Un mois de l’ESS marqué par l’urgence d’alternatives
Quel premier bilan tirer de ce mois de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui s’est achevé avec les « journées de l’économie autrement » à Dijon, qui connaissent chaque année un succès grandissant ? Ce mois avait débuté par un forum national à Niort, auquel Politis était associé et dont on peut regretter qu’il n’ait pas connu une plus grande participation tant les débats ont été riches.
On a souvent dit de l’ESS qu’elle était un géant économique et un nain politique. Si on la considérait comme un « secteur », ce qui n’est pas tout à fait pertinent puisqu’elle agit dans des domaines économiques et sociaux très divers, l’ESS serait à coup sûr, par l’emploi et la part de PIB, avec le secteur du tourisme, le plus important. Pourtant, elle demeure marginale, tant dans les organigrammes que dans les politiques gouvernementales, et le plus souvent méconnue. Elle le doit sans doute au fait que, s’écartant des dynamiques sociales qui les ont créées, bon nombre de ses composantes se sont soit institutionnalisées soit considérées en tant que « marques » centrées sur leur « métier » dans une banalisation concurrentielle.
Prenons l’exemple de la Fédération nationale de la mutualité française. Son président, Thierry Beaudet, a la très sincère conviction que le fédération doit redevenir un mouvement s’appuyant sur les militants. Mais quand la FNMF se présente comme une institution de la République et quand ses adhérents se livrent à la concurrence et au dumping assurantiels, elle contredit sa revendication d'être mouvement social.
Pour les grandes banques coopératives (à l’exception du Crédit coopératif), malgré la revendication publicitaire de leurs valeurs et la persistance de vie collective dans leurs caisses locales, elles agissent le plus souvent, au niveau national, comme leurs homologues capitalistes. Les grandes mutuelles d’assurance sont sous tension entre les engagements qui les ont fondées et la banalisation assurantielle. Banques et mutuelles sont celles qui font (ou plutôt troublent) l’image de l’ESS auprès d'un grand public qui a une position ambiguë à leur égard : il lui confie majoritairement ses comptes et ses contrats sans jouer le rôle qui devrait être le sien dans leur conduite.
Historiquement, les entreprises de l’ESS reposent sur l’engagement et la démocratie et ceux-ci sont plus difficiles à assurer dans les plus grandes d’entre elles, quand la complexification des activités et les effets de taille les rendent vulnérables à la prise de contrôle par leurs technostructures.
Une génération de dirigeants « militants » a porté la renaissance de l’ESS dans les dernières années du XXe siècle. Quelques uns demeurent tandis que d’autres ont disparu et parfois cédé la place à des « banalisateurs ». Mais de nouveaux dirigeants émergent, lesquels semblent déterminés à renouer le lien avec les fondamentaux de leur maison. Des signes de cette évolution nouvelle sont perceptibles à la Macif, malgré des tensions sociales autour de la nouvelle organisation. L’élection d’un nouveau président au groupe UP témoigne de la vie coopérative et démocratique de ce qu'était « chèque-déjeuner ». Mais c’est au niveau des groupements que ces évolutions paraissent les plus sensibles. Dans ma précédente chronique, je rappelais l’impulsion de Jérôme Saddier à la tête d’ESS-France, qui va jusqu’à revendiquer pour l’ESS d’être la norme de l’économie future.
Des redynamisations analogues se retrouvent chez Coop-FR, avec Jean-Louis Bancel, qui rassemble les familles coopératives dans leur diversité, ou au Mouvement associatif, avec Philippe Jahshan, pour ne pas parler du Collectif des associations citoyennes.
Dans un contexte à la fois contraignant économiquement et porteur politiquement, les initiatives « à la base » témoignent d’une vivacité des formes innovantes de l’ESS. Revivification du territoire, réponses à l’ubérisation, défense et promotion des communs, proposition de nouveaux services d’intérêt général etc. : toutes ces avancées dont le hors-série sur l'ESS de Politis, de février-mars, rapportait le témoignage, retrouvent les ressorts des « pères fondateurs » de l’économie sociale.
Aujourd'hui comme hier, l’exigence de définition d’alternative aux prédations libérales pousse à l’émergence de réponses originales fondées sur la solidarité et la démocratie, valeurs ignorées voire combattues par les libéraux. Les récents ouvrages de Jean Louis Laville ou Didier Minot s’inscrivent dans cette nécessaire réflexion. Ce mouvement se retrouve à l’international avec des initiatives comme le « global social economy forum » ou la relance d’ESS-forum international. Tous les deux insistent sur l’inscription des forces de l’ESS dans les objectifs du développement durable (ODD) et de l’agenda 2030 portés par l’ONU.
Loin du green-washing pratiqué par les grands prédateurs de l’environnement, il s’agit pour l’ESS, au moyen de la solidarité et la démocratie, de répondre aux besoins, aux exigences, de tous en matière d’environnement.