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05 / 02 / 2025 | 7 vues
Pierre Bauby / Membre
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Services publics – Services d’Intérêt Général (SIG) et « aides d’Etat »

En décembre dernier, le Groupe permanent sur les Services d‘intérêt général du Comité économique et social européen (PG-SGI) se réunissait à Bruxelles pour faire le point sur les enjeux que recouvre la question des aides d’Etat pour les Services publics - Services d’intérêt général en matière de financement de leurs missions et finalement de leur existence même.  Lors de cette réunion, J'ai été invité à présenter une mise en perspective...

 

1/ Se situer dans le temps long

 

Comme c’est toujours le cas pour évoquer les enjeux européens, il est nécessaire de les resituer dans leurs évolutions historiques, dans le « temps long ». En 1944- 1945 intervient ce que l’on peut qualifier de « Révolution » européenne : après des siècles de rivalités, de conflits, de conquêtes, de guerres entre pays européens, entrecoupés de traités le plus souvent précaires (pour réaccumuler des forces et préparer l’affrontement suivant) s’ouvre sur le continent européen une nouvelle période marquée par une rupture essentielle, la recherche – au départ à 6 - d’une communautarisation partielle et progressive ; se construisent des « Communautés » (CECA, CED, CEE, Euratom, Acte unique, Maastricht, Lisbonne).
 

Dans la situation de l’époque ces Communautés se fondent d’une part sur les 4 libertés fondamentales de circulation (des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) et d’autre part sur le principe de subsidiarité (on fait ensemble ce qu’il est préférable pour chacun et pour tous de faire ensemble que séparément).


En matière de services publics ou équivalents, tous les pays européens ont des monopoles nationaux ou locaux, en matière de sécurité intérieure et extérieure, de justice, de monnaie, de postes, de télécom, de transports, d’énergie, d’eau et assainissement…


Dans ces domaines s’engage à partir du milieu des années 1980 une démarche stratégique d’élimination progressive des obstacles aux échanges et de construction de marchés intérieurs.

 

2/ Les articles clés du droit primaire : un océan de tensions

 

Quelques articles des traités définissent l’orientation générale, dont il faut souligner qu’ils restent identiques depuis plus de 65 ans !

Si l’on prend leur numérotation actuelle :

106.1 Les États ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités pour les entreprises publiques ou qui disposent de droits spéciaux ou exclusifs.

106.2 Les Entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment de concurrence, dans les limites où elles ne font pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de leur mission particulière.

106.3 La Commission européenne peut prendre seule des directives ou décisions en la matière.

107 Les Aides accordées par les États sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges, puisqu’elles conduisent à avantager un opérateur par rapport à ses concurrents

 

Mais toute une série d’exceptions et d’exemptions permettent de déroger à ce principe.

 

Le droit primaire n’est pas plus explicite ou précis.

C’est un océan de tensions entre des principes, des exemptions, des dérogations, des exceptions, des autorisations…C’est d’une part le « droit dérivé » (directives, règlements, etc.), d’autre part les jugements de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) en charge du règlement des contentieux , qui vont être essentiels.

 

3/ Le Droit dérivé et la CJUE


Le droit dérivé est à la fois sectoriel (pour prendre en compte les spécificités de chaque domaine), pragmatique (dans doctrine commune préétablie), progressif (dans le temps et l’espace). Il se construit dans des dynamiques et recherches de multiples compromis (entre Etats, histoires, acteurs. Il faut ici souligner le rôle clé qu’a joué le Comité économique et social européen (CESE) pour faire émerger des solutions acceptables.
 

Du côté de la CJUE, plusieurs arrêts ont jalonné la période depuis l’arrêt Corbeau de 1993.
 

