société Générale a mis en place une équipe de communication dévolue à cette tâche, qui rassure l’utilisateur (en anticipant les déménagements d’entreprise par exemple) autant qu’elle l’aide à s’approprier son lieu de travail. Aux dires de Patrick Chausse, la question de la verticalité et du travail dans des tours n’est pas le vrai problème. Aujourd’hui, les utilisateurs mettent en priorité la mobilité et le travail en réseau. Le lieu, à l’heure du « travail nomade » rendu possible par les NTCI (Nouvelles technologies de la communication et de l’information) deviendrait pour eux secondaire.

Retour au plancher des vaches

Eric Blanc-Chaudier, directeur Emploi et Stratégie chez Axa France, nous décrit cependant une toute autre expérience. L’entreprise a quitté la célèbre « tour Axa » qui dominait la Défense pour une structure beaucoup plus horizontale, dont il n’a qu’à se féliciter. Tout d’abord, le modèle du « campus » mis en place à Nanterre garantit une durabilité du site que la tour ne permet pas, ayant une capacité limitée tandis que le campus peut recevoir un agrandissement, et ainsi, augmenter le nombre des collaborateurs sur son site. En outre, l’environnement est plus humain et les espaces moins réduits. La circulation mise en place par une « rue intérieure » favorise les rencontres et la communication contre la batterie d’ascenseurs qui réduisait la liberté de circuler.

Dans ces espaces horizontaux, « l’homme reprend le dessus sur la technologie », n’a pas peur d’affirmer E. Blanc-Chaudier. En d’autres termes, les usagers se sentent plus à leur aise, et maîtrisent davantage la situation que dans l’univers emprisonnant des ITGH. L’appropriation du lieu de travail est un facteur important dans la qualité du travail, car il implique une bonne organisation, favorise les prises d’initiative et le rendement des collaborateurs. A cela s’ajoute les bénéfices d’une implantation du lieu en cœur de ville, et non dans des ghettos de tours tels que l’est aujourd’hui la Défense. « En France, les tours sont construites sur des dalles hors des villes, entre les autoroutes et les cimetières », déplore Andrès Larrain, architecte directeur de projet à l’agence Jean-Paul Viguier. Pour accéder à la tour Axa il fallait ainsi utiliser une passerelle, signe tangible de la fracture avec l’extérieur. Avec le campus de Nanterre, Axa est donc sortie de son insularité et se réjouie de revenir à la vie, c’est-à-dire   la ville.

Les collaborateurs peuvent ainsi par exemple profiter du marché à proximité, et n’ont plus le sentiment d’être « au-dessus » de la ville.

Les tours mixtes : la solution ?

Pour concilier l’exigence de gain de surface et de diminution de la consommation énergétique tout en garantissant au personnel occupant un bien-être et un confort de travail favorisant de surcroît le bon fonctionnement de l’entreprise, la solution se trouve peut-être dans les tours mixtes, dans lesquelles seraient mêlés bureaux, commerces, espaces publics et appartements privés. Si la réglementation française autorise les tours mixtes, sa mise en place reste quasi-inexistante pour le moment. Pourtant la mixité permettrait de mettre un peu de vie courante dans le monde du travail. Ajoutons que la mixité devra aussi se jouer sur les variations de hauteurs, afin de rétablir des horizons variables, et de permettre une composition harmonieuse des espaces.

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