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14 / 07 / 2025 | 16 vues
Valentin Rodriguez / Membre
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Sidérurgie: l'homme malade de l'industrie

Derrière les questions environnementales et réglementaires qui sous-tendent la crise de la sidérurgie se cachent des considérations économiques et industrielles qui ne peuvent être ignorées et exigent une réaction rapide et musclée de la part des pouvoirs publics. C'est pourquoi nous avons réserver à ce sujet notre dossier spécial du mois...(1)


Explications....
 

Après l’automobile, qui effectue dans la douleur son électrification, c’est au tour de la sidérurgie de connaître les affres de la crise, sur fond de transition écologique. Et la mauvaise passe qu’elle traverse depuis déjà plusieurs mois semble appelée à se prolonger.

 

Si l’on en croît l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a publié le 27 mai un rapport sur la question, les surcapacités mondiales de production d’acier ne fléchiront pas avant 2027. Les métallos ont encore de mauvais jours devant eux. D’autant que les causes de la crise sont autant structurelles que conjoncturelles.

 

Depuis le début de la décennie, les sidérurgistes européens font face à l'acier russe, brésilien et turc, produit à bas coût en l'absence de normes environnementales ou sociales, et qui inonde le marché européen en contournant les protections douanières. Comment  ?

En livrant des demi produits (brames, c’est-à-dire des blocs d’acier), des produits non finis totalement libres de droits en Europe (voir p.11). En 2019, une nouvelle crise de la sidérurgie surgissait, trois ans après la précédente, laquelle n’avait trouvé d’issue que dans la mise en place de protections anti dumping face aux surproductions chinoises.

 

Qui sont de retour, la Chine visant l’Europe pour écouler ses surplus après la fermeture du marché américain, conjuguée à l’atonie de son propre marché intérieur…

 

ÉCRANS DE FUMÉE

 

A l’époque déjà, les industriels avaient dénoncé les prix de l’électricité, le coût des émissions de CO2 et l’effondrement de la demande, présentant ces trois facteurs périphériques comme centraux au lieu de s’attaquer à la véritable cause du problème  : les importations. Si aujourd’hui, les causes fallacieusement pointées hier sont devenues plus sérieuses, les conséquences, elles, restent les mêmes  : des arrêts d’outils de production et des suppressions d’emplois massives, avec pour effet de favoriser une nouvelle augmentation des importations qui débouchera sur de nouveaux arrêts et plus de suppressions d’emplois.

 

On voudrait fragiliser la sidérurgie qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et ce n’est pas la récente séquence qui va rassurer les salariés.

 

L’Allemagne ouvre le bal fin 2024, quand ThyssenKrupp annonce se séparer de 40 % des effectifs de sa branche acier, soit 11 000 salariés.

En mars dernier, c’est le britannique British Steel qui révèle préparer la fermeture de ses hauts fourneaux de l’Est de l’Angleterre. Au même moment, les droits de douane promis par l’administration Trump –jusqu’à 25 % de plus sur l’acier et l’aluminium étrangers importés aux États-Unis– viennent plomber un peu plus une situation déjà bien morose, marquée par la déprime globale de l’automobile et de la construction européenne (qui diminue la demande).

 

En France, ArcelorMittal dévoile en avril un PSE de près de 650 salariés sur sept sites de production. Il vient s’ajouter au plan de délocalisation d’une partie de ses fonctions support européennes vers l’Inde, lancé en fin d’année et accompagné par le report de son plan de décarbonation. Le site de Dunkerque, qui devait en être le premier bénéficiaire avec un investissement de 1,8 milliards d’euros, voit son avenir devenir flou. Les semaines et les mois qui suivent le PSE d’avril ressemblent à des montagnes russes, les Etats-Unis ne cessant d’alterner menaces et gestes d’apaisement sur le front tarifaire, tandis qu’ArcelorMittal souffle le chaud et le froid sur l’avenir de ses sites.

 

L’Europe, auprès de laquelle le secteur tirait pourtant le signal d’alarme dès 2019, pointant des mesures de protection inefficaces, choisit ce moment pour dégainer enfin son plan acier. Il doit limiter les quotas d’importations d’acier mis en place par le mécanisme de sauvegarde, mais aussi renforcer la taxe carbone aux frontières et créer des débouchés pour l’acier vert européen avec la création de marchés pilotes. « Insuffisant ! dénonce FO Métaux, qui exige un moratoire acier immédiat.

