Les analyses et les propositions du Cercle de la Réforme de l'Etat
Au fil des ans et des gouvernements qui ont pu se succéder, la réforme de l'Etat fait partie des sujets récurrents sur lesquels nombreux sont ceux qui, à leur manière, ont pu développer les approches les plus diverses, suscitant parfois de vifs débats sur la place et le rôle des services publics , les moyens mis à leur disposition, leur efficacité....entre autres... les fonctionnaires étant d'ailleurs au passage souvent jetés en pâture à l'opinion publique ,comme étant responsables de tous les maux...Et pourtant nombreux sont ceux, de plus en plus, qui entendent prendre toute leur part dans ces débats et y apporter leurs contributions à partir de leur vécu.
"Le Cercle de Réforme de l'Etat" fait partie des principaux groupes de réflexion qui travaillent concrètement sur les différents aspects de ce sujet majeur.
Christian Babusiaux, Président du Cercle de la réforme de l'Etat a bien voulu répondre à mes questions et développer la démarche qui est la sienne, ses analyses et surtout les propositions qui peuvent se dégager concrètement des réflexions menées.
Pouvez-vous nous présenter ce qu’est le Cercle de la réforme de l’Etat ?
C’est un think tank qui réunit désormais 120 responsables d’administrations centrales et déconcentrées de l’Etat, d’opérateurs, d’autorités indépendantes, de services des collectivités territoriales, ainsi que des magistrats, des universitaires et chercheurs, des experts des politiques publiques. Avec trois fondements : l’indépendance assurée par l’absence de tout concours public ou privé ; la diversité des formations, des parcours professionnels et des fonctions de ses membres; l’ouverture, pour adapter sur chaque sujet qu’il traite son analyse à la réalité des situations.
Et avec la spécificité de traiter de la réforme de l’Etat dans l’acception globale que ce mot a pour les citoyens et les usagers, c’est-à-dire pas seulement l’Etat au sens institutionnel mais en incluant les collectivités territoriales et le système public de santé.
L’objectif du Cercle est d’analyser, de proposer, de publier.
Analyser dans une démarche résolument transversale, en croisant les expériences concrètes de ses membres et les approches plus systémiques, le constat des pratiques et la recherche, des rencontres avec des personnalités, des séminaires et des auditions par ses groupes de travail.
Produire des notes et des tribunes: les plus récentes ont visé l’une à appeler l’attention sur la situation de l’Institut national du service public, créé pour remplacer l’ENA, l’autre sur la capacité de l’Etat à mener à bien le nombre considérable de projets qu’il prévoit pour les grandes transitions, écologique, énergétique, numérique par exemple.
Publier via les médias de plus en plus nombreux qui s’intéressent à nos réflexions.
La finalité est, selon les cas, de détecter des problèmes émergents, d’alerter, de décoder, de mettre en perspective. Et de proposer, dans un esprit toujours constructif et après avoir beaucoup écouté les décideurs et les acteurs.
Quel est le cadre général des réflexions du Cercle ?
Le thème de la réforme de l’Etat existe depuis des décennies. Il peut avoir l’air d’un serpent de mer ou d’une Arlésienne. Il est cependant aujourd’hui plus crucial que jamais. La dépense publique, c’est plus de la moitié du PIB, la fonction publique 5,7 millions d’emplois. Donc une part déterminante de l’économie et de la société. Dans un tel contexte, pas de bonne santé possible pour le pays sans Etat efficace et prévoyant. Et sans un Etat qui, tout en se gardant d’être omniprésent, soit une ossature solide du corps social.
Les administrations se sont largement modernisées, sont passées par exemple en bonne partie au numérique. Mais « modernisation » ne veut pas dire « réforme », adaptation et transformation en profondeur. Il ne suffit pas non plus d’empiler des mesures, voire d’apporter plus d’argent, les faits le montrent. A l’évidence, beaucoup de politiques publiques fonctionnent mal. Pour les usagers on voit les problèmes de complexité et d’accessibilité, pour les administrations et les agentsles problèmes d’attractivité et de management.
Il ne faut pas se résigner mais analyser et trouver des chemins.
Quels sont aujourd’hui les principaux thèmes de travail du Cercle et de manière plus générale les axes nécessaires de réforme de l’Etat ?
Il y a des problèmes aux différents stades de l’action publique.
