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12 / 04 / 2016 | 7 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Qualité de vie au travail : acte II de la négociation, le temps des partenaires sociaux et celui de la prévoyance

La loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, oblige les entreprises à négocier des accords de qualité de vie au travail et d’égalité professionnelle hommes/femmes à compter du 1er janvier 2016. L’objectif est de les aider à combler leur retard en matière de prévention des risques psycho-sociaux après une décennie d’enrichissement des connaissances en la matière. C’est ce que l’on a pu appeler l’acte I de la prévention. S’ouvre désormais un acte II qui consiste à passer aux véritables travaux pratiques en matière de qualité de vie au travail. Pour cela, deux types d’acteurs sont requis : les partenaires sociaux, interlocuteurs privilégiés dans le cadre d’une négociation désormais annuelle, mais aussi le monde de l’assurance collective et de la prévoyance, financeurs au premier chef des dégâts du travail. L’imposition du thème de la qualité de vie au travail signe indissociablement le temps des partenaires sociaux et celui de la prévoyance. 

Passer à l’acte II de la prévention : l’heure des travaux pratiques

Le législateur s’est enfin résolu à imposer ce recours renforcé au dialogue social pour assurer un minimum de prévention. En effet, depuis plus de dix ans, colloques, accords, missions d’études et rapports sur les RPS se succèdent. Une fédération des intervenants en risques psycho-sociaux (FIRPS) a même été créée. À titre personnel, j’ai participé à pratiquement toutes les réflexions nationales issues des grandes crises de 2007-2008. Force est de constater que si nous avons globalement beaucoup progressé sur le plan théorique, comblant ainsi notre retard sur les autres pays, la réalité des conditions de travail a néanmoins très peu changé.

Au contraire, que constate-t-on ? L’enracinement d’un néo-taylorisme dans de nombreux secteurs : la généralisation de la direction par objectif, l’individualisation poussée des relations de travail, l’optimisation parfois douloureuses des effectifs, les restructurations incessantes, la pression de la précarité issue du chômage de masse, la transition numérique, l’acquiescement à l’imposition d’une « laisse électronique » à travers les smartphones et les objets connectés, tout cela a contribué à dégrader les conditions de travail au cours de la dernière décennie.

Le succès du mot d’ordre #OnVautMieuxQueCa et les témoignages associés illustrent parfaitement la prise de conscience d’une urgence à sortir de cette situation d’un travail en voie de dégradation.

En imposant une négociation annuelle (qui peut cependant être portée à trois ans suite à la signature d’un accord majoritaire), la loi Rebsamen a pour ambition de pousser les entreprises aux travaux pratiques de manière récurrente en matière de qualité de vie au travail.

Du moins les plus grandes entreprises : elles sont au nombre de 214 et emploient environ 4 millions de salariés. Ce sont elles qui sont prioritairement concernées et qui sont souvent retardataires dans le passage à l’acte réél de prévention. La raison incombe souvent à la difficulté à calculer le retour sur un investissement en prévention. L’offre des cabinets conseils en matière de RPS est alors à la hauteur de cette cécité : plus axée sur l’adaptation individuelle au stress (prévention secondaire) qu’à une transformation réelle des conditions de travail dans le sens d’une meilleure qualité de vie (prévention primaire).

Quant au reste des entreprises, les dirigeants des 4 576 entreprises de taille intermédiaires, les ETI qui emploient environ 3 millions de salariés, bouderont sans doute encore le sujet pendant plusieurs mois. Quant aux 131 253 petites entreprises qui regroupent, elles, 3,5 millions de personnes, la régulation des tensions se fait tant bien que mal plus ou moins naturellement du fait de la proximité des salariés et des dirigeants plutôt qu’à la suite d’une négociation d’un accord formel. À ce niveau, les chefs d’entreprise en sont aussi les créateurs, ils connaissent l’importance d’un climat de travail apaisé.

Un nouvel acteur : les institutions de prévoyance

Si la loi Rebsamen indique la voie à suivre, le passage aux travaux pratiques en matière de qualité de vie au travail ne se fera pas tout seul. La bonne volonté des parties risque d'être insuffisante pour déboucher sur des accords solides. Un autre acteur pourrait alors s’inviter dans les discussions afin de pousser à des accords plus substantiels, susceptibles d’améliorer concrètement la qualité de vie au travail : les assureurs, notamment les groupes de prévoyance. Ce sont eux qui assument finalement les coûts indirects générés par la montée de la sinistralité, sans autant pouvoir augmenter en conséquence les taux de cotisations perçus auprès des entreprises concernées. Ils induisent donc une logique de prévention autre que celle qui consiste pour l’employeur à se protéger d’un risque juridique.

