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Profil type du cadre qui saisit les Prud'hommes
Selon une étude réalisée par trois sociologues en partenariat avec FO-Cadres et l'Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES), le contentieux prud'homal dans l'encadrement a augmenté de 78% en 20 ans alors qu'il est en diminution constante dans les autres sections sur la même période (Agriculture, Industrie, Commerce Activités diverse). Entre 2000 et 2006, il a notamment progressé de 6% tandis qu'il baissait de 11% les autres secteurs. Ainsi, avec 25 472 ouvertures de dossiers, il a représenté pas moins de 16% des affaires nouvelles en 2006.
Obtenus à partir de l'analyse de 500 jugements des tribunaux de Grenoble (Isère), Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et Longjumeau (Essonne), ces chiffres révèlent une tension exacerbée des relations sociales dans des entreprises de plus en plus «managée par la performance et le stress» qui font désormais des salariés en général, et des cadres en particulier, des ressources qu'il faut rentabiliser à tout prix notamment dans la Grande distribution.
Cette tension qui existe aujourd'hui risque d'ailleurs fort de s'aggraver avec la question du forfait-jours. La réforme du temps de travail du 20 août dernier permet en effet à un employeur de demander individuellement à ses cadres de travailler jusqu'à 282 jours sur la foi un accord d'entreprise. Auparavant, le forfait-jours était fixé à 218 jours maximum.
Les cadres qui saisissent le plus souvent les tribunaux paritaires sont en majorité des hommes âgés d'au moins 40 ans travaillant dans le secteur des services, relève l'étude. Les femmes ne sont pas en reste, puisque 32% d'entre elles ont été contraintes en 2006 de s'adresser à une juridiction du travail, soit 10 points de plus qu'en 2000. Une progression qui ne s'explique pas seulement par une féminisation constante de l'encadrement mais aussi et surtout par les inégalités professionnelles que les femmes subissent au sein des entreprises.
Toujours selon cette étude, les litiges constatés ont trait au salaire, aux primes, aux heures sup', aux sanctions disciplinaires ou aux congés payés mais également aux discriminations à l'embauche, aux promesses d'embauche non tenues, à la période d'essai, à la réduction du temps de travail et au harcèlement Avec pas moins de 90% des affaires traitées, la contestation d'une rupture du contrat de travail est de loin le premier motif de recours juridique intentés par les cadres (contre 50% en moyenne chez les autres catégories de personnel). Les 10% des litiges restants sont relatifs à l'exécution du contrat de travail lui-même (contre plus de 40% dans les autres sections).
Pas vraiment étonnant, dans la mesure où plus des deux tiers des ruptures de contrat (69%) ont été justifiées en 2006 dans les entreprises concernées par des motifs «personnels»: faute grave (32%), insuffisance professionnelle (18%), refus de mutation ou mission (7%), insuffisance de résultats (6%), démission sous pression de l'entreprise (3%), absence pour maladie (3%). La même année, les licenciements économique représentaient 23% des contentieux portés devant les tribunaux, juste derrière la faute grave, alors qu'aux débuts des années 2000, il était le motif de rupture le plus courant. L'utilisation prioritaire de la «faute grave» pour se séparer d'un salarié n'est pas innocente. Cette sanction est particulièrement lourde car elle privative d'indemnités.
Cette évolution est révélatrice de la dégradation des conditions de travail. Elle montre que les cadres sont de plus en plus licenciés pour ce qu'ils sont et de moins en moins pour ce qu'ils font. La place des cadres dans l'entreprise est de plus en plus individualisée. Leurs échecs sont de leur responsabilité propre, même s'il y a une défaillance collective du management.
Voilà pourquoi les cadres n'hésitent plus à recourir aux prud'hommes afin d'obtenir une réparation à la hauteur du préjudice subi. Près de six cadres sur dix (59%) vont au terme de la procédure, et deux tiers d'entre eux (66%) obtiennent gain de cause.