Participatif
ACCÈS PUBLIC
27 / 09 / 2017 | 2 vues
Philippe Pihet / Membre
Articles : 106
Inscrit(e) le 22 / 01 / 2008

Retraites : chronique d'une réforme annoncée

Lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, au printemps 2017, Emmanuel Macron annonçait la mise en œuvre d’une nouvelle réforme des retraites. Au vu du programme électoral et des annonces faites depuis l’élection présidentielle et même si son projet est souvent repris sous l’appellation « retraite par points », il semblerait qu’on s’oriente vers un système dit « des comptes notionnels », mis en œuvre en Italie et en Suède notamment. Si le dossier « retraite » ne sera sur la table qu’en 2018, il nous a semblé utile de vous donner quelques points de repères préalables.

Que dit le programme électoral de « La République en marche » ?

« Notre projet, ce n'est pas de changer encore une fois tel ou tel paramètre du système de retraites. Il n'est pas de sortir de la répartition. Il est de rétablir la confiance et de construire un système adapté aux parcours professionnels et de vie d'aujourd'hui et de demain. Il est de clarifier et de stabiliser les règles du jeu une fois pour toutes, en mettant en place un système universel, juste, transparent et fiable, dans lequel chacun bénéficie exactement des mêmes droits.

Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé.

Les cotisations, aux régimes de base comme aux régimes complémentaires, qu’elles soient versées sur les bases de revenus ou acquises au titre de la solidarité (pour les chômeurs par exemple) seront inscrites sur un compte individuel et revalorisées chaque année selon la croissance des salaires. Ainsi, chaque euro cotisé accroîtra de la même manière la pension future, quel que soit le statut du travailleur et l'origine de cette cotisation.

Le total des droits accumulés sera converti au moment de la retraite en une pension, à l’aide d’un coefficient de conversion en fonction de l’âge de départ et de l’année de naissance. L’allongement de l’espérance de vie est donc pris en compte en continu, au fil des générations : plus besoin de réformes successives, qui changent les règles et sont anxiogènes et source d’incertitude. Dans la durée, la réforme aura bien un effet financier en garantissant un équilibre sur le long terme.

Cette réforme ne changera rien aux conditions de départ à la retraite de ceux qui sont à moins de cinq ans de la retraite et qui l'ont donc déjà planifiée. Pour les autres, ceux qui ont au moins cinq ans d'activité devant eux, la transition sera progressive, sur une période d’environ 10 ans ».

Une loi-cadre à l’été 2018 ?

À l’heure où nous rédigeons ces lignes, aucun élément concret ne nous est encore parvenu, en dehors de déclarations diverses publiées dans la presse. Pour le moment, la seule communication que nous ayons eue de la part de l’exécutif consiste en cette phrase relevée dans le programme de travail du gouvernement : « rénover notre système en le rendant plus transparent et plus juste ». Vaste programme !

À l’occasion d’un entretien informel avec des cadres de la SNCF, le 1er juillet 2017, le Président de la République annonçait : « je souhaite que l’on puisse avoir au premier semestre 2018 une loi-cadre qui donne le départ de cette réforme, par exemple au 1er juillet 2018 ou début 2019 ».

Ajoutons également, l’annonce faite par la ministre des Solidarités [1] de « profondément réformer le système de retraite, tout en conservant la répartition. À l’issue de cette réforme, le nouveau système bénéficiera à tous ; chaque euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé. Après une large concertation sur les objectifs et modalités de la réforme, sa mise en œuvre sera progressive, sur une période d’environ dix ans. L’âge légal minimal restera fixé à 62 ans ». Un accord de méthode sera négocié avec les organisations syndicales et patronales d'ici le printemps 2018, portant sur les sujets à traiter, les méthodes de concertation et le calendrier visé. Cet accord qui « pourrait prendre la forme d’une loi-cadre donnera le calendrier d’une réforme qui se travaillera sur l’ensemble du quinquennat et sera probablement mis en œuvre sur le quinquennat suivant ».

