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27 / 09 / 2021 | 85 vues
Marcel Caballero / Membre
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« L’État doit ne plus assurer des fonctions de gestion dans le domaine de la santé » - Jean de Kervasdoué

L'économiste de la santé et ancien directeur général des hôpitaux au Ministère de la Santé, Jean de Kervasdoué s'est ouvert au CIRIEC France sur la déroute de l’État et de la santé publique.

 

En mars 2020, la France a choisi de protéger la santé des plus fragiles et a pour cela imposé de lourdes contraintes à ses habitants, notamment à ceux qu’elle souhaitait maintenir en vie « à tout prix ». Ceci s'est fait au détriment des plus jeunes.

 

Sans remettre cette politique en cause, quelles leçons tirer de sa mise en œuvre longue, hésitante et coûteuse ?
 

Il y a d'abord eu un élément positif et de taille : le système médical a tenu et démontré ses qualités éthiques et son excellence clinique. Les soignants ont courageusement fait face. Les hospitaliers ont pu ouvrir des milliers de lits de réanimation et trouver des formes d’organisation innovantes en faisant voler les règles administratives et des centaines de contraintes bureaucratiques en éclats. Ils ont ainsi illustré leur coûteuse inutilité. Tandis que les soignants étaient à leur poste, le Ministère de la Santé doutait de l’efficacité des masques, avant d’en déclarer le port obligatoire, pour alors découvrir l’inexistence de stocks qui étaient en train d’être détruits.

 

Le principe de précaution a là encore démontré son absurdité et sa totale inefficacité : tout constitutionnel qu’il ait été, il ne permettait pas de déceler l’incertain. À cette occasion, le public et les médias ont découvert, sans le formuler ainsi, que « médecine » et « santé » n’étaient pas des synonymes et que la santé publique ne se limitait donc pas à l’organisation des soins médicaux.

 

Pour mener une politique de santé, il existe d’autres outils et, pour y parvenir, l’État informe (éducation pour la santé), l’État prévient (vaccination) et surtout, l’État interdit car la santé publique est toujours, pour l’essentiel, liberticide : il faut porter un masque, respecter les gestes barrières, ne pas sortir après 18h00, fermer théâtres et restaurants… Si ces contraintes peuvent être justifiées, les Français ont aussi compris qu’il fallait à tout moment se demander si l’on pouvait toujours tout interdire au nom de la santé de certains, voire de tous ?

 

Du fait de la nature même de la santé publique, telle qu’elle est conçue en France, les services de l’État, compétents en la matière, recrutent des juristes mais pas des informaticiens, pas des logisticiens, pas des ingénieurs, pas des technologues et peu de statisticiens. Ceci explique les difficultés rencontrées pour des tâches élémentaires comme, par exemple, le recueil des données de mortalité ou, un an plus tard, la totale imprécision dans la mesure de la prévalence de l’épidémie en population générale. C’est aussi la raison pour laquelle l’État n’a pas été capable de rapidement commander des masques, des respirateurs, des tests, puis des vaccins, tâche heureusement confiée à l’Europe, moins imparfaite.

 

Si la France dispose donc d'une bonne médecine, elle a une mauvaise santé. Outre cette faille spécifique, la pandémie a illustré des tares anciennes et trop bien connues de notre République, notamment la centralisation, le corporatisme, la passion pour l’égalité et l’échec de la démocratie participative.

 

Ainsi, en mars 2020, l’État central a demandé à toutes les cliniques privées de France de déprogrammer leur planning opératoire. Ceci était justifié à Mulhouse mais ne l’état pas à Toulouse, où il y avait très peu de patients atteints du covid-19.

 

Le corporatisme a mené à négliger la profession qui avait les plus grandes compétences en matière de coronavirus quand l’épidémie s'est déclenchée, à savoir les vétérinaires. En outre, il y a eu de nombreuses escarmouches pour savoir si les pharmaciens et les infirmiers auraient ou n’auraient pas le droit de vacciner alors qu’ils le font pour la grippe et bénéficient de la confiance de la population dont ils sont proches.

 

Quant à la passion pour l’égalité, si les Français acceptent les contraintes, fussent-elles drastiques, quand elles s’appliquent à tous, ils refusent que l’on impose des mesures spécifiques à certains d’entre eux, au nom de leur liberté individuelle. Contrairement aux pays d’Asie et à certains pays d’Europe, les malades n’ont pas été obligés de s’isoler. L’État n’envisage pas non plus de rendre la vaccination contre le SARS-cov-19 obligatoire, pas plus que le passeport vaccinal début mars. En France, les mesures universelles ne paraissent pas légitimes quand elles pèsent sur une partie de la population, fussent-elles souhaitables pour le bénéfice de tous.

