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31 / 12 / 2019 | 276 vues
Didier Cozin / Membre
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France, le sentiment d'une formation pour tous

En lançant avec force de moyens de communication un Compte Personnel de Formation monétisé et désintermédié le Ministère du Travail pourrait bien avoir initié un nouveau concept éducatif proprement hexagonal : le sentiment de formation


Les travers de la formation en France sont connus et répertoriés de longue date


1- Une école inéquitable et dépassée qui s'est à la fois coupée des apprentissages pour le XXIe siècle (apprendre à apprendre, s'adapter, être curieux et entreprenant), des familles (considérées comme des incompétentes) et des entreprises (supposées exploiteuses)
2-Un apprentissage dans le secteur privé concurrencé par les lycées professionnels (qui bien que trappes à chômage consomment au total 1/4 des budgets de la formation professionnelle) 
3- Un système de formation à la fois inéquitable (comme l'école publique) et participant très marginalement à une promotion sociale ("l'ascenseur social") en panne sèche depuis 40 ans


Les réformes de la formation de 2014 et de 2018 ont introduit un dispositif fantasmé par les partenaires sociaux et désormais nationalisé : le Compte(ur) Personnel de Formation (CPF) 



Ce CPF, censé être le phare ou le pilier des réformes de la formation (2004, 2014, 2018) est à la fois un dispositif impensé, non financé et complètement improvisé dans son fonctionnement et ses modalités de réalisation (via un développement prétendument "agile" par la CDC).


Le CPF proclame "sécuriser les parcours" (version 2014) ou octroyer la "liberté de choisir son avenir professionnel" (version 2018)


Le problème avec le CPF est triple et malheureusement aucun ajustement ou correction ne permettra sans doute de rendre ce dispositif universel, utile et performant.

a) Le CPF est strictement personnel et individualiste
 ("mon compte formation") alors que ce qui distinguait principalement (pour les travailleurs en poste) la formation de l'école c'était le projet professionnel partagé (et donc l'employeur et l'entreprise support) le CPF prétend évincer l'employeur (un peu moins en 2020 qu'en 2014). 


 

  • Un titre nouveau (CQP, certification) un diplôme ou une VAE n'ont de valeur que s'ils sont discutés, négociés, construits et développés avec l'employeur ou le manager. C'est exactement l'inverse qu'a prétendu réaliser le CPF en 2014 (compteur personnel) et en 2018 (CPF sans intermédiaire).
     


b) Le CPF n'est pas financé. Le CPF omet de régler le volet financement des dispositifs de formation. Il en est resté au système assurantiel qui prévaut depuis 1971 (tous les employeurs cotisent et une faible proportion de travailleurs se forme)
La "monétisation" du CPF (sur une base universelle de 500 €/an par travailleur) repose sur une micro-cotisation employeur de 0,2% de la masse salariale (payée par les seules entreprises de plus de 10 salariés).


Chacun disposerait donc miraculeusement d'un droit de 500 €/an avec en face une modeste cotisation d'environ 45 €/an ! 
Sachant que le CPF reprend les droits anciens du DIF depuis 2004 et du CPF depuis 2014 il manque donc à ce dispositif environ 95 % des montant qu'il prétend épargner pour tous (y compris désormais les travailleurs indépendants, les jeunes sans qualification, les chômeurs et bientôt les fonctionnaires).


c) Le CPF est un pseudo livret d'épargne qui ne sécurisera personne
. Rien ne prédisposait la Caisse des dépôts (institution plus que bicentenaire) à organiser et déployer un service universel prétendant tout (mal) faire en formation : comptabiliser les € de formation du privé, les heures de formation du public, recenser et aider à sélectionner la quasi-intégralité de l'offre de formation de France (300 000 sessions, 10 000 organismes de formation) , inscrire des centaines de milliers de stagiaires chaque mois en formation et même effectuer le règlement financier (automatisé) des formations (sans contrôle possible du service rendu).


Dans la société de la connaissance la formation n'est ni la reproduction de l'école ni un livret de caisse d'épargne (de précaution)
.


Alors que la Ministre du travail a déclaré très justement que "50 %des fonctions vont être impactées par l'intelligence artificielle....chaque individu doit se former l'équivalent des 105 heures d'ici 2022 pour maintenir son employabilité .... la montagne formation va encore accouché d'une souris qui permettra au mieux à 1 ou 2 % de Français supplémentaires de se former chaque année


En stockant de virtuels euros pour leur formation les Français reconsituent une ligne Maginot, celle des apprentissages
.


Depuis la première réforme de la formation (loi du 4 mai 2004) le monde du travail (privé et public confondu) a laissé se creuser une dette éducative qui s'élève entre 50 et 100 milliards d'euros (15 années de cumuls de droits à la formation dans le privé, 13 années de cumul dans les 3 fonctions publiques, 3 millions de chômeurs à requalifier). Ces montants énormes jamais investis dans la formation (la formation à la différence des machines ou des terrains n'est pas considérée fiscalement comme un investissement mais comme une simple dépense courante) n'ont pas été économisés par le système, simplement sacrifiés sur l'autel des dépenses courantes (salaires, pouvoir d'achat, cotisations sociales...). 


Aujourd'hui si la France a perdu tant de terrain économique (l'industrie représente 10 % de la valeur ajoutée du pays contre 20 % au début du XXIe siècle) c'est à la fois parce que nous nous refusons à changer de modèle social (un modèle fait d'indemnisations et de réparations plutôt que de préventions et d'anticipations) et parce que le volet formation tout au long de la vie (on apprend à tout âge, y compris au-delà de la vie active) n'a jamais été sérieusement imaginé ni évidemment déployé.

 


L'illusion formation n'aura qu'un temps dans la société de la connaissance


Les indicateurs PIAAC de l'OCDE (l'équivalent de PISA mais pour les adultes de 16 à 64 ans) nous classent au 25e rang pour les compétences des travailleurs, loin derrière la plupart de nos partenaires européens (Grèce et Italie mis à part) et il est évident que nous pourrons difficilement prétendre nous maintenir dans le top 10 des grandes économies mondiales avec une population peu et mal formée, un temps et une durée totale de travail réduits mais jamais consacrés aux apprentissages. Si comme l'explique le Word Economic Forum chaque Français au travail doit se former l'équivalent d'une centaine d'heures d'ici 2 ans (soit 50 heures par an) il faudra trouver en 2020 et 2021 à la fois ces 50 heures annuelles par personne (7 jours de RTT) mais aussi 1 000 €/an pour les 30 millions d'actifs soit 30 milliards d'euros, l'équivalent du total des dépenses formation de notre pays.

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