Participatif
ACCÈS PUBLIC
27 / 11 / 2020 | 1284 vues
Didier Cozin / Membre
Articles : 167
Inscrit(e) le 23 / 07 / 2012

L'amende-abondement du CPF de 3 000 €, l'autre conte social en formation

Il nous est arrivé de qualifier le compte personnel de formation de conte de formation, un dispositif n'ayant pas pour vocation de développer la formation mais le sentiment de formation (« je suis inscrit et j'ai des heures donc je pourrai devenir plus compétent »). En matière d'illusion éducative, un autre pétard mouillé arrive à échéance : la gestion par l'employeur des six années de parcours professionnel et la sanction de 3 000 € de CPF en cas de manquement.

 

Pour la seconde fois, le Ministère du Travail s'apprête à repousser l'échéance des états de lieux de la formation.
 

Beaucoup d'entreprises l'espéraient ou s'y attendaient : l'obligation de production des preuves de bonne gestion des parcours de la formation des salariés va sans doute être une nouvelle fois repoussée (du 7 mars 2020 au 31 décembre 2020 et désormais jusqu'au 30 juin 2021).
 

Une inédite, complexe et conflictuelle obligation de formation lancée en 2014
 

En mars 2014 les pouvoirs publics avaient introduit une obligation de formation pour les employeurs (de plus de 50 salariés) dans la loi réformant la formation : sur six années, il fallait avoir organisé trois entretiens professionnels (donc tous les deux ans) et promu le salarié ou formé chacun des salariés.
 

Assortie d'une pénalité (« abondement correctif du CPF ») de 3 000 € par salarié, cette obligation est arrivée à échéance début mars 2020, puis le 31 décembre 2020 et enfin désormais le 30 juin 2021.

 

La logique de la réforme de 2014 était simpliste.
 

Sur six années, soit l'employeur avait joué le jeu du développement des compétences en faisant acquérir de nouvelles compétences à son salarié ou avait promu ce dernier (y compris via une augmentation individuelle de salaire), soit, n'ayant pas géré le parcours professionnel de son salarié, l'employeur devait lui donner les moyens de se former seul, via une double pénalité :

  • 3 000 € d'abondement du CPF versé à l'OPCA de la branche professionnelle,
  • 100 heures de droits supplémentaires au CPF, correspondant aux 3 000 €, abondés sur le CPF du salarié (qui serait passé de 150 heures à 250 heures, par exemple).
     

100 heures de formation sur 6 années, les employeurs à y être parvenus seront très rares.
 

La moyenne de formation en France est de 12 heures par an et par personne depuis vingt ans, le DIF (20 heures par an) et le CPF abondé correspondaient à un saut quantitatif de 50 % : 18 heures par an (100 heures sur six ans) mais bien peu d'employeurs auront su, voulu ou pu le réaliser. 
 

Depuis 2014, très peu d'entreprises en France ont développé la formation, perdant leurs financements mutualisés puis leurs OPCA et des dispositifs éprouvés ; elles ont plutôt désinvesti en formation.
 

Premièrement, cette obligation d'abondement tous les six ans ne concernait qu'une fraction de la population salariée : ni les salariés des TPME (moins de 50 salariés), ni les salariés précaires, ni les CDD, ni les saisonniers, ni les intermittents, ni tous ceux qui ne pouvaient se maintenir en poste six années chez un même employeur. Elle posait aussi de redoutables questions pour certains contrats de travail : les contrats repris par un nouvel employeur, les salariés multi-employeurs, les entreprises franchissant le seuil de 50 salariés ou, au contraire, perdant ce seuil, les salariés en CDI travaillant quelques heures par semaine...
 

Deuxièmement, cette obligation de formation était à géométrie variable (soit 2014, soit 2018), provoquant complexité, confusion et attentisme.


Les conditions assez floues et largement interprétables de 2014 ont été remplacées en 2018 par de nouvelles conditions, avec effet rétroactif. Pour éviter de futurs contentieux juridiques le Ministère du Travail a décidé que les entreprises pouvaient se soumettre soit aux obligations de 2014, soit  à celles de 2018, au cas par cas et salarié par salarié (droit d'option). On aura évidemment du mal à comprendre que deux collègues de la même entreprise soient traités différemment, selon le bon vouloir (ou l'intérêt) de leur employeur.