Dans sa déclaration de politique générale le 4 juillet 2017, le Premier Ministre précisait : « Nous prendrons le temps du diagnostic, de la concertation et de la négociation et nous fixerons le cadre de la réforme fin 2018. Nous devrons préserver les équilibres de notre système de retraite, tout en le rendant plus juste et plus lisible. Les nouvelles prévisions du conseil d’orientation des retraites nous y invitent avec insistance puisqu’elles indiquent que le retour à l’équilibre, un temps prévu pour 2025, ne pourrait finalement intervenir qu’en 2040 ».

Une délégation interministérielle à la réforme des retraites menée par Jean Paul Delevoye

Le 18 juillet 2017, devant les députés de la commission des affaires sociales, Agnès Buzyn annonçait la mise en place d’une délégation ministérielle à la réforme des retraites « dirigée par un ou plusieurs responsables de haut niveau », pour la durée de la négociation et la première phase de mise en œuvre.

Dotée d’une équipe propre, avec un accès à tous les services nécessaires, cette délégation aura un rôle de coordination entre les principaux ministères concernés, outre celui des solidarités et de la santé dont elle relèvera, ceux chargés du travail et ceux de l’action et des comptes publics. Le 30 août, sur Cnews, elle promettait la nomination « fin septembre » d’un « délégué ministériel à la réforme des retraites ». Et la ministre de préciser : « Pour cette réforme en profondeur, ça commencera tranquillement sur un constat partagé d’ici la fin de l’année, un accord de méthode, et ensuite une négociation. Vous avez compris la méthode avec Mme Pénicaud, ce sera la même méthode. La réforme devra répondre à deux enjeux : clarifier les règles car les Français ont le sentiment que les retraites sont illisibles (...), injustes parce que notre système s’est construit par strates successives, plus personne n’y comprend rien, et ensuite redonner confiance dans un système de retraite pour nos jeunes. La réforme sera applicable quand elle sera prête, nous nous donnons le temps (...) On a dit la fin du quinquennat ».

Alors que les noms de Jean Pisani-Ferry (ex-patron de France Stratégie) et de Bertrand Fragonard (président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge) avaient circulé pour occuper la fonction de commissaire aux retraites, c'est finalement Jean-Paul Delevoye qui a été désigné. Un décret du 11 septembre 2017 précise ses missions : :
  • organiser la concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites ;
  • coordonner, au niveau interministériel, les travaux de préparation de la réforme des retraites, de rédaction des projets de textes législatifs et réglementaires et de suivi de leur mise en œuvre.
Ancien président du Conseil économique et social et environnemental, il est rompu à la négociation avec les partenaires sociaux : il a notamment engagé la réforme de la retraite des fonctionnaires et celle de l’ENA quand il était ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire de 2002 à 2004. Jean-Paul Delevoye a également été médiateur de la République d'avril 2004 au 31 mars 2011.

Un contexte économique dégradé

En septembre 2016, Marisol Touraine, alors ministre des Affaires sociales et de la Santé, nous annonçait des lendemains qui chantent : « En 2017, trois branches sur quatre du régime général seront à l’équilibre, la branche vieillesse pour la deuxième année consécutive, après avoir été dans le rouge depuis 2004. Ce rétablissement est durable et le conseil d’orientation des retraites a montré que notre système est désormais à l’équilibre dans le long terme » [2]. Tout aussi optimiste, Emmanuel Macron écrivait avant son élection : « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. Les travaux du conseil d’orientation des retraites, qui font référence, le montrent : pour la première fois depuis des décennies, les perspectives financières permettent d'envisager l'avenir avec une sérénité raisonnable, selon le comité de suivi des retraites ». À l’été 2017, force est de constater que la lune de miel est terminée, si l’on en croit les dernières livraisons des « spécialistes » des retraites.
  • L’équilibre des régimes de retraite ne serait pas atteint avant 2040, selon le conseil d’orientation des retraites.
Le 20 juin 2017, dans la quatrième édition de son rapport annuel, le COR a procédé à une actualisation des projections à court, moyen et long termes du système de retraite. Cette actualisation s'inscrit dans un contexte spécifique puisqu'elle s'appuie sur un nouvel exercice complet de projection réalisé avec l'ensemble des régimes de retraite sur la base des nouvelles projections démographiques et de population active de l'INSEE sur la période 2013-2070. Ce rapport revoit à la baisse les hypothèses de retour à l'équilibre du système de retraite car les perspectives financières se dégradent en raison de ces nouvelles projections démographiques. Ainsi, il apparaît que les comptes, aujourd'hui proches de l'équilibre, vont se dégrader plus vite que prévu, avec un déficit du système global de retraite de 0,4 point de PIB à l'horizon de 2021 : soit 9 milliards d'euros, près du double du déficit constaté l'an dernier. Ces besoins de financement augmenteront nettement d'ici 2030-2035 quelles que soient les hypothèses économiques. Ce n’est que vers 2040, dans le meilleur des cas et plus 2025, que la situation s'améliorerait. « Ce n'est pas un tremblement de terre par rapport aux dernières prévisions », a minimisé Pierre-Louis Bras, président du COR, lors d'une conférence de presse. « Toutes les réformes passées nous rapprochent plus ou moins de l'équilibre. Près de zéro, dès que c'est positif on est dans la lumière, dès que c'est négatif on plonge dans les ténèbres, alors que ces variations seraient passées pour anodines si, comme avant 2010, on projetait des déficits à 4,5 % du PIB ».

