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02 / 07 / 2021 | 135 vues
Frédéric Souillot / Abonné
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Quel avenir pour le principe d’égalité de traitement ?

Le principe « à travail égal, salaire égal » (et, par extension, le principe d’égalité de traitement) est un concept né de la jurisprudence. Dans un célèbre arrêt « Ponsolle » du 29 octobre 1996, la Cour de cassation a donné une valeur impérative à ce principe. Si celui-ci a ensuite été rappelé à plusieurs reprises, la Cour de cassation a de plus en plus tendance à revenir sur cette règle ces dernières années, multipliant les situations justifiant une différence de traitement. Si bien que de nombreux auteurs ont été amenés à se poser la question de l’avenir de ce principe.

 

I. Le principe « à travail égal, salaire égal »
 

Selon le principe « à travail égal, salaire égal », quelqu'un exerçant les mêmes fonctions (même coefficient et même qualification notamment) qu’un autre salarié doit bénéficier du même salaire. L’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre les salariés dès lors qu’ils sont placés dans une situation identique. L’égalité de rémunération vaut pour les salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Un employeur ne peut traiter des salariés placés dans une situation comparable au regard de l’avantage considéré différemment.

 

Ce principe vaut pour le salaire de base mais également pour les accessoires du salaire (primes, avantages en espèces ou en nature…).

 

Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse (Cass. soc., 6 juillet 2010, n° 09-40021).

 

Toutefois, l’employeur ne méconnaît pas le principe « à travail égal, salaire égal » lorsqu’il justifie la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale par des raisons objectives, pertinentes et matériellement vérifiables.

 

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre les éléments susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération au juge. C’est à celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare (Cass. soc., 4 avril 2018, n° 16-27703).

 

Il incombe ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence. Si cette preuve n’est pas rapportée, l’employeur doit verser un rappel de salaire. Ce rappel de salaire ne peut se faire que sur la période non prescrite (soit trois ans pour les salaires : art. L.3245-1 du code du travail).

 

Par exemple, s’agissant du contenu d’un PSE, la Cour de cassation a considéré que si un plan de sauvegarde de l’emploi peut contenir des mesures réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique au regard de l’avantage en cause puissent bénéficier de cet avantage, à moins qu’une différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables (Cass. soc., 9 juillet 2015, n° 14-16009).

 

Une convention ou un accord collectif, même dérogatoire, ne peut priver un salarié des droits qu’il tient du principe d’égalité de traitement pour la période antérieure à l’entrée en vigueur de l’accord. Autrement dit, un accord collectif ne peut rétroactivement valider une différence de traitement injustifiée (Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20007).

 

Un salarié ne peut être licencié pour avoir fait valoir ses droits en justice en raison d’une inégalité de traitement. Le licenciement prononcé est sans cause réelle et sérieuse mais n’encourt pas la nullité (Cass. soc., 20 février 2018, n° 06-40085).

 

Parmi les exemples de différences justifiées, on trouve, entre autres, des différences de niveau de responsabilité, l’ancienneté pour autant qu’elle ne soit pas déjà prise en compte par une prime ayant cet objet, la précarité de l’emploi ou la pénurie de main d’œuvre, le travail de nuit, la localisation et le coût de la vie, l’expérience professionnelle ou le diplôme dès lors qu’il atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction, les différences de performances, de comportement ou de notoriété (notamment pour les acteurs), la qualité du travail fourni (Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46080) sous réserve que cela puisse être vérifié par des critères objectifs (Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-40911).

 

La règle « à travail égal, salaire égal » ne s’applique pas dans des entreprises juridiquement distinctes, peu importe qu’elles appartiennent au même groupe ou qu’elles appliquent la même convention collective.

 

Le principe « à travail égal, salaire égal » ne doit pas être confondu avec le principe de non-discrimination. Ce principe interdit de prendre l’un des critères visés par l’article L.1132-1 du Code du travail en considération pour arrêter une décision ou justifier une différence de traitement.

 

II. Du principe « à travail égal, salaire égal » au principe d’égalité de traitement

 

Le principe « à travail égal, salaire égal » a progressivement été étendu à d’autres domaines que celui des salaires pour se transformer en principe d’égalité de traitement. Ce dernier ne concerne plus uniquement les salariés mais les salariés également, le droit syndical et plus globalement, l’ensemble des droits individuels et collectifs qu’il s’agisse des conditions de rémunération, d’emploi, de formation ou des garanties sociales. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le principe d’égalité de traitement devait s’appliquer aux titres-restaurant, aux congés payés, à la classification et au coefficient, aux conditions d’affiliation au régime de retraite complémentaire (Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-17622).

