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23 / 01 / 2023 | 67 vues
Pierre Bauby / Membre
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Les services publics au miroir des « Lumières »

 Quand on réfléchit à l’héritage historique qui est celui des promoteurs de l’économie publique comme de l’économie sociale, on fait le plus souvent référence -d’une part aux services publics reposant sur les principes d’égalité, de continuité et de mutabilité adaptabilité (les fameuses « lois de Rolland », -- d’autre part aux « Lumières » du XVIIIème siècle et à leurs concrétisations, de la « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen » de 1789 au Conseil national de la Résistance de la Libération.

 

Services publics et Lumières sont notre patrimoine commun

 

Peut-on les prendre en compte dans leurs interrelations, en « miroir », en allant des uns aux autres ?


Les Lumières fécondent le concept de service public. Les services publics existent dès lors que nous vivons en collectivité (« les services publics avant le service public »). La garantie de la sécurité tant interne qu’externe de chaque groupe comme les possibilités de vivre ont amené de tous temps la création de services collectifs, de police, de justice, de défense et d’infrastructures, routes, canaux, aqueducs, égouts, etc.

 

Dans tous les cas, les personnes humaines étaient prises en compte comme objets et non comme sujets, dépendants de références et de pouvoirs qui leur étaient extérieurs (les rois ou chefs de toutes sorte, les religions). 

 

La « révolution des Lumières » c’est la reconnaissance de la nature unique de chaque humain et de l’égalité de tous.


C’est l’avènement de l’« individu », la pleine reconnaissance de chaque individu, l’ambition de construire l’individualité de chaque personne humaine. Avec les Lumières, les individus naissent à eux-mêmes. C’est l’« invention de la liberté ». Antoine Lilti (1) souligne   l’extrême richesse – et diversité – des Lumières, de leur histoire, en France, en Europe et au-delà, tout au long du dit « siècle des Lumières ». C’est un ensemble de questions et de problèmes, objet de débats pluriels, bien plus qu'un prêt-à-penser. C’est la portée émancipatrice de la connaissance et du savoir. Antoine Lilti les synthétise comme « le pouvoir de la raison, la liberté d’expression, la tolérance, l’optimisme et la foi dans le progrès, le prestige de la science, l’humanisme cosmopolite ». 

 

Les Lumières vont féconder les débats et réflexions qui déboucheront sur la doctrine juridique du service public avec Léon Duguit et l’école de Bordeaux au début du XXème siècle, sur les lois de Roland et sur les avancées de la Libération avec le triangle de légitimité des services publics :
 

  • garantir le droit de chaque habitant d'accéder à des biens ou services fondamentaux (droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, aux transports, aux communications, etc.) ;
  • mettre en œuvre des solidarités, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, développer le lien social, promouvoir l'intérêt général de la collectivité concernée ;
  • prendre en compte le long terme et les intérêts des générations futures, créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et environnemental.

 

Dans la foulée, la conception organique du service public amènera à assimiler le service public à l’activité administrative et à la propriété publique, en même temps que la conception fonctionnelle mettant l’accent sur les objectifs et missions, se développera.


L’une et l’autre seront des ferments du progrès sans précédent des années qui suivront la Libération (les dites 30 glorieuses ») conjuguant progrès économique et social. Elles déboucheront sur l’extrême souplesse du « service public à la française », avec aussi bien les délégations de service public que les missions confiées aux associations.


De la pétrification des Lumières aux crispations identitaires des services publics Alors que les Lumières étaient vivantes, avec de multiples débats et controverses – et qu’il aurait fallu continuer à les faire vivre au XXème siècle -, on les a considérées comme un bloc figé, pétrifié, gravé à tout jamais dans le marbre, autour d’un triptyque particulièrement simplificateur et caricatural :
 

  • l’homme possesseur et maître de la nature,
  • le caractère infini du progrès scientifique qui permet aux humains de tout connaître et maîtriser,
  • la raison comme fondement de toute démarche scientifique, politique ou philosophique.

