La responsabilité sociale des entreprises (RSE), un apport limité voire contreproductif à l’amélioration réelle des conditions de travail ?
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) également appelée responsabilité sociale des entreprises est définie par la commission européenne comme l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. Elle est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. Une entreprise qui pratique la RSE va donc chercher à avoir un impact positif sur la société tout en étant économiquement viable.
Les discours actuels sur la RSE devraient nous faire croire que cette notion est pleinement liée à l’amélioration des conditions de travail .
Comme exemples , la « RSE permettrait entre autres :
- D'optimiser la marque employeur de l'entreprise, c'est-à-dire d'améliorer son attractivité et donc d'attirer plus facilement de nouveaux candidats et talents ;
- De fédérer les salariés, d'encourager leur implication et faire attention à leur motivation : quand un salarié adhère aux valeurs de son entreprise, il a d'autant plus envie de participer à son bon fonctionnement ;
- De favoriser le bien-être des salariés via plus de responsabilité environnementale et sociale. La diversité, l'éthique ou encore l'égalité sont des notions clés de la RSE. Plus concrètement, la mise en place d'une démarche RSE, c'est aussi instaurer plus de télétravail, faire plus attention au confort des salariés et à leur santé… »
Ou « Le mouvement en faveur de la RSE, qui a pris son essor en France dans les années 1990, s’appuie sur un des éléments clés de la performance de l’entreprise : l’optimisation des conditions de travail des collaborateurs. Il s’agit pour une entreprise ou une organisation de respecter l’intégrité de ses collaborateurs en favorisant les relations qu’ils vont pouvoir entretenir avec les autres et en leur donnant les moyens pour effectuer leur travail, tout en leur permettant de progresser pour leur bien-être physique et mental ».
En fait, il n’en est rien…
Dans un article éclairant paru dans la « revue de droit du travail » de juin 2022 (n°06 – C CASSE,V PUEYO, P BEGUIN, ergonomes) est analysé l’impact réel du déploiement de la RSE sur la gestion, le travail et la santé .
Sous le terme générique « RSE » se cache en fait différentes formes concrètes : « une RSE cosmétique » (exemples : des actions de tri , de gestion des déchets, des partenariats avec des associations comme le Téléthon), une « RSE annexe ou périphérique » c’est-à-dire sans rapport avec les compétences métiers et les activités de l’entreprise (par exemple le mécénat, des filiales qui travaillent sur des problématiques de développement durable), la « RSE intégrée » qui vise des actions en lien fort avec le cœur de métier de l’entreprise et en fin la « RSE Bop » (pour « bottom of the pyramid » )visant des actions situées dans des pays tiers visant des consommateurs potentiels les plus démunis.
La « RSE intégrée » vise une nouvelle forme de gouvernance en intégrant des indicateurs sociaux et environnementaux . L’entreprise produit alors des codes, chartes, normes de bonnes conduites, de normes sociales qui imposent des comportements aux salariés dans des domaines fort différents tels que le respect des lois et règlements, les conflits d’intérêt, les liens avec les fournisseurs, la non-discrimination, l’accompagnement social des restructurations, etc.
Si certaines règles vont dans le sens de la protection des travailleurs (la non-discrimination), la RSE entraine en fait une extension et une diversification des prescriptions qui s’imposent aux travailleurs.
La mise en place de la RSE n’est pas garante de meilleurs relations sociales et de meilleures conditions de travail, voire comporte certains risques. Les chartes et codes de bonne conduite s’imposent comme règles normatives qui dictent les comportements de conformité qui viennent s’ajouter aux exigences de qualité , de sécurité, de production.
Des études relevées par cet article ont montré une dégradation du rapport social (perte de sens de l’objet de la démarche, une intensification du travail par l’augmentation des contraintes supplémentaires sans ressources supplémentaires, l’apparition d’un discours de légitimation de cette intensification autour des enjeux de mobilisation de la RSE) .
Elles démontreraient également que les entreprises qui mettent en place des dispositifs de RSE ne seraient pas celles où les salariés seraient en meilleure santé même si elles ont moins d’accidents de travail que les autres. Il y aurait donc coexistence dans ce type de modèle entre une organisation responsable vis-à-vis de la Société et la diffusion de nouvelles techniques de management qui tendent à détourner les exigences de responsabilité sociale par une (sur) valorisation de la responsabilité individuelle. On assiste en effet à un report sur les individus des charges et risques inhérents aux activités économiques ( injonctions contradictoires, processus d’autoévaluation et formes d’autonomie qui ne permettent pas aux personnes de s’appuyer sur des règles externes pour s’en sortir) .
Des effets pervers touchent non seulement la « base » mais aussi les « managers » qui voient leurs outils de gestion se complexifier. La RSE mise en place dans beaucoup d’entreprises s’appuie sur des modes de pilotage séquentiels et verticaux qui ne remettent pas en cause les modes de gestion classiques.
A examiner les politiques « RSE » médiatisées, force est de constater que la question de l’amélioration des conditions de travail des travailleurs de l’entreprise est peu abordée alors même que les modèles actuels de management tendent à leur hyper responsabilisation individuelle.