Pour l'instant, cette dégradation des projections n'a pas été commentée par l'exécutif mais les projections du COR sur l'équilibre du système de retraite sont-elles encore crédibles ? On ne peut que rester très circonspect sur des projections à cinquante ans, qui reflètent au mieux des tendances susceptibles d’évoluer. La croissance du PIB n’est révisée que deux fois par an et le COR a estimé les besoins de financement des retraites à 0,8 % du PIB d’ici 2070. Cela représente 16 milliards d’euros à trouver sur cinquante ans et c’est tout à fait faisable : c’est une question de choix politique et économique. Selon Olivier Passet, directeur des synthèses en charge du suivi des politiques économiques chez Xerfi : « si le COR nous alerte sur un risque de découvert de -1,2 % à – 0,3 % du PIB à horizon 2035, ce sont des dérives qui ne méritent pas de considérer notre système de retraite comme moribond. Elles ne remettent pas en cause le fait que notre système soit l’un des mieux provisionnés à long terme lorsque l’on regarde les risques qui pèsent sur les retraites dans d’autres pays. Entre les systèmes par capitalisation d’une part, sur lequels on ne peut faire aucun pronostic, et ceux par répartition, d’autre part, dont la Commission européenne nous dit qu’ils sont encore loin d’être paramétrés pour parvenir à l’équilibre à long terme, le système français n’est pas celui qui s’en sort le plus mal ».

Pour la Cour des comptes, c’est encore de la faute des fonctionnaires

Le 27 juin 2017, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes prône une « convergence accrue des systèmes de retraite afin d’assurer non seulement un équilibre financier durable des régimes mais aussi une équité accrue entre actifs, entre actifs et retraités et entre retraités en fonction des générations et des statuts professionnels ». Tout en préconisant un changement de méthode dans un cadre formalisé de concertation entre l’État et tous les partenaires concernés, elle évoque quatre leviers d’ajustement possibles à l’horizon 2040 concernant les régimes de base :
  • le report d’un an de l’âge minimum légal de départ à la retraite, de 62 à 63 ans, permettrait une économie annuelle de l’ordre de 2 milliards d'euros ; un report à 64 ans en porterait le montant à 5 milliards d'euros ;
  • une accélération à 2023 au lieu de 2035, comme prévu par la réforme de 2014, de l’allongement de 41,5 ans à 43 ans de la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite à taux plein (hausse d’un trimestre par génération au lieu de toutes les trois générations) susciterait une économie annuelle de 0,6 milliard d'euros ;
  • cette même accélération et le passage de la durée d’assurance de 43 ans à 44 ans suivant un rythme identique (hausse d’un trimestre par an) autoriseraient une économie annuelle de 4 milliards d'euros ;
  • une sous-indexation des pensions d’un point en 2018 (au regard d’une prévision d’inflation de 1,4 %) permettrait de réaliser une économie annuelle de 0,3 milliard d'euros.
Comme à son habitude, la Cour des comptes s’attaque à la « lourde charge » des pensions de fonctionnaires. Elle dresse la liste les différences subsistant entre régimes du public et du privé : assiette de cotisation, période de référence, catégories actives, réversion etc. Elle rappelle que « les pensions de retraite des fonctionnaires vont continuer de représenter une lourde charge pour le budget de l’État, tandis que la soutenabilité du régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers n’apparaît pas assurée ».