 

En matière de droit syndical, la Cour de cassation a précisé que le principe d’égalité de traitement entre les organisations syndicales quant aux moyens alloués par l’employeur en vue des élections professionnelles s’applique dans le périmètre de ces élections et, dès lors, au sein de chaque établissement distinct lorsque l’entreprise ne dispose pas d’un établissement unique. Autrement dit, l’employeur peut, en cas d’établissements distincts, prévoir des avantages différents entre ces différents établissements. Le principe de l’égalité de traitement s’apprécie au sein de chaque établissement distinct. Au sein d’un même établissement distinct, l’employeur doit traiter tous les syndicats (catégoriels et non catégoriels) de la même manière, peu important que certains présentent plus de candidats que d’autres (Cass. soc., 20 septembre 2018, n° 17-60306).

 

En matière d’utilisation des nouveaux moyens de communication, l’employeur doit en faire bénéficier tous les syndicats ayant créé une section syndicale et pas seulement les syndicats représentatifs : les dispositions d’une convention ou d’un accord collectif visant à faciliter la communication des organisations syndicales ne peuvent, sans porter atteinte au principe d’égalité, être limitées aux seuls syndicats représentatifs et doivent bénéficier à tous les syndicats qui ont constitué une section syndicale (Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 10-19017 et n° 10-23247).

 

Plus généralement, les dispositions d’un accord collectif qui tendent à améliorer l’exercice du droit syndical dans l’entreprise sont applicables à tous sans qu’il y ait lieu de distinguer entre ceux qui ont signé ou adhéré à l’accord collectif et ceux qui n’ont pas signé l’accord collectif et ceux qui n’y ont pas adhéré. Tous les syndicats représentatifs ont pour vocation d'en bénéficier (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23078).

 

Toutefois, un accord collectif sur le droit syndical peut prévoir une différence de traitement entre syndicats représentatifs dès lors :

  • d’une part, que la disposition ne prive pas les syndicats représentatifs de l’exercice de leurs droits légaux ;
  • et, d’autre part, que cette différence est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l’influence de chaque syndicat en rapport avec l’objet de l’accord (Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-26955).

 

III. Principe d’égalité de traitement : vers une réduction de son champ d’application ou un principe en devenir ?

 

Après avoir longtemps appliqué le principe d’égalité de traitement avec rigueur, la Cour de cassation a tendance à restreindre, de plus en plus restreindre ce principe ces derniers temps, le réduisant à peau de chagrin…

 

Sur les régimes de prévoyances, la Cour de cassation a jugé qu’en raison des particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis, en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, qui prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre les salariés relevant d’une même catégorie professionnelle (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-23761). Si le principe d’égalité de traitement ne disparaît pas totalement s’agissant de la prévoyance et de la complémentaire de santé, celui-ci ne s’applique qu’entre salariés relevant d’une même catégorie professionnelle et non entre cadres et non-cadres.

 

Pour ce qui est des accords collectifs et la distinction cadres/non-cadres, la Cour de cassation a considéré que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-23818). Il est clair que pour la Cour de cassation, la légitimité électorale des syndicats justifie cette présomption. À l’opposé, les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par un engagement unilatéral de l’employeur ne bénéficient pas de cette présomption de justification mais répondent aux exigences de justification habituelles.

 

Dans les faits, la présomption est très difficile à renverser. Opérant un renversement de l’exigence de justification, cette décision lèse les salariés en rendant plus délicate la contestation en quelque sorte. L’article L.2263-13 du code du travail, issu des ordonnances « Macron », indique d’ailleurs qu’il appartient à celui qui conteste la légalité d’une convention ou d’un accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent.

 

À côté de la distinction cadres/non-cadres, une multitude de situations justifie désormais qu’une atteinte au principe d’égalité de traitement soit apportée. Il ne s’agit pas ici de faire un catalogue de toutes ces justifications mais il est bon de citer quelques arrêts frappants démontrant que la tendance est à la limitation de l’application du principe d’égalité de traitement. Lorsqu’il s’agit de l’application d’une norme conventionnelle, le principe d’égalité de traitement a clairement tendance à s’effacer. En d’autres termes, la norme négociée prévaut sur le principe d’égalité de traitement. Pour la Cour de cassation, l’existence d’un accord collectif est un prétexte pour ne pas opérer de véritable contrôle…

 

Dans le cadre de PSE successifs, la chambre sociale a par exemple estimé que les salariés licenciés, lors des deux procédures distinctes, étaient placés dans des situations différentes (Cass. soc., 29 juin 2017, n° 15-21008 et n° 16-12007).