En amont, la capacité d’anticipation : Dès une note de janvier 2020, intitulée « L’Etat face aux crises qui viennent », nous avons appelé à reconcevoir et réarmer l’Etat pour l’adapter à ce « temps des crises », qui exige d’abord de les anticiper pour les éviter ou en limiter la portée ; des progrès ont été faits mais l’impression demeure que l’Etat court souvent de crise en crise.
Ensuite les modes de décision : Nous avons par exemple présenté des analyses sur le recours de l’Etat aux consultants et travaillons sur le rôle potentiel des conseils généraux et inspections générales pour une réinternalisation de certaines prestations de conseil et d’accompagnement.
Mais aussi l’aptitude à agir : Nous venons de consacrer une note en avril et une tribune en mai à la capacité de l’Etatà mettre en œuvre le nombre considérable de projets complexes envisagés pour réaliser notamment les grandes transitions, un nombre sans commune mesure avec ceux de ces dernières décennies.
La gouvernance de ces transitions : Le Cercle a publié en 2021 et 2022 des notes sur la stratégie numérique publique et en mai 2022 une note « Gouvernance de l’écologie : alerter et construire » qui dégageait 50 propositions ; dans ces deux domaines, il y a eu une prise de conscience et des progrès ; nous sommes en train d’actualiser les diagnostics mais constaterons sans doute qu’une grande partie du chemin reste à faire.
Le management : Les difficultés que connaissent nombre de grands services publics ont des origines multiples mais, de l’Education nationale à l’hôpital, aux EHPAD, à la police ou à la justice, on voit l’importance des problèmes de management. Des recettes de managériales ne suffisent pas. Il faut aller plus loin pour comprendre les facteurs et progresser.
Au plan social, la réforme de l’Etat ne peut faire l’impasse ni sur la situation difficile d’un grand nombre d’agents ni sur le problème de « l’ascenseur social » dans les fonctions publiques. On ne peut parler d’attractivité, de sens, de mobilisation des agents sans traiter dans le même temps ces sujets.
Le cadre budgétaire : la LOLF avait marqué une volonté de le réformer et, à travers lui, l’action publique. Manifestement le compte n’y est pas, il faut un profond changement. Nous travaillons à en proposer les axes.
L’évaluation des politiques publiques, qui se développe mais a encore trop peu d’effets sur l’action.
Les évolutions du travail à l’intérieur même des services publics font l’objet de réflexions du Cercle : sur le télétravail, nous avions publié en mai 2021 une note « télétravail et services publics : quatre défis à relever d’urgence ») qui demeure largement d’actualité. Nous publierons, sans doute assez prochainement, sur l’attractivité et sur les seniors.
Quels grands domaines de l’action publique intéressent le Cercle ?
Si l’on raisonne par grand champ de l’action publique, le Cercle cherche à travailler, méthodiquement, sur les domaines où l’Etat est particulièrement attendu par les Français -ainsi en 2022 deux publications sur la sécurité du quotidien, une générale et une sur le rôle majeur des acteurs locaux ; en matière d’éducation une note sur le numérique éducatif en novembre dernier.
Et dans le domaine sanitaire et social ?
Ce domaine est évidemment essentiel et les difficultés qui s’y manifestent ne sont pas seulement l’insuffisance des moyens mais aussi des problèmes de réforme de l’Etat.
Des problèmes de gouvernance : nous avons alerté sur celle du secteur des EHPAD dès le début de 2020, au tout début de la crise du COVID et alors que la situation dans ces établissements passait encore sous les radars. Nous avons présenté une analyse complète dans une note de mai 2021« Grand âge, EHPAD : sortir de l’inacceptable ». Il faut le redire : créer une « 5ème branche » ne suffit pas. Tant qu’il n’y aura pas une organisation, une gouvernance, de ce secteur, on restera dans l’inacceptable.
Problème de gouvernance aussi, même s’il est différent, dans le secteur sanitaire, y compris dans l’organisation du ministère de la santé et entre ce ministère et la CNAM.
Dans le secteur social, les modalités de la décentralisation, les changements successifs dans l’organisation des services déconcentrés de l’Etat, les réductions d’effectifs, ont conduit à une quasi-absence de services de l’Etat sans que soit organisé un relai sous l’égide de l’un des niveaux de collectivités territoriales et alors même que s’aggravent certains problèmes sociaux. Nous allons intensifier nos travaux sur l’organisation, la lisibilité et la qualité de la décision locale.
Pour en savoir plus: https://cerclereformeetat.eu/