Elle propose plusieurs leviers pour accentuer la convergence entre régimes du public et du privé :
  • l’allongement de la période de référence pour le calcul des pensions,
  • l’intégration partielle des primes,
  • l’harmonisation des avantages conjugaux et familiaux avec ceux du secteur privé,
  • et la suppression des bonifications de durée d’assurance pour service à l’étranger ou dans une collectivité d’outre-mer.
Selon la Cour, « asseoir le calcul des pensions sur le traitement indiciaire des dix meilleures années au lieu de celui des six derniers mois engendrerait une économie de 1 milliard d'euros à̀ l’horizon 2040 ». Quant aux catégories actives, leur suppression permettrait une économie de 2 milliards d’euros à l’horizon 2025. À défaut, elle encourage l’utilisation de trois leviers :
  • un réexamen du périmètre des métiers des catégories actives et, en leur sein, des fonctions ouvrant droit à des départs en retraite à 52 ou à 57 ans ;
  • l’accélération du rythme de la montée en charge de l’augmentation de la durée de cotisation des catégories actives ;
  • et l’examen de la suppression des bonifications de durée de service pour les fonctionnaires recrutés dans certaines de ces catégories.
Cessons d’accuser les fonctionnaires de tous les maux !

En juillet 2015, une étude de la DREES souligne les « situations comparables » des taux de remplacement : 73,8 % pour le privé et 72,1 % pour le public.

Selon le conseil d’orientation des retraites, si la retraite des fonctionnaires était calculée selon les règles du privé, leur pension augmenterait de 2,4 %. De plus, les fonctionnaires sont pénalisés : leurs primes ne sont pas prises en compte dans le calcul de leur retraite et ils cumulent moins de trimestres que les salariés du privé (164 en moyenne dans le public contre 170 pour le privé).

Pour le comité de suivi des retraites, la situation est grave mais pas désespérée.

Le 13 juillet 2017, pour la première fois depuis sa création en 2014, le comité de suivi des retraites (CSR) a formulé des recommandations pour « prendre les mesures nécessaires pour ramener le système sur une trajectoire d’équilibre », sans pour autant « faire de recommandation précise sur le calendrier qui dépend de divers arbitrages qui reviennent au gouvernement ».

Concernant l'objectif de pérennité financière du système de retraite, malgré des signaux économiques favorables et l'amélioration des soldes depuis 2010, le retour à l'équilibre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse n'est plus envisagé à court terme.

À long terme, le système des retraites ne retrouverait pas l'équilibre en cas de croissance de la productivité inférieure à 1,5 % par an. La révision des hypothèses démographiques et de la population active, mais aussi des hypothèses relatives à la masse salariale de la fonction publique en 2017 est mise en avant pour expliquer la détérioration.

Même si la portée des indicateurs de solde des régimes de retraite peut être interrogée et si les dépenses restent contenues à long terme, le comité estime nécessaire que soient trouvées des réponses aux nouvelles données démographiques.

Par ailleurs, quel que soit le scénario envisagé par le COR, le niveau de vie des retraités comparé à celui de la population (notamment des actifs) devrait continuer de croître pendant quelques années puis, aux alentours de 2020, commencer à se dégrader durablement pour les 50 ans à venir, d'autant plus fortement que la croissance de la productivité du travail (donc les revenus d'activité) serait forte. Ainsi, en 2070, le pouvoir d'achat relatif des retraités s'établirait entre 81 et 95 % de celui du reste de la population, contre 106,1 % en 2014. « Un risque de pauvreté chez certains retraités appelle, pour l'avenir, une attention particulière », souligne le CSR. À ce sujet, le jury citoyen auprès du comité a fait part de sa préoccupation face à la dégradation annoncée de ce niveau de vie, dans un contexte où les évolutions sociales et sociologiques tendent à alourdir les charges de famille pesant sur les jeunes retraités.