Nous refusons la fermeture programmée de l’ensemble des hauts-fourneaux de Fos-sur-Mer et Dunkerque, tonne le secrétaire fédéral Paul Ribeiro, et demandons la remise en état des installations ainsi que le maintien de l’ensemble des emplois associés. Il est impératif que soient réalisés les investissements indispensables pour garantir notre souveraineté économique, industrielle et de défense.  »

 

Pour notre organisation, il est également nécessaire de mettre en place immédiatement un dispositif douanier et fiscal efficace à nos frontières, qui interdit l’écoulement sur le marché français de l’acier des produits extra-européens, voire européens, qui ne remplissent pas les mêmes règles environnementales, fiscales ou sociales que celles que nous appliquons à nous-mêmes.

« Nous revendiquons une transition environnementale juste qui ne sacrifie pas les travailleurs au nom de la décarbonation », martèle le syndicaliste. Après présentation au ministère de l’Industrie et devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, cette demande de moratoire ne rencontre, pour le moment, qu’un silence pesant et embarrassé qui en dit long alors qu’il est pourtant incontournable si l’on veut lutter contre une nouvelle phase de désindustrialisation européenne…

 

RÉALITÉS ET PRÉTEXTES

 

Après de longs atermoiements, ArcelorMittal finit par donner des gages le 15 mai quant au maintien de son implantation industrielle en France, avec notamment la relance de son projet de four à arc électrique géant –2 millions de tonnes de capacité annuelle– sur Dunkerque, présentant la décision comme «  la première étape de [sa] décarbonation en France ».

La décision finale d’investissement, pour un montant de 1,2 milliard d’euros, pourrait être prise après l’été. Un conditionnel qui ne rassure pas, vu les trous d’air des derniers mois. D’autant que le groupe ne s’avance pas sur le reste de son plan de décarbonation et ne revient pas non plus sur son plan de suppression de 638 postes en France. 

 

Pour le sidérurgiste, cet investissement dans un four à arc électrique revient à scinder en deux son plan initial de 1,8 milliard d’euros, dont 850 millions d’euros d’aides publiques apportées par l’Etat. Celui-ci prévoyait de construire une unité de réduction directe du fer (DRI), capable de «  réduire  » le minerai grâce à du gaz naturel ou de l’hydrogène (voir p.9), ainsi que deux fours électriques.

Capables de fondre de la ferraille, issue de chutes de production ou de produits en fin de vie, pour le recycler en acier, ils sont moins émetteurs de CO2 que les hauts-fourneaux et assurent déjà plus de 40 % de la production d’acier brut en Europe. Pour sauver la sidérurgie, FO Métaux réclame un moratoire sur la décarbonation. «  On parle d’une phase 1. Le plan de décarbonation de Dunkerque sera évolutif  », prévient le président d’ArcelorMittal France. D’autres projets similaires sont en cours en Espagne et aux EtatsUnis. Le groupe dit voir dans le projet français le moyen de conforter la production d’acier vert à Dunkerque, indispensable pour le maintien en aval de toute la filière, mais en limitant les investissements et les risques.

 

La question de la localisation de l’unité de DRI, en revanche, reste ouverte. Pour l’instant, le projet de construction d’une installation à Dunkerque reste suspendu, faute de modèle économique viable, notamment du coût de l’énergie. D’autant que le bouclage du financement du 1,2 milliard d’euros reste encore à finaliser, les 850 millions d’euros de subventions accordées par l’Etat début 2024, et validées par la Commission européenne, ne s’appliquant qu’au projet de construction du DRI et ne pouvant donc pas être utilisés pour le four électrique

 

Derrière ces problématiques industrielles, une réalité s’impose pourtant à tous : l’impératif écologique, s’il ne peut être nié, constitue aussi le commode faux-nez d’une logique économique froide, qui explique bien la brutalité des restructurations en cours.

 

Au niveau mondial, c’est chaque année près de 1,9 milliard de tonnes d’acier qui sortent des hauts-fourneaux (dont près de 800 en Chine) pour à peine 8 millions de tonnes (0,4 % du total) sur le sol national.

 

La France a divisé par deux sa production d’acier primaire en 5 ans, pourtant les émissions mondiales de CO2 n’ont pas chuté sur la même période. Entre un quart et un tiers de la consommation européenne est importé.

