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16 / 10 / 2019 | 115 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« On ne joue pas au Monopoly avec la santé de la population »

Entretien avec Jean-Paul Benoît, président de la Fédération des mutuelles de France.
 

Le PLFSS 2020 est désormais dans les mains des députés. Il y a un an, le gouvernement saluait l’équilibre retrouvé. Le déficit 2019 est prévu à 5,4 milliards d’euros et celui de 2020 à 5,1 milliards d’euros. Les Français dépensent-ils trop pour leur santé ?
 

C’est plutôt le gouvernement qui dépense trop l’argent de la Sécurité sociale ! L’an dernier, en même temps qu’elle se félicitait à grand bruit du retour à l’équilibre des comptes sociaux, la ministre de la Santé présentait un PLFSS dans lequel elle dégageait l’État de son obligation de compenser les pertes de recettes de la Sécurité sociale causées par les décisions d’exonérations de cotisations sociales du gouvernement. Le résultat de cette mesure funeste, votée discrètement, ne s’est pas fait attendre. Il est là, sous nos yeux, cette année. Selon un mécanisme désormais bien huilé, nous allons entendre la petite musique libérale serinant que la solidarité coûte trop cher pour justifier un train d’économie sur le dos des patients. N’y croiront que ceux qui le veulent bien...
 

Vous êtes sévère…
 

Ça suffit : on ne joue pas au Monopoly avec la santé de la population ! Notre système de couverture sociale solidaire et notre système public de santé sont attaqués tous azimuts depuis des années. Ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale (ou plutôt de non-financement de la Sécurité sociale) est un peu une cerise confite sur le gâteau moisi de l’ultralibéralisme. Il prolonge un mouvement entamé il y a longtemps, tourne le dos à tous les enjeux de santé et de protection sociale du XXIe siècle et ne permet pas de répondre aux besoins. Pour faire face à une hausse tendancielle des dépenses de 4,4 %, le gouvernement prévoit une évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie de 2,3 % ! Alors que la politique de prévention est un sujet majeur pour prolonger l’espérance de vie en bonne santé, elle est quasi absente de ce projet de loi. En pleine crise des urgences (la grève dont personne ne conteste la pertinence dure depuis plus de 200 jours !), la ministre présente au Parlement une évolution de l’ONDAM hospitalier de 2,1%. Sans rire ! Le niveau d’investissement de l’hôpital public est au plus bas, depuis le temps que l’on assèche ses finances ; l’avenir est donc menacé.  Pour les EHPAD, la situation n’est pas plus réjouissante. Alors qu’ils souffrent d’un non-financement chronique, l’ONDAM médico-social n’évoluera que de 2,8 %. Les « aidants » vantés à longueur de discours devront se contenter d’une mesurette : trois quarts du SMIC par jour pendant trois mois maximum. Il ne faut vraiment jamais avoir accompagné une personne malade ou vieillissante pour oser proposer un truc pareil !
 

La semaine dernière, la FNMF a réuni son assemblée générale. Ces débats y ont-ils été évoqués ?


Oui, nous les avons portés, bien sûr, et de nombreuses autres mutuelles avec nous. Pascale Vatel, qui est intervenue au nom des Mutuelles de France, n’a pas mâché ses mots pour remettre la politique de la « ministre de la mauvaise santé » en cause, comme elle l’a désignée. Elle a aussi souligné que l’on ne pouvait pas se contenter de protester pendant une assemblée générale et de continuer comme avant. D’ailleurs, la FNMF a adressé une lettre ouverte d’alerte au Premier Ministre pour défendre l’autonomie du budget de la Sécurité sociale et remettre les choix du gouvernement en cause alors que le système de santé (je cite) « craque de toutes parts ». Cette lettre n’est pas un acte isolé puisqu’il émane de 12 organisations syndicales, associatives et mutualistes. La question, maintenant, est de savoir si le Président de la République, le gouvernement et sa majorité parlementaire vont nous entendre ou continuer à ignorer les corps intermédiaires que nous sommes, mutuelles, syndicats, associations de patients…
 

Justement, le Président de la République vient d’annoncer l’accroissement de la contribution de la France au fond mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. N’est-ce pas une bonne nouvelle en matière de santé publique ?
 

Oui, très bien. Les ONG étaient très mobilisées, à raison, et elles ont obtenu des résultats. On voudrait juste que le reste de la politique d’Emmanuel Macron soit cohérent avec cette décision. Pendant que le Président de la République accroît la contribution de la France au Fonds mondial, sa ministre de la Santé continue de ruiner l’hôpital public. Pendant qu'il annonce sa bonne nouvelle à Lyon, à la conférence de reconstitution du Fonds, sa majorité parlementaire joue à Paris avec l’aide médicale d’État, le responsable du parti présidentiel prétendant même que l’AME financerait des « soins de confort » !  Si l'on veut améliorer la santé de nos contemporains et augmenter l’espérance de vie en bonne santé, il faut une politique cohérente, pas des coupes budgétaires dramatiques cachées derrières des effets d’annonce. Car il faut aussi garder les proportions en tête. La contribution de la France au Fonds mondial est désormais de 1 242 milliards d’euros pour les trois prochaines années, soit un peu plus de 400 millions d’euros par an. Le budget consacré à l’AME est de 900 millions par an et le budget exsangue de la Sécurité sociale cette année de 500 milliards d’euros, tous régimes confondus.

 

L’ambiance a l’air tendue cet automne…
 

Comment ne le serait-elle pas ? Ce quinquennat s’ensable à force de nous infliger les vieilles recettes ultra-libérales des années Reagan. Élu contre une candidate d’extrême-droite, le Président joue avec l’immigration dans le débat public. Élu pour débloquer la France, c’est peu ou prou ce qu’il disait, il finit de gripper la société française avec des réformes pas ou mal négociées et inadaptées à la réalité et aux besoins de la population. De ce point de vue, sur le dossier des retraites, je dirais ironiquement que c’est presque un « sans faute ». Alors que rien ne contraint à une réforme, la majorité sort du chapeau de Jean-Paul Delevoye, un nouveau système qui mécontente le plus grand nombre et dévoie la notion d’universel. Sous couvert d’universalisme, confondant volontairement uniformité et égalité, la réforme Delevoye-Macron va appauvrir les retraités de demain. Fameux résultat !

 

Alors que proposez-vous ?
 

La Sécurité sociale n’est pas un luxe suranné. L’accès à la santé et à une protection sociale efficace sont des conditions de la dignité humaine. La solidarité avec les « vieux travailleurs » est essentielle à notre humanité. C’est ce que nous voulons dire quand nous proclamons que « la santé est un droit ». Tout part de là. Nous devons dégager les financements pour une Sécurité sociale de haut niveau, trouver les solutions pour que la protection sociale ne dépende pas du statut de la personne. Bref, pousser notre modèle social vers plus de solidarité universelle. Et nous devons organiser sa gouvernance démocratique parce que, nous le savons bien en mutualité, la démocratie est le moyen le plus efficace de décider à plusieurs. La préparation du prochain congrès des mutuelles de France à Brest en juin 2020 sera l’occasion de continuer d'approfondir ces questions qui ne sont pas nouvelles pour nous.

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