L’Arrêt Altmark du 24 juillet 2003 est un moment clé puisqu’il établit clairement 4 conditions permettant de considérer qu’une compensation financière versée en contrepartie d’obligation de service public (OSP) n’est pas une aide d’Etat :
 

1. L’entreprise doit être chargée de l'exécution d'obligations de service public clairement définies,

2. Les paramètres de calcul de la compensation sont établis de façon objective et transparente,

3. La compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts et un bénéfice raisonnable,

4. Si le choix de l’entreprise n’est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation doit être déterminé sur la base d'une analyse des coûts d'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée, en tenant compte des recettes ainsi que d'un bénéfice raisonnable.

 

4/ Etat des lieux

 

L’élément nouveau du traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 est l’existence du Protocole 26 consacré à l’ensemble des Services d’intérêt général et qui distingue services d‘intérêt économique général (SIEG) et services non économique d’intérêt général (SNEIG).

Pour les SNEIG, le Protocole rappelle la compétence des États membres pour fournir, faire exécuter et organiser les services. Pour les SIEG, le Protocole précise
 

  • le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser,
  • la diversité et les disparités au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes,
     

Par ailleurs, l’Article 14 TFUE dispose que l’Union et ses États membres veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions ; compétence États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer.

 

Règlement de minimis

 

Règlement(UE) 2023/2832 de la Commission du 13 décembre 2023 relatif à l’application des articles 107 et 108 du TFUE aux aides de minimis octroyées à des entreprises fournissant des SIEG établit la compatibilité pour les aides de moins de 750 000 € sur 3 ans depuis le 1er janvier 2024, sous réserve de suivi et de rapports.

 

Règlement général d’exemption par catégorie

 

Le Règlement (UE) no 651/2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité établit des critères permettant d’attribuer des financements publics plus importants à un plus large éventail d’entreprises, sans demande préalable à la Commission. Il définit 13 catégories (régionales, PME, R et D, formation, travailleurs défavorisés ou handicapés, protection de l’environnement, culture, sport, infrastructures locales, …, des domaines exclus. Il vise un effet incitatif permettant de réduire la charge administrative ; il repose sur transparence, surveillance et rapport.

 

5/ Les enjeux

 

Pour les SIEG ne relevant ni du Règlement de minimis, ni du Règlement général d’exemption par catégorie, des principes généraux restent applicables :

• SIEG défini clairement comme tel par l’Etat membre,

• L’entreprise doit être explicitement chargée de fournir le service,

• L’application des règles de concurrence du Traité doit faire échec à l’accomplissement de la mission impartie à l’entreprise,

• Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.

 

Pour qu’il puisse y avoir compatibilité, des principes clés :

• Transparence : objectifs clairement définis,

• Proportionnalité : l’aide ne doit pas excéder ce qui est nécessaire,

• Non-discrimination : l’aide ne peut être réservée,

• Egalité de traitement de tous ceux qui sont concernés,

• N'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun,

• Notification préalable à la Commission.

 

Aujourd’hui, ces dispositions, principes et règles relatifs aux contributions publiques doivent être réexaminés. Nous ne sommes plus en 1957 ! Il s’agit de resituer les SIG et SIEG dans la situation et les objectifs de l’UE !
 

Les Rapports Letta et Draghi, chacun à sa manière, devraient conduire à de réelles inflexions. Il s’agit de changer de perspective : le marché intérieur ne doit pas seulement se définir de manière nombriliste, autocentré sur des règles internes bien policées, mais servir les objectifs stratégiques de l’Union européenne en matière de transition, de décarbonation, de modèle de société.
 

Et les services d’intérêt général qu’ils soient économiques ou non économiques, ont un rôle essentiel à jouer.

 

L’Union européenne a besoin de relever le défi du sous-investissement, de promouvoir et de développer de nouveaux investissements et ceux-ci impliquent non pas d’opposer les moyens publics et les initiatives privées, mais de mobiliser leurs complémentarités stratégiques.

Dès lors, il faut inverser la démarche : les aides d’Etat ne sont pas nécessairement des obstacles, mais des outils complémentaires à mobiliser !

 

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