Le CSR laisse au gouvernement le choix entre intégrer les mesures de retour à l’équilibre à la réforme systémique prévue en 2018 ou les dissocier en faisant intervenir ces ajustements « en amont, dans les premières années de la législature ». Dans ce dernier cas, et vu le retour de l’inflation attendu en 2017, « le gouvernement va devoir s’interroger sur un éventuel gel ou une sous-indexation des pensions » mais au risque de « poser des difficultés d’acceptation au moment de la hausse de la CSG ». Qu’avec des jolis mots ces choses-là sont dites !

Quel sort sera réservé aux recommandations du CSR ? Le Premier Ministre a seulement précisé, dans un communiqué, que « le gouvernement informera le Parlement des suites à donner dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 », cet automne. Le 24 février 2017, le candidat Emmanuel Macron déclarait à RMC : «je ne veux pas faire d’économie sur le dos de ceux qui sont à la retraite ». Quand on sait que, dès l’année prochaine, 60 % des retraités vont subir une augmentation de 1,7 % de CSG après quatre années sans revalorisation de leur pension, on ne peut qu’être dubitatif !

Quelles seraient les conséquences du passage à une retraite « intégrale » par points ?

La plupart des régimes publics de retraite, notamment le régime de base du secteur privé, fonctionnent aujourd’hui par « annuités ». Dans ces régimes, les droits sont calculés en fonction d’une durée de cotisation et d’un niveau de salaire et ils peuvent être liquidés à partir d’un âge donné.

Dans un régime par points, les cotisations versées par les actifs sont converties en points de retraites en divisant le montant des cotisations par le salaire de référence de l’année considérée.

Les points obtenus annuellement sont alors cumulés tout au long de la carrière des cotisants. À la liquidation des droits, le montant de la retraite est déterminé en multipliant l’ensemble des points accumulés par la valeur de service du point.

Les régimes par points sont donc par nature contributifs, le montant de la retraite servie est en effet étroitement lié à l’effort contributif du salarié, puisque celui-ci est proportionnel au nombre total de points acquis pendant toute la durée de la carrière professionnelle, y compris pour les périodes de maladie et de chômage. Toutefois, cette contributivité peut être complétée par la volonté des partenaires sociaux d’y assortir des mécanismes de solidarité pour attribuer des compléments au titre des droits familiaux, ce qui est le cas dans les régimes complémentaires.

Pour le secteur privé, la transformation du régime de base en régime par points aurait pour conséquence d’uniformiser les réglementations des régimes préexistants. Dans cette éventualité, à quoi bon faire coexister deux piliers obéissant aux mêmes règles ?
  • La première conséquence structurelle de cette réforme serait la fusion des régimes de base (CNAVTS, MSA) avec les régimes complémentaires (ARRCO, AGIRC, IRCANTEC).
  • La deuxième conséquence se traduirait par le renforcement du caractère contributif du nouveau régime de retraite puisque l’ensemble de la carrière (et plus les 25 meilleures années au régime général) serait pris en considération. Sans plafond ? Ainsi, les petites retraites d’aujourd’hui seraient encore plus basses et les retraites les plus élevées le seraient encore plus demain dans ce système qui se révèlerait encore plus inégalitaire, donc plus injuste.
  • La troisième conséquence (et non des moindres) ferait que ce régime unique par points se transformerait en régime a minima. En effet, l’intervention de l’État, co-financeur du régime, serait omniprésente. L’obligation d’équilibre financier permanent, compte tenu des engagements européens, pèserait sur la fixation des paramètres financiers (valeur d’acquisition et de liquidation du point).

De plus, les politiques d’exonérations de cotisations de Sécurité sociale développées depuis plusieurs années seraient incompatibles avec un tel régime, à moins que l’État ne s’engage à compenser la totalité de ces exonérations. Inexorablement, ce pilier verrait son rôle et son taux de remplacement se réduire pour se transformer en régime universel d’État, synonyme de filet de sécurité. Et au final, la « nécessité » de (re)mettre en place un deuxième pilier, se révèlerait quasi indispensable, mais cette fois par capitalisation.

Ainsi aurions-nous répondu aux engagements européens de créer des piliers par capitalisation, engagements notamment réaffirmés au sommet de Bruxelles les 22 et 23 mars 2005. À la lumière de ce qui s’est passé dans le cadre de la fusion UNEDIC/ANPE, on peut s’interroger sur la capacité des partenaires sociaux à maintenir nos régimes de retraite dans la sphère paritaire sans que l’État n’intervienne pour contester notre autonomie et notre légitimité.

