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Remise en cause du SMIC : entre cynisme et mauvaise foi
Le débat sur la mise en place d'un salaire minimum et la question des bas salaires se pose dans le monde entier. L'Allemagne va introduire un salaire minimum en 2015. Les Suisses se prononceront sur le sujet le 18 mai prochain.
Partout, le débat est le même. Les uns (les employeurs) s'inquiètent de la menace des licenciements et des délocalisations. Les autres (les salariés) en appellent à la dignité, au pouvoir d'achat et à la hausse de la consommation.
La France n'échappe pas à ce débat
Certaines voix se font entendre, pour dénoncer le niveau du SMIC français qui serait trop élevé. À 1 445 euros bruts pas mois, pour un salarié à temps complet, ce serait trop et cela mettrait notre économie en péril. Pierre Gattaz, président du MEDEF plaide pour un « SMIC intermédiaire et transitoire ». Pascal Lamy, ancien directeur de l'Organisation mondiale du commerce, appelle à la création de postes « qui ne sont pas forcément payés au SMIC ».
Dans ce débat, on peut d'abord constater que ce sont toujours les hauts revenus, voire les très hauts revenus qui estiment que le SMIC est trop élevé. Les salariés concernés n'ont, a priori, pas leur mot à dire. Pour l'anecdote, Pierre Gattaz vient de s'octroyer une augmentation de 30 % de sa rémunération. Cela pose un problème de crédibilité du discours et d'exemplarité.
Les dirigeants des grandes sociétés justifient leurs importantes augmentations par les « bonnes performances de leurs entreprises », considérant sans doute qu'ils sont les seuls à contribuer à cette situation. Les salariés doivent apprécier...
Le SMIC n'est pas une exception française : 21 des 28 pays de l'Union européenne disposent d'un salaire minimum légal. Celui-ci oscille entre 174 euros bruts par mois (Bulgarie) et 1 921 euros (Luxembourg), soit un écart de 1 à 11. Bien sûr, à niveaux de vie comparables, les écarts sont moins importants.
Quelques exemples de SMIC en Europe (1er janvier 2014) :
(*) Instauré en 2015
Dans ce tableau, on peut constater que les SMIC des principales économies européennes se situent dans une fourchette de 1 217 euros à 1 502 euros. Parmi ces pays, plusieurs connaissent de bonnes situations économiques. Le SMIC n'est donc pas un « malheur » pour les économies.
Le 18 mai prochain, la Suisse est appelée à voter pour ou contre la mise en place d'un salaire minimum à 3 270 euros. Certes, le coût de la vie en Suisse est beaucoup plus élevé qu'en France mais c'est bien la preuve qu'un SMIC élevé ne fait pas peur à tout le monde.
D'après de nombreux économistes et l'expérience sur le terrain, l'augmentation des bas salaires est positif pour les entreprises (article du New York Times). « La perte subie par les entreprises qui augmentent les salaires est souvent compensée par un moindre renouvellement du personnel et une meilleures productivité. Les entreprises peuvent aussi atténuer cette hausse des coûts par une légère majoration des prix et par une moindre augmentation des salariés les mieux payés ».
Dans une étude publiée en 2013, plusieurs économistes précisent : « dans les États américains où le salaire minimum a été revalorisé, les travailleurs démissionnaient moins souvent et la direction était plus à même de fidéliser son personnel, évitant ainsi les coûts liés au recrutement et à la formation des remplaçants ».
La chaîne américaine de vêtements GAP vient d'annoncer une forte hausse du salaire minimum des employés. Le PDG du groupe, Glenn Murphy, précise que « cette décision sera directement bénéfique à l'entreprise et nous nous attendons à ce qu'elle nous rapporte bien plus que ce qu'elle nous coûte ».
Revaloriser le salaire minimum profite également aux entreprises d'une autre manière : cela accroit la consommation des ménages. Un groupe de plus de 600 économistes, dont 7 lauréats du prix Nobel, ont récemment déclaré : « une hausse du salarie minimum stimulerait l'économie ».
Un partage de la valeur ajoutée créée par l'entreprise inégalitaire
Il faut aussi rappeler aux dirigeants favorables à une baisse du SMIC que la part de la valeur ajoutée créée par les entreprises et revenant aux salariés n'a cessé de baisser depuis les années 1980 (plus de 67 % au début des années 1980 contre 56 % aujourd'hui).
Graphique n° 2 :
Depuis le début des années 1980, la part de la valeur ajoutée de l'entreprise, revenant aux salariés est en baisse constante.
Des rémunérations des dirigeants de plus en plus élevées
Entre 1998 et 2008, les salaires français n’ont augmenté que de 25 %, pour une inflation de 18 % ; ceux des dirigeants des entreprises du CAC 40 (hors stock-options) ont, eux, augmenté de 120 %. Autant dire que les premiers ont stagné pendant que les seconds ont doublé.
L'argument selon lequel le salaire minimum ferait du tort aux entreprises est obsolète. Des preuves irréfutables montrent que l'économie et les entreprises sont gagnantes lorsque les salariés sont mieux payés.
Les vrais enjeux de ce débat sont :
le partage équitable de la valeur ajoutée de l'entreprise, entre rémunération du capital et du travail,
une réduction des écarts de rémunérations entre les bas salaires et les hautes rémunérations, qui n'ont fait que croître ces vingt dernières années.
Sortons du cynisme et la mauvaise foi sur un sujet aussi sensible !