Instaurer une garantie d’équité entre métiers et reconstruire un véritable mécanisme d’ascension salariale dans la fonction publique
Avec Emilie Agnoux et Noam Leandri (*) nous avons présenté dans une récente tribune au « Monde », quelques propositions, en faveur d’une politique salariale juste, ce qui rendrait la fonction publique plus attractive.
Les politiques de rémunération des fonctionnaires ont principalement évolué selon deux objectifs depuis le début des années 2000, surtout depuis 2007 avec la révision générale des politiques publiques (RGPP). D’une part, les évolutions salariales ont été couplées à la maîtrise des dépenses publiques. D’autre part, la volonté a été de transformer l’architecture de la rémunération des fonctionnaires en allant d’une rémunération d’une fonction publique de la carrière, tenant compte du grade, vers une fonction publique de l’emploi, orientée vers le métier.
Le premier objectif a été rempli par le gel de la valeur du point d’indice pendant de très nombreuses années, ce qui a notamment entraîné une perte de pouvoir d’achat pour les agents publics et soulève aujourd’hui de réels problèmes d’attractivité des métiers des services publics. Le second objectif est un quasi-échec. La complexité des mécanismes de rémunération rend l’architecture peu lisible, peu attractive et peu incitative, dès lors que les classifications par métier – répertoire des métiers dans la fonction publique territoriale (FPT) et dictionnaire interministériel des métiers et des compétences dans la fonction publique de l’Etat (FPE) – se superposent aux grades sans être couplées aux enjeux salariaux.
Ces effets provoquent une insatisfaction salariale. Ainsi, 41 % des agents publics s’estiment mal payés contre 35 % des salariés du secteur privé. Pourtant, le salaire moyen dans la fonction publique est proche du salaire moyen dans le secteur privé (2 320 euros nets contre 2 424 euros nets dans le secteur privé). Mais l’existence de très fortes disparités entre fonctions publiques, entre catégories et entre les femmes et les hommes exacerbent l’insatisfaction salariale.
Les mesures sectorielles renforcent les inégalités
A ces disparités s’ajoutent une complexité technique, une perte de pouvoir d’achat (partiellement compensée par les déroulements de carrière) et une faible dynamique au regard des qualifications et expériences acquises. Certes, ces effets ont essayé d’être corrigés par des mesures sectorielles (Ségur de la santé, Grenelle de l’éducation, Beauvau de la sécurité…) ou par des dispositifs spécifiques (garantie individuelle du pouvoir d’achat, part grandissante du régime indemnitaire, dont le montant de cotisation pour la retraite est plafonné à 20 % du traitement indiciaire).
Ces mesures sectorielles et ces dispositifs correctifs renforcent les inégalités entre agents et l’illisibilité des rémunérations. Elles n’ont par ailleurs pas évité le tassement des grilles et la démotivation qui s’ensuit. Le tassement des grilles est provoqué par les augmentations du smic, qui progresse plus vite que le salaire moyen de la fonction publique. Ainsi, l’effet de rattrapage des hausses du smic par les grilles indiciaires fait que les quatre premiers échelons de la catégorie C et les premiers échelons de la catégorie B sont rémunérés au smic, soit plus de 600 000 fonctionnaires.
Cette situation provoque un sentiment de stagnation pour les agents en début de carrière et engendre pour les plus anciens une très forte réduction du différentiel salarial lié à l’ancienneté. Ce sentiment de déclassement renforce la démotivation. Depuis des années, on assiste à des revendications sectorielles et non à l’envie réelle de réformer dans son ensemble et ce, alors que le système actuel n’offre ni visibilité aux employeurs publics ni un contrat de confiance aux agents publics.
La problématique de l’attractivité salariale des métiers
La question de la rémunération renvoie à la problématique du pouvoir d’achat dans un contexte d’inflation mais surtout à la considération que les pouvoirs publics accordent aux agents publics. Cantonner la politique salariale à la maîtrise des dépenses publiques témoigne malheureusement de l’absence de politique RH ambitieuse.
C’est pourquoi le prochain quinquennat doit lancer un véritable chantier salarial dans la fonction publique, dépassant préjugés et tabous. Depuis une quinzaine d’années, à la désindexation des salaires s’est ajouté le gel de la valeur du point. Si l’on veut conserver une fonction publique attractive, le retour de l’inflation doit réinterroger cet arbitrage politique et admettre la pertinence d’une formule d’indexation des salaires sur la base d’un indicateur partagé pour éviter les à-coups salariaux.
Pour répondre à la problématique de l’attractivité salariale des métiers et pour faire face aux nombreux départs à la retraite des prochaines années, il faut instaurer une garantie d’équité entre métiers et reconstruire un véritable mécanisme d’ascension salariale au cours de la carrière. Les grilles indiciaires, du fait de leur obsolescence, ne remplissent plus cet objectif.
Pour une politique de rémunération juste et motivante
Par ailleurs, réinterroger l’architecture des rémunérations renvoie à la question de la rémunération à la performance collective. Cette faculté, ouverte par la loi à travers le complément indemnitaire annuel, pourrait, en se fondant sur des critères négociés avec les partenaires sociaux, selon des objectifs collectifs, constituer un levier managérial important permettant d’instaurer l’équivalent d’un intéressement collectif dans la fonction publique.
Enfin, le chantier salarial du prochain quinquennat devra traiter de la correction des inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Si les causes sont multiples (temps partiels majoritairement féminins, interruptions de carrière avec incidences sur les trajectoires salariales, plafond de verre…), les conséquences sont toutes les mêmes, écarts salariaux et moindres pensions de retraite.
Sans céder aux sirènes de l’individualisation des rémunérations, les enjeux sont nombreux pour déterminer une politique de rémunération juste et motivante, dès lors que l’on souhaite conserver une fonction publique attractive et des services publics de qualité.
(*) Emilie Agnoux (Directrice générale adjointe de Grand Paris Sud Est Avenir), Noam Leandri (Secrétaire général de l’ADEME) et Johan Theuret (Directeur général adjoint de la ville et métropole de Rennes)