Responsabilité des gestionnaires publics: La Cour des comptes se paie un adjoint au comptable
Notre syndicat n’a cessé de le dire et de l’écrire: la RGP ( responsabilité des Gestionnaires publics) peut frapper n’importe quel agent de grade A, B ou C, en poste comptable ou en direction.!!
Un dossier évoqué récemment dans ces colonnes (*) couvait depuis quelques semaines sur la mise en cause de l’adjoint d’une paierie départementale contre lequel était requis 4 000 € d’amende dans le cadre d’une escroquerie FOVI (faux ordres de virement) ayant conduit à effectuer des paiements non libératoires à hauteur de 791 023 € ; parallèlement était requis 2 000 € à l’encontre du directeur adjoint des finances du département.
L’arrêt de la Cour des comptes du 3 mai 2024 confirme la responsabilité partagée entre le directeur adjoint des finances du département et l’adjoint de la paierie départementale condamnés chacun à une amende de 2 500 € qui, de par sa nature, n’est ni assurable, ni rémissible.
Des circonstances atténuantes sont venues amoindrir les sommes requises par le ministère public.
Cet arrêt n’est malheureusement pas une surprise pour notre syndicat et constitue un camouflet pour notre Direction Générale qui n’a cessé depuis 2023 de minimiser, voire même de nier la possibilité d’un tel jugement à l’encontre d’un agent non comptable.
La première responsable est donc bien notre Direction Générale qui a endormi tous ses agents depuis quasiment 2 ans quant aux conséquences de la RGP.
UNE DGFIP RESPONSABLE
Pour illustrer ce déni directionnel, quoi de mieux qu’un florilège de ses perles :
• « Il n’y a aucune raison de craindre les conséquences de la réforme, bien au contraire. » (J. Fournel – 14/2/2023 – Ulysse) ;
• « Il faut regarder vers le haut de la chaîne et non pas dans les étapes intermédiaires » (J. Fournel -
colloque RGP à l’Institut national du Service Public (INSP) - 8/11/2023).
• « Celui qui est responsable à la fin c’est le patron de la structure, donc le comptable » (Groupe de Travail du 2/2/2023) ;
• Lors de CSA locaux, et en réponse à nos représentants F.O.-DGFiP, des présidents nous reprochaient
« d’attiser la peur » et qu’il fallait « arrêter les fantasmes » ou encore que l’inquiétude des agents était
injustifiée puisque la balance des mises en cause pencherait plutôt désormais vers les ordonnateurs.
UN DÉBUT DE JURISPRUDENCE PAS FRANCHEMENT RASSURANT
Lors du colloque sur la RGP à l’INSP le 8 novembre dernier en présence de notre syndicat , un président de section de la Cour des comptes a précisé que la RGP était une responsabilité individuelle et selon lui ...« quand on démarre une instruction, le 1er nom qui arrive, c’est celui qui a cliqué dans Chorus par exemple. C’est à nous ensuite de reconstituer le fil. Nous cherchons ensuite à savoir si cette personne avait un ordre écrit, si elle avait des instructions préalables. L’exécutant n’est pas toujours innocent. »
Au cas d’espèce de ce jugement, et sans préjuger de ce que seront les prochains arrêts, on voit déjà se dégager quelques grands axes :
• c’est « grand angle » et la Cour de comptes veut embarquer services comptables et services de
l’ordonnateur… alors que l’on nous a servi inlassablement comme élément de langage que le curseur
de la RGP se déplacerait plutôt du coté de l’ordonnateur ;
• les fonctions de comptable public n’exonèrent nullement l’ordonnateur de son devoir de vérifier la
validité de la créance ;
• Sur la base d’une délégation, l’adjoint est mis en cause ;
• Par apport au réquisitoire, il y a partage de responsabilité, où plutôt partage de l’amende, mais rien ne
dit que ce sera toujours le cas ;
• Nous sommes loin du maximum de l’amende qui peut s’élever rappelons-le à six mois de rémunération annuelle dans les textes ;
• le critère de la faute grave (du coté de la paierie) au sens de l’article L131-9 du Code des juridictions
financières est constitué dans cette affaire, selon la Cour, des défaillances dans le contrôle des pièces
justificatives « dont il devait s’assurer de la conformité et de la pertinence spécifiquement et de manière exhaustive au vu du plan de CHD » ;
• le fait de n’avoir pas suivi les consignes de la DGFiP sur les escroqueries FOVI est également constitutif,
selon la Cour, de la faute grave et constitue donc une circonstance aggravante ;
• Le juge justifie le caractère significatif du préjudice par le seuil de visa exhaustif utilisé dans les
consignes de la DGFiP pour élaborer les plans de CHD ( le contrôle hiérarchisé des dépenses publiques) : « le préjudice est significatif, comme l’illustrent au demeurant les seuils retenus en matière de contrôle hiérarchisé de la dépense » ;
• Un seuil de CHD à 13 000 € serait donc important et significatif pour le juge ? N’est-ce pas méconnaître les principes du CHD ? Ou plutôt une confirmation que le CHD ne lie pas le juge mais que ce dernier
peut s’en servir quand ça l’arrange !
• Alors que le préjudice ne représente que 0,1 % du budget du département, il est malgré tout analysé
par le juge comme étant significatif ;
• la Cour s’est arrêtée au niveau de l’adjoint mais aurait bien pu continuer en descendant la chaîne
de la dépense ;
• les circonstances atténuantes reconnues à l’adjoint n’excluent pas les développements sous l’angle
de la responsabilité managériale.
Face à cette première affaire, à quand un discours de vérité sur la RGP de la part de la nouvelle directrice générale des finances publiques pour que cesse enfin ce déni de mise en cause des agents non comptables ?
Puisque les mises en cause devraient se systématiser, le régime indemnitaire des agents de la DGFiP, déjà très largement lacunaire et injustifiable, devrait clairement évoluer pour intégrer ce risque.
De longs mois après la réforme et sur fond de généralisation des postes au choix, les contours de la responsabilité managériale restent toujours aussi flous.
Quelles mesures la Direction Générale compte t-elle prendre pour protéger les agents de tout grade de la
DGFiP travaillant dans un process financier ?
A défaut, ceux qui pointaient une prétendue aversion pour le risque générée par l’ancien système de responsabilité pour soutenir cette réforme l’auront troqué pour une sclérose généralisée alimentée par les
légitimes refus de délégation et la prolifération non moins légitime des demandes d’ordres écrits.
Combien de clips vidéos, de sérious game ou de réformes des épreuves de concours faudra-t-il pour contrer les effets désastreux d’une telle réforme sur l’attractivité des métiers de la DGFiP ?
(*) Responsabilité des gestionnaires publics: Demain...tous justiciables ? | Miroir Social