Que se passe-t-il désormais dans le monde de la prévoyance pour que son attitude vis-à-vis de la qualité de vie au travail se déplace d’une prévention tertiaire, limitée au bien dormir, bien manger et bien bouger, vers une prévention primaire centrée sur les conditions de travail ?
La loi de sécurisation de l’emploi prévoit qu’à partir de 2016 chaque entreprise propose à ses salariés une complémentaire de santé. Toutefois, les groupes de prévoyance chargés de mettre en œuvre cette nouvelle protection ne sont plus désignés de manière impérative aux entreprises de la branche mais seulement recommandés à celles-ci. Aussi doivent-ils améliorer de manière substantielle leur gestion mutualisée en faisant baisser les coûts de prévoyance et de santé de leurs comptes les plus dégradés, afin de préserver leur clientèle globale. En effet, une entreprise peu concernée par la sinistralité aura désormais tout intérêt à faire son marché parmi les acteurs de l’assurance collective et à s’émanciper de la logique de branche. Surtout si celle-ci lui coûte cher. Elle ira alors chercher ailleurs des tarifs plus avantageux et, surtout, chez un assureur privé qui s’offrira alors cette « pépite », garantie d’un « bon risque » à assurer. Au bout du compte, les groupes de prévoyance liés aux branches risquent de ne plus assurer que des petites entreprises, qui n’ont guère le temps d’optimiser leurs choix en matière de complémentaire de santé et des entreprises à moyenne ou forte sinistralité qui supporteront la revalorisation des primes d’assurance.

Désormais, tout pousse les acteurs de la prévoyance à changer leur fusil d’épaule en matière de prévention et à aider les entreprises à passer aux travaux pratiques, c’est-à-dire tout faire pour réduire la sinistralité.

Dans ses travaux, Technologia a caractérisé trois types de positionnement des directions d’entreprise vis-à-vis de la prévention des risques psycho-sociaux et de la mise en place d’accords de qualité de vie au travail.

  • En premier lieu, se trouvent les directions d’entreprise qui s’engagent dans une action volontariste. Les directions considèrent dans ce type de structure qu’elles ont grand intérêt à se mobiliser sur cette problématique de la prévention active : un euro investi rapporte jusqu’à 13 euros, sans parler des vicissitudes évitées en cas de réalisation d’un risque grave. En effet, ces entreprises les plus avancées, sont celles qui se servent de la maîtrise des risques comme d’un outil projectif.
  • En deuxième lieu, les directions d’entreprise qui ne font pas de cette problématique un axe vertueux de bonne gouvernance sociale. Les directions agissent alors dans un simple traitement au fil de l’eau des situations de travail plus ou moins délétères. Elles agissent d’ailleurs le plus souvent en réaction aux demandes des représentants du personnel.
  • Enfin, la dernière catégorie est celle des directions qui n’engagent aucune action réelle mais qui ont le savoir-faire pour générer une occupation astucieuse de l’espace et du temps de négociation…   

Pour des raisons différentes, les États-Unis ont connu au début des années 1990 une logique similaire qui a permis une spectaculaire amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs, amélioration qui a participé à la prospérité américaine des années Clinton. Dans son livre, Les désordres du travail, Philippe Askenazy identifie les raisons de cette baisse dans l'action conjuguée de la pression syndicale et des forces de marché, principalement le système d'assurances dont la tarification incitative a alors poussé les employeurs à améliorer la qualité de vie au travail. Ce sont ces logiques qui ont modifié le comportement ou l’« éthique » des entreprises qui disposaient en réalité de marges de manœuvre considérables pour améliorer le sort de leurs salariés sans opérer leur compétitivité.

La France est aujourd‘hui dans la même situation : la nécessité des groupes de prévoyance à inciter les entreprises à s’engager dans de vrais accords de qualité de vie au travail et des politiques de prévention ambitieux bénéficiera non seulement à la santé des salariés mais aussi aux performances de ces mêmes entreprises. C’est une conviction profonde de ma part. C’est pourquoi Technologia s’engage à son tour dans l’aide à apporter à l’amélioration de la qualité de vie au travail grâce à une démarche et un logiciel permettant d’innover socialement et de piloter durablement les politiques de prévention. Les travaux pratiques ont enfin commencé !

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