Une mission d'enquête IGAS/IGS confirme l'absence de financements de la réforme de la formation de 2018
On l'attendait en février 2020 mais c'est finalement en avril que la mission d'enquête conjointe IGS/IGAS a rendu son rapport sur le financement de la dernière réforme de la formation. La réforme n'était donc ni financée, ni préparée et il aura fallu le départ de la Ministre du Travail pour que l'information soit diffusée dans le public.
Alors qu'une crise économique cataclysmique (la plus importante depuis la fin de la guerre) atteint l'économie mondiale, la France n'aura ni dispositif utile, ni moyen pour accompagner ou reconvertir les millions de travailleurs qui pourraient perdre leur emploi ou devoir en changer.
En 2014, la création du CPF était une gageure sociale, un artifice de communication.
Dès 2014, nous étions quelques uns (dont la CGT) à faire remarquer que le successeur du DIF, le compte personnel de formation (CPF) n'était pas financé et encore moins centralisable par l'État (le DIF relevait de la responsabilité de l'employeur dans le cadre du contrat de travail). Mais rien n'y a fait, il fallait démanteler l'existant, prétendre offrir plus neuf et généreux. Dès lors, les pouvoirs publics pouvaient produire une usine à gaz dispendieuse (plus de cinq ans et 90 millions d'euros pour développer une application et un site internet) lourde et inadaptée face à la crise à venir. Le CPF est encore utilisé par moins de 2 % des salariés depuis 2015, il est inutile aux chômeurs et la mission d'enquête de l'IGAS/IGS table sur 5 % (au mieux et dans plusieurs années) de réalisations pour limiter la casse (financière).
En 2017-2018, il était encore possible de réécrire les dispositifs de formation et de rendre le CPF aux entreprises mais on a préféré la fuite en avant « technolâtre » : monétiser, « désintermédier » et automatiser un dispositif dont on refuse d'admettre qu'il était mal engagé dès sa naissance en 2014. Les blocages de l'éducation des adultes en France n'étaient pas dus au DIF ou aux partenaires sociaux mais d'abord aux manques de perspectives professionnelles, aux difficultés de l'enseignement initial et aux faibles capacités d'apprentissage de la société française (l'« apprenance »).
Il y a deux ans, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a installé un CPF de 500 euros par an pour 20 millions de bénéficiaires (10 milliards d'euros au total chaque année) sans mettre des cotisations suffisantes en place pour sa généralisation.
Le texte de la loi sur l'« avenir professionnel » aura été improvisé par la Ministre du Travail de l'époque, aucunement évalué dans une étude d'impact digne de ce nom (ce que la députée, rapporteuse de la loi, Catherine Fabre a déploré peu après le vote). En 2018, on a joué à la roulette russe avec la formation des salariés de France.
La mission d'audit de l'Inspection générale des services (IGS) et de l'Inspection des affaires sociales (IGAS) est éloquente et le CPF, comme l'apprentissage et l'organe chapeautant et régulant la formation en France « France Compétences », sont dans des impasses financières et organisationnelles.
Sur le dossier du CPF, que dit le rapport quant au devenir de ce dispositif de formation ?
« Si, dans la philosophie du CPF, il n’existe pas de mesure en phase avec l’esprit de la réforme, des leviers peuvent être actionnés si une inflexion est assumée.
- Le CPF est conçu comme un droit des salariés dont la valorisation et l’exercice sont peu régulés : il s’apparente à une forme de patrimoine personnel et intangible des salariés, la mobilisation des droits est inconditionnelle, la régulation des coûts de l’offre des organismes de formation n’existe pas.
- Les dépenses dépendent exclusivement du taux de recours au CPF compte tenu des critères d’acquisition des droits.
- L’accès à la formation professionnelle via le CPF s’apparente potentiellement à une régulation par le seul marché dont l’équilibre prix-volume en résultant est supposé correspondre à un optimum social qu’une régulation publique ne pourrait que dégrader.
Si dans la philosophie du CPF , il n’existe pas de mesures en phase avec l’esprit de la réforme, des leviers peuvent être actionnés si une inflexion est assumée, par exemple :
- instaurer un mécanisme de ticket modérateur : plafonnement de la quote-part de la formation financé via le CPF ;
- plafonner le montant pris en charge : le différentiel représenterait un reste à charge pour les particuliers, soit un relèverment de l’abondement des entreprises ;
- abaisser le montant du crédit chargé annuellement, par exemple de 500 € à 400 € : seule réforme paramétrique possible mais à forte visibilité médiatique, son effet budgétaire est incertain, en tout état de cause différé dans le temps ;
- une baisse du coût moyen d’une formation constatée depuis fin novembre 2019 (- 6% à 1.174 €) : autorégulation pas exclue.
Interprétation : pour survivre et ne pas trop agrandir la dette publique, le CPF (limité au maximum à 5 % de réalisation chaque année : une formation en moyenne tous les vingt ans pour un salarié) devra être financièrement dégradé, ne pas couvrir la totalité du prix de la formation (ticket modérateur) ou encore être financièrement plafonné pour chaque réalisation.
Le CPF est un dispositif qui vise donc à rester confidentiel ; sa réussite entraînerait son implosion.
Deux ans après avoir créé un droit impossible à généraliser (via l'État), il va s'agir de le reprendre, de le réduire ou de l'abandonner alors que des millions de travailleurs pourraient, à partir d'octobre, perdre leur emploi et leur employabilité et que l'État dans son plan de relance nationale (plan du 3 septembre) n'aura octroyé que 1 % des 100 milliards d'euros pour la formation (aux métiers d'avenir).
La réalité est que, depuis 2014, la formation n'a pas les moyens de ses (prétendues) ambitions.
Dans le secteur privé, le CPF n'est pas financé et sa « désintermédiation » le rend impraticable pour les moins qualifiés, l'apprentissage, lui, est à la fois privatisé (libéralisé) et démantelé.
Dans la fonction publique, le CPF (créé en 2017) est une mauvaise copie du CPF du privé, parfaitement inorganisable et toujours non financé.
Nous pourrions payer nos incohérences et improvisations sociales et éducatives très cher. Rien ne sert d'agiter la formation tous les quatre ans comme un étendard social si l'État demeure incapable de construire des cadres éducatifs de qualité, effectifs et utiles aux 30 millions d'actifs que compte notre pays.