Pour ce qui est des comptes notionnels, il semble bon de rappeler leur fonctionnement et surtout de combattre la fausse idée qui veut que, quelle que soit la personne, « un euro cotisé donne les mêmes droits ».

Même si comptes notionnels ne veut pas dire capitalisation, cette technique met à mal les solidarités intergénérationnelles, sans pour autant régler les injustices salariales, notamment celles faites aux femmes (le temps partiel subi notamment). Ce compte notionnel est basé sur le « pari » de la table de mortalité d'une génération. En d'autres termes, pour une année de naissance donnée, l'espérance de vie (à 62 ans par exemple) servira de base pour diviser le « capital virtuel » acquis au cours de la carrière, à travers son report au compte.

Le résultat de cette division constituera le montant annuel de la pension. Comme une sorte de viager, en moins drôle que le film. On le voit bien, un euro cotisé ne donnera donc pas les mêmes droits, sauf à subdiviser à l'intérieur d'une même génération, entre profession et sexe. Ce qui reviendrait à individualiser à l'extrême la répartition pour certainement finir par « l'évidence » de la nécessité d'un complément en capitalisation.

Dans la perspective du projet de réforme des retraites, les membres du conseil d’orientation des retraites ont consacré leur séance plénière de juillet 2017 à un retour sur le 7ème  rapport du COR de janvier 2010 : « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques ».

C’était également l’occasion d’analyser la question des modalités du passage éventuel à un système en points ou en comptes notionnels via l’étude des cas suédois et italien, qui ont instauré ce type de réforme, respectivement en 1998 et 1995, dans leur contexte spécifique.

Au terme de son rapport, le conseil d’orientation des retraites souligne trois points.

1) L’examen des modalités de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles par les régimes de retraite de base par un régime en points ou par un régime en comptes notionnels montre qu’un tel changement est techniquement possible et permet notamment d’intégrer des dispositifs de solidarité. Il soulèverait cependant des problèmes de gestion évidents et nécessiterait en conséquence d’être soigneusement préparé, ce qui implique à la fois des délais pour l’élaboration puis pour la mise en application d’une telle réforme. Les conséquences pour les assurés dépendent principalement des modalités de la transition, notamment de sa durée et du choix des paramètres du nouveau système.

2) La comparaison des techniques de calcul des retraites fait ressortir la capacité d’autorégulation du système en comptes notionnels face aux évolutions démographiques et économiques.

La technique des comptes notionnels permet en effet, en contraignant les paramètres déterminant le montant des pensions, de contenir les éventuels déficits du régime, notamment face à l’allongement de l’espérance de vie, sans toutefois nécessairement mener à l’équilibre instantané. En particulier, en l’absence de réserves suffisantes pour financer le surcroît de dépenses lié au « papy boom », il serait dans tous les cas nécessaire de préciser comment celui-ci sera financé. Les régimes en annuités et en points peuvent être plus spontanément pilotés au fil de l’eau mais présentent le risque de s’écarter durablement de l’équilibre en voulant poursuivre d’autres objectifs.

En tout état de cause, quelle que soit la technique utilisée (annuités, points ou comptes notionnels), le retour à l’équilibre du système de retraite, face notamment au vieillissement de la population, repose dans tous les cas sur les trois leviers que le COR a régulièrement mis en évidence dans son abaque : le niveau des ressources, le niveau des pensions et l’âge moyen effectif de départ à la retraite.

3) Le passage d’un régime en annuités à un régime en points ou en comptes notionnels n’est pas principalement une question d’ordre technique. Il nécessite des choix politiques préalables ayant notamment trait à l’architecture du système de retraite, aux objectifs que l’on souhaite atteindre en priorité (pérennité financière, équité entre les générations et degré de redistribution), enfin au calendrier et au mode de transition pour passer d’un système à l’autre.

Cet éclairage ayant été donné, il sera intéressant pour compléter notre contribution à la réflexion, d'étudier les principales expériences étrangères en la matière.

Pas encore de commentaires