 

Quant à la démocratie participative, je n’aurai pas la cruauté de rappeler ici toutes les banalités des recommandations d’étapes du « conseil citoyen pour la vaccination » et me limiterai pour l’illustrer à celle qui rappelle la nécessité « de diffuser des informations claires accessibles à tous sur un site internet unique (1) ».

 

Plus douloureux et plus grave (car il faudra au moins une décennie avant d’y parvenir) a été de constater nos limites en matière d’industrie et de recherche. Les Français ont découvert que si leur pays avait toujours une excellente médecine, il n’avait plus, à quelques grandes et heureuses exceptions, d’industrie biomédicale (2). Ainsi, en faisant attendre des années pour inscrire un nouvel acte, une nouvelle prothèse ou un nouveau pansement à la nomenclature des actes remboursés par l’Assurance-maladie, ils ferment le marché aux entreprises nationales.

 

Outre la grande dépendance de la France vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers, la recherche académique a considérablement pâti de cette faiblesse car elle ne se développe que si elle tisse un lien intime et permanent avec l’industrie, notamment dans les grands CHU. Mais la recherche elle-même a révélé ses faiblesses. Si, à l’été 2021, il a été douloureux pour tous de constater que les entreprises françaises n’étaient pas capables de sortir un vaccin, pour les spécialistes de santé publique la triste surprise a été de constater le peu de travaux publiés par des équipes nationales.

 

Pour concevoir le système de santé de demain, il faut revenir à la mondialisation, certes celle de l’épidémie, mais plus encore celle de la recherche médicale. En effet, on assiste à une toujours plus grande spécialisation qui pousse à une double division du travail.

De fait, en France, on dénombre 200 spécialités médico-chirurgicales et environ 200 professions « autres » (kinésithérapeutes, infirmiers, ergothérapeutes…) qui peuvent les unes et les autres accompagner le malade dans son « parcours de soins » en ville comme à l’hôpital. Mais qui coordonne ce parcours ?

 

Qui en a la responsabilité ?
 

En France, nous avons le talent de pervertir les bonnes idées, nous avons prétendu que le médecin traitant, payé à l’acte, à un tarif très bas en secteur conventionné, pouvait et devait accompagner son patient, prendre rendez-vous, téléphoner à ses confrères, choisir l’hôpital etc. Il n’en a rien été tout simplement parce que, pour vivre, il doit « faire » des actes.

 

La situation est d’ailleurs encore pire pour les infirmières et les kinésithérapeutes libéraux payés moins de 9 € pour une prise de sang à domicile. Quant aux leçons à tirer pour l’après-covid, tant dans l’esprit que dans la lettre, la première réforme devrait être celle de l’État obèse. L’épidémie a également montré que le fonctionnement de l’État requérait des expertises nouvelles. La réforme de l’État ne peut pas se limiter à une timide réforme de l’ENA.

 

Pour assurer un dialogue sain, l’État doit ne plus assurer des fonctions de gestion dans le domaine de la santé. Par manque de confiance dans ses agents, il s’efforce aujourd’hui de les contrôler par une tutelle omniprésente tout en élaborant des textes nombreux, coûteux et trop souvent contradictoires. On ne saurait terminer ces évocations trop succinctes sans rappeler qu’il faut intégrer l’hospitalisation privée (elle réalise plus de 50 % de la chirurgie) dans les territoires de santé, que la santé mentale va très mal alors que les Français sortent très perturbés par le confinement et que la triple tutelle des EHPAD (État, Assurance-maladie et département) doit être revue.

 

À cette liste déjà importante des réformes qu’il est urgent d’entreprendre, comment ne pas ajouter celle de la médecine de ville ? Comment ne pas redire que, dans le domaine de la santé comme dans beaucoup d’autres, nous payons le prix des incuries passées et le paierons tant que nous n’aurons pas réformé autrement que par l’ajout d’une nouvelle taxe ou le financement d’une nouvelle dette.

 

(1) esml.org/fr/12-actualites-du-sml.php?actu=6533-le-cese-fait-de-nouvelles-recommandations-pour-la-strategie-vaccinale 

(2) Il en est de même en agriculture où il n’y a pratiquement plus d’industrie française.

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