 

Concernant l’exercice du droit d’opposition, la Cour de cassation a considéré que les effets de l’exercice du droit d’opposition, qui entraîne l’anéantissement de l’accord justifie ainsi la différence de traitement par rapport à d’autres salariés bénéficiant d’avantages nés d’un accord distinct non frappé d’opposition (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 16-16484).

 

Dans un arrêt remarqué en date du 28 juin 2018, la Cour de cassation a considéré que les salariés engagés postérieurement à l’entrée en vigueur d’un accord de substitution ne peuvent revendiquer, au titre du principe d’égalité de traitement, le bénéfice des dispositions prévues par l’accord collectif antérieur (Cass. soc., 28 juin 2018, n° 17-16499). Auparavant, la Cour de cassation jugeait que la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux (Cass. soc., 21 février 2007 n° 05-43136). Dans ce cas, il appartenait à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de traitement entre les salariés. Avec l’arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation va plus loin : désormais, nul besoin pour l’employeur de justifier l’inégalité de traitement, le juge interdit directement aux salariés de revendiquer les avantages prévus par l’accord applicable avant leur embauche, au nom de ce principe.

 

Un autre arrêt a considéré que les salariés d’une entreprise ne peuvent, au nom de l’égalité de traitement, prétendre au bénéfice d’avantages que d’autres tiennent d’un usage en vigueur dans l’entité dont ils relevaient lorsque celle-ci fait l’objet d’un transfert soumis aux dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12782).

 

En cas de transfert conventionnel (ex. : changement de prestataire), la Cour de cassation a jugé qu’une différence de traitement était justifiée lorsque les salariés, changeant d’employeur en application d’un tel accord, continuent de bénéficier des droits dont ils jouissaient antérieurement, alors que le personnel de ce nouvel employeur ne peut y prétendre parce que cette disparité n’est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 30 novembre 2017, n° 16-20532).

 

Des avantages différents peuvent être accordés à des salariés relevant d’établissements distincts soit par des accords d’établissements séparés (Cass. soc., 3 novembre 2016, n° 15-18444), soit par un même accord d’entreprise (Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17517). Un protocole de fin de conflit peut justifier une différence de traitement : des différences de traitement entre des salariés appartenant à la même entreprise de nettoyage mais affectés à des sites ou des établissements distincts, opérées par voie d’un protocole de fin de conflit ayant valeur d’accord collectif, sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle (Cass. soc., 30 mai 2018, n° 17-12782). On assiste à une montée en puissance de la norme négociée en matière d’égalité de traitement dans l’entreprise. Le juge est mis en retrait au profit des organisations syndicales qui deviennent des juges de l’égalité de traitement et, en quelque sorte, des législateurs à leur niveau.

 

Le principe d’égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés embauchés postérieurement à l’entrée en vigueur d’un nouveau barème conventionnel soient à l’avenir appelés à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu’ils ne bénéficient à aucun moment d’une classification ou d’une rémunération plus élevée que celle des salariés embauchés antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire (Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 16-26729).

 

Dernièrement, par un arrêt très remarqué, la Cour de cassation a jugé que les cadres et les non-cadres n’étaient pas placés dans une situation identique (le principe d’égalité de traitement n’a donc pas pour vocation de s’appliquer) s’agissant du versement d’une prime de 13e mois :  quelles que soient les modalités de son versement, une prime de treizième mois, qui n’a pas d’objet spécifique étranger au travail accompli ou destiné à compenser une sujétion particulière, participe de la rémunération annuelle versée, au même titre que le salaire de base, en contrepartie du travail à l’égard duquel les salariés cadres et non cadres ne sont pas placés dans une situation identique (Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-15101). Cet arrêt témoigne d’une certaine vision de la Cour de cassation sur l’application du principe d’égalité de traitement. Ici, il n’est nullement question de procéder à une comparaison, il n’y a en réalité rien à comparer, les cadres en raison de leur statut n’étant pas placés dans une situation identique par rapport aux non-cadres. À l’avenir, les salariés invoquant une égalité de traitement marchent sur des œufs. Ce qui est obtenu en première instance peut-être perdu en appel ou en Cour de cassation.

 

On assiste finalement à une lente agonie du principe d’égalité de traitement. Le principe est clairement devenu l’exception…

 

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