 

Les Lumières continuent à être évoquées régulièrement, mais le plus souvent comme héritage ou acquis, comme faisant partie de notre patrimoine commun, mais la dynamique des Lumières semble comme figée, asséchée, laissée en jachère. .../... 

 

 On a enregistré des évolutions similaires en matière de services publics, puisque dans beaucoup de domaines et pour nombre d’acteurs, la conception organique du service public a pris le pas sur la richesse et l’adaptabilité du « modèle » français, débouchant sur des replis identitaires.

 

De l’européanisation des services publics aux Services d’intérêt général

 

Autant les Lumières ont irrigué les conceptions économiques, sociales, culturelles, philosophiques de tous les pays européens, autant chaque pays a construit son propre « modèle de service public », dans sa construction et ses institutions nationales.


Dans tous les pays européens, les autorités publiques locales, régionales ou nationales ont été amenées à considérer que certaines activités ne pouvaient pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de formes spécifiques d’organisation et de régulation, dans trois objectifs qui relèvent de la conception fonctionnelle des Services d’intérêt général (SIG). 

 

Dès lors que le processus de construction européenne est apparu nécessaire pour faire face aux défis mondiaux, il a conduit au développement progressif de politiques et d’institutions communes. Dans la situation géopolitique et idéologique des années 1950 et 1960, puis du vent libéral des années 1980, il a été fondé sur la mise en œuvre des quatre libertés fondamentales de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux).


Il a conduit à européaniser les formes nationales diversifiées d’organisation et de régulation des services publics qu’avaient défini dans l’histoire chacun des Etats membres de l’Union européenne, en développant des stratégies de libéralisation fondées sur l’introduction de la concurrence et les logiques du marché, sans définir en même temps des objectifs et normes communautaires, qui auraient pu déboucher sur des solidarités européennes.


Mais la logique de libéralisation est porteuse d’une série de polarisations, économique, sociale, territoriale, temporelle, financière mettant en cause l’accomplissement des missions.

 

Après de longs débats et combats, le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, comporte des innovations majeures avec un Protocole 26 annexé aux deux traités, qui comporte des points d’appui nouveaux pour garantir les services d’intérêt général, leurs objectifs et valeurs :

 

  • le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour réponde aux besoins des utilisateurs ; la diversité et les disparités tenant au niveau des besoins, des préférences des utilisateurs, situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ;
  • un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, égalité de traitement, promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.

 

Parallèlement, se sont développées des initiatives de co-construction des services d’intérêt général, complétant les dynamiques antérieures « top-down », par de multiples initiatives « bottom-up », par exemple de services publics partagés. N'est-ce pas une concrétisation, au niveau européen, de l’« esprit des Lumières », mettant l’accent sur les objectifs d’intérêt général, de satisfaction des besoins diversifiés, de garantie des droits individuels et collectifs ? 

 

Il s’agit de retrouver la dynamique créatrice des Lumières, de les « rallumer » ; de soulever la chape de plomb qui enserre la société ; de prendre appui sur les initiatives de terrain, de susciter des confrontations pluralistes, pour « éclairer » de grands enjeux :
 

  • nous sommes des êtres de raison, mais aussi de passions, de pulsions ;
  • la personne humaine maître et/ou composante de la nature ;
  • les rapports entre individuation et sociétalisation ;
  • la conjugaison de l’intérêt général et des intérêts individuels et particuliers ;
  • les rapports entre droits et devoirs ; entre le libertés, égalité et solidarités ; entre local et global, micro et macro
  • l’universalisme et l’altérité ;
  • remettre le marché à sa place, rien que sa place, mais toute sa place ;
  • le système européen de valeurs solidaires, référentiel dans la mondialisation.

 

(1) L’héritage des Lumières, ambivalence de la modernité, Ed EHESS – Gallimard - Seuil, 2019 ; voir aussi sa leçon inaugurale de la Chaire Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle qu’il dirige au Collège de France, 8 décembre 2022, https://podcastfichiers.collegede-france.fr/lilti-li-20221208.m4a.

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