 

Dans la plupart des entreprises, aucune pénalité ne sera vraisemblablement provisionnée ni payée.
 

  • La crise du covid-19 a changé la donne financière. Dans le contexte de crise actuel, beaucoup d'entreprises sont en situation précaire, endettées et avec des comptes durablement dégradés. Via le chômage partiel, l'État s'occupe des paies et règle les cotisations sociales ; on ne l’imagine pas réclamant des amendes représentant des centaines de milliers d'euros (voire parfois des millions) à des entreprises exsangues et déstabilisées par la crise.

     
  • En choisissant l'individualisation du versement des 3 000 € en 2018, les pouvoirs publics ont pris le risque de provoquer un contentieux durable (infernal) en entreprise avec le personnel et ses représentants. Des IRP pourraient faire un moyen de pression ou de lutte sociale du règlement de cette pénalité.

 

  • Cette individualisation de l'amende de CPF aurait aussi pour conséquence de geler sur des sommes considérables sur les CPF, rassurant peut-être ses bénéficiaires mais rarement utilisées à bon escient, représentant un livret de caisse d'épargne factice ou, pire encore, une occasion de détournement pour des escrocs œuvrant dans le secteur de la formation. Il y a quelques années, une grande entreprise américaine avait eu la surprise de découvrir que les chèques de formation dont elles avaient doté certains salariés avaient fait l'objet de détournement par ces même salariés.

     
  • Les critères de bonne gestion des parcours étant parfaitement subjectifs et fluctuants (loi de 2014 ou de 2018), il y a fort à parier que le contrôle de l’obligation (qui revient aux DIRECCTE puis à l'URSSAF à partir de 2022) sera impossible à mettre en œuvre (pour des centaines de milliers de cas individuels de travailleurs).

     
  • L'auto-déclaration pour la pénalisation de l'employeur, elle, incitera les employeurs à faire le gros dos, à se déclarer conformes ou encore à négocier des arrangements avec les salariés ou leurs représentants.
     

Le nouveau report de l'obligation de formation laisse présager un futur abandon, discret, de cette obligation mal construite.
 

On ne change pas une société par décret, comme l'a jadis démontré Michel Crozier. Les tentatives du législateur pour relancer la formation sont à la fois naïves, impuissantes et inconséquentes. Que ce soit avec le DIF en 2004, le CPF horaire en 2014, le CPF monétarisé en 2018 ou l'obligation de gérer les parcours de formation, les pouvoirs publics se heurtent à un mur éducatif dont bien peu mesurent la hauteur, l'épaisseur et la résistance.
 

Pour relancer l'économie et la formation en 2021, il faudra plus que des injonctions paradoxales, des bonnes résolutions (une nouvelle loi tous les quatre ans) ou des imprécations (« formez-vous, c'est bon pour votre travail ») mais une refondation des éléments constitutifs du travail dans notre pays...

1) La durée du travail avec un nouveau temps consacré aux apprentissages, égal à 10 % au moins du temps travaillé (150 heures par an environ, soit 12 heures par mois) et une utilisation des RTT pour cela.

 

2) Les moyens de se former et de former : en moyenne, les congés payés coûtent 14 % de la masse salariale aux entreprises, la formation ne pèse que 1 (le 1% symbolique introduit en 1971) à 3 % (au mieux) de la même masse salariale. À l'avenir, il faudra rééquilibrer entre les dépenses liées aux congés et celles liées à la formation. Sans travail, il n'y aura plus de congé et le travail dépendra de plus en plus des efforts intenses de chacun pour se former.
 

3) Le code du travail : dans le Code du travail, la formation est très marginale. Reléguée dans sa sixième partie, seule la mission de faire progresser chaque travailleur (sur plus de 40 années de carrière) d'un niveau de qualification lui est confiée. C'était adapté dans le contexte des années 1970 (lorsque la formation s'appelait « promotion sociale » ou « école de la seconde chance ») mais plus désormais s'il faut se former tout au long de la vie (intitulé des lois de 2004 et de 2009, malencontreusement abandonné en 2014).

Comme le disait Jacques Delors dans un livre blanc de la Commission européenne en 1997 (« L'éducation, un trésor est caché dedans »), nous ne pourrons regagner ce trésor qu'avec de très grands et durables efforts d'éducation et de formation.

Pas encore de commentaires