 

La fermeture de notre production amplifie la pollution mondiale en déplaçant les émissions vers des pays moins réglementés. La vérité c’est que cette stratégie pour mener la « transition verte » conduit à produire le même tonnage avec beaucoup moins salariés sur notre territoire (casse sociale, réduction de la masse salariale, perte de compétences, licenciements…). « Il ne faut pas s’y tromper, prévient Paul Ribeiro : c’est une guerre économique, idéologique et industrielle qui est engagée ; nos adversaires n'arrêteront pas leur course, ni leur production carbonée.  » Le virage vers l’acier vert dans les conditions actuelles du marché n'est tout simplement pas rentable. Il demande des investissements et aura un prix, que personne ne veut payer pour l’instant.

 

UN AVENIR À PRÉPARER

 

Ce qui n’empêche pas des avancées. De nouvelles lignes électriques vont ainsi garantir l’approvisionnement en énergie du site de Fos-sur-Mer. C’est essentiel pour encourager l’essor de filières industrielles bas carbone. Cela suffira-t-il à sauver la sidérurgie française ? « Non, la production d’acier en France et en Europe a besoin de mesures de protectionnisme urgentes face à une concurrence internationale déloyale  », insiste Sylvain Ibanez, RSS FO ArcelorMittal.

 

Pour notre organisation, la situation est claire  : c’est toute une filière, socle historique de l’Europe industrielle, qui vacille. Il faut la défendre. Le secrétaire général de notre Fédération Valentin Rodriguez le revendique sans ambages : « le protectionnisme intelligent n’est pas un gros mot. Il est temps d’assumer des politiques qui protègent, et non celles qui affaiblissent. De faire primer les emplois industriels sur les importations low-cost. De privilégier le travail, la compétence et l’indépendance plutôt que la soumission aux flux mondiaux incontrôlés. »

 

Pour FO Métaux, sauver la production d’acier en France ne peut se faire qu’en étant capable de vendre un acier à un prix compétitif. La nationalisation d’ArcelorMittal que revendiquent certains ne le garantirait pourtant pas et n’assurerait pas non plus le maintien des emplois. « Nous ne sommes pas opposés à une intervention de l’Etat, précise Valentin Rodriguez, mais cela exige des milliards d’euros d’investissements massifs, dont il ne dispose pas.

 

Notre organisation considère qu’il faut d’abord travailler sur le modèle économique de l’entreprise. » Il ne s’agit pas seulement d’investir dans la formation des salariés pour les préparer aux nouveaux métiers de l'industrie verte. Il faut anticiper et accompagner ces transformations pour éviter une "casse sociale", garder en tête les risques de reproduire les erreurs des restructurations passées, comme celles des années 1970 dans le textile et la sidérurgie, qui ont conduit à des pertes massives d'emplois et à des préretraites forcées. « Il ne faut pas s'y tromper, c'est une guerre économique, idéologique et industrielle. »

 

En somme, si la transition écologique est une nécessité pour répondre aux défis climatiques, elle ne doit pas servir de paravent à des logiques purement économiques. Une approche équilibrée, alliant impératifs environnementaux et justice sociale, est indispensable pour garantir une transformation durable et équitable de la sidérurgie. C’est l’avenir industriel de notre pays et celui du continent qui se jouent aujourd’hui, rien de moins...

 

(1) le dossier complet sur le site fo-metaux.fr:

 

A lire aussi: 

À LA RECHERCHE D’UNE SIDÉRURGIE VERTE

Même si la préoccupation environnementale régulièrement invoquée pour justifier des mouvements en cours dans la sidérurgie n’est pas le seul facteur à l’œuvre, les impératifs de transition verte restent réels. Outre la réduction directe du minerai de fer (DRI), plusieurs procédés sont explorés par l'industrie sidérurgique pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

 

- DRI : L’AVENIR DE LA SIDÉRURGIE ?

A côté des hauts-fourneaux, c’est l’autre et unique procédé connu pour transformer le minerai de fer en acier. La DRI  est-elle pour autant viable ?

NDLR: La réduction directe du fer (DRI) est un procédé de fabrication qui  utilise un gaz réducteur riche en hydrogène, produit par reformage du gaz naturel ou de l'hydrogène lui-même, comme gaz réducteur pour réduire directement le minerai de fer.

 

- DROITS DE DOUANE : LE GRAND ENFUMAGE

Au fil des crises successives, l’arme des droits de douane a régulièrement été brandie comme la solution miracle pour sauver la sidérurgie. L’assertion résiste cependant mal à un examen un peu approfondi.

 

 

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