Fontenoy du maritime : sous la concertation, le risque de nouvelles déréglementations
Par le biais du « Fontenoy de la mer », la concertation organisée dans le secteur maritime jusqu'au mois de juin, les professionnels redoutent l’arrivée de nouveaux allègements de contraintes au bénéfice des armateurs.
Quelle est la finalité du Fontenoy de la mer, dont le nom a été emprunté à la place parisienne où se situait autrefois le siège de la marine marchande ? Pour Étienne Castillo, secrétaire fédéral du secteur maritime et portuaire de la fédération FO de l'équipement des transports et des services (FEETS), ce rendez-vous lancé par le Ministère de la Mer à la demande du patronat et les armateurs porte certaines craintes.
Après déjà une quarantaine d’audits, notamment de syndicats, dont FO (4e organisation dans l’ensemble du secteur maritime), le Fontenoy va se poursuivre par des concertations sur quatre thèmes : le développement économique et la compétitivité du pavillon national, le rayonnement du pavillon français et sa souveraineté, la transition énergétique des navires et son lien à l’écosystème industriel et la feuille de route sociale du marin et du pavillon français.
De cette concertation qui vise à élaborer un plan stratégique du maritime, un projet pourrait découler de loi, indique Étienne Castillo tandis que, au nom de la compétitivité, le patronat du maritime demande toujours un abaissement du coût d’exploitation des navires. C’est notamment cela qui inquiète.
La lutte contre le dumping social sur les mers du globe
Lors d’un récent colloque organisé par le Cluster Maritime français (sorte de lobby patronal, regroupant beaucoup d’armateurs indique le militant), l’objectif d’un million d’emplois dans le maritime a été annoncé. Au-delà de rappeler les promesses du MEDEF assurant de la création d’un million d’emplois contre le bénéficie du CICE pour les entreprises en leur temps, la fédération voit dans cette déclaration des effets d’annonce opportunistes, garnis d’un discours libéral et qui s’attaquent à la réglementation du travail, considérée comme l’unique barrière à la création d’emplois. Or, sur fond de crise, l’heure est plutôt à la sauvegarde des armements et des emplois qui vont avec.
Alors que l’économie maritime compte 200 000 emplois, l’effectif de marins (certes stable sur quinze ans) n’a cessé de dégringoler au fil des décennies. On compte actuellement 40 000 marins (dont 43 % dans le secteur de la culture marine/conchyliculture). Seulement 16 000 (dont près de la moitié d’officiers) naviguent au commerce.
Or, sur le plan mondial, le secteur maritimeest depuis longtemps le fer de lance de déréglementations entraînant un dumping social massif. En France, les syndicats ont dû âprement lutter pour freiner les velléités patronale.
Le RIF doit rester un pavillon de complaisance
Entre autres choses, le Fontenoy inquiète par l’accent qu’il met sur la question du pavillon (la nationalité des navires), lequel se décline pour la France en deux principaux registres : le premier est le pavillon français classique et le second, créé en 2005, est le registre international français (RIF). Le pavillon bis créé en 1986 l'avait précédé.
Le RIF bénéficie d’une moindre réglementation, offrant notamment aux armateurs la possibilité de recruter des marins étrangers (qui composent alors la quasi-totalité de l’équipage), dans des conditions sociales inférieures.
Cela avait mené la Fédération internationale du transport (ITF) à classer le RIF (sous lequel naviguent 3 à 4 000 marins français) en pavillon de complaisance (« flag of convenience » ou FOC).
Or, soutenue par la recherche permanente des armateurs d’un abaissement du coût du travail, la menace d’une banalisation et d’un déclassement du RIF en levant nombre de barrières qui lui avaient été mises est réelle. Les armateurs en profiteraient alors pour accroître la flotte sous RIF, s’inquiète Étienne Castillo. À terme, il risquerait de se substituer au pavillon générique français, accusé d’avoir trop de contraintes sociales par un patronat arguant que le marin français coûte toujours trop cher, même en France. Pour la FEETS , il est impératif que le RIF reste un pavillon de complaisance.
Pavillon de complaisance, pavillon de la honte
Il y a vingt ans, 63 % de la flotte mondiale au commerce était sous pavillon de complaisance ; aujourd’hui, 75 %. C’est dire l’attractivité de ce système pourtant de sinistre réputation sur toutes les mers du globe et alors que le trafic maritime a doublé en vingt ans.
Pavillon des Bahamas, du Libéria, du Panama etc. Les navires qui battent pavillon de complaisance (plus d’une quarantaine) affichent une immatriculation qui ne correspond pas au pays où le propriétaire du bâtiment se situe réellement. Pour les armateurs, immatriculer sous « flag of convenience », dans des pays considérés comme des paradis fiscaux, procure justement des avantages fiscaux mais aussi des contrôles réduits, notamment en matière de sécurité du navire et, cerise sur le gâteau, la possibilité d’un recours à une main d’œuvre à bas coût.
Depuis une cinquantaine d'années, cet allègement de contraintes pour les armateurs mène à une multiplication de ces pavillons que la fédération internationale des ouvriers du transport a souvent qualifiés de pavillons de la honte. Et pour cause : au risque de naufrages, parfois doublés d’une catastrophe écologique (l’Amoco-Cadiz en 1978, l’Erika en 1999, le Prestige en 2002, le Wakashio en 2020…), beaucoup de ces navires sillonnent les océans malgré un état de fonctionnement déplorable dû à l’insuffisance (voire l’absence) d’entretien par leurs propriétaires (parfois associés, selon des montages financiers nébuleux).
L’action essentielle de l’ITF
Cela s’accompagne en général de conditions de vie dangereuses à bord et de conditions sociales désastreuses pour des marins, recrutés via des sociétés de prêts de main d’œuvre, payés au lance-pierre quelques dollars de l’heures, et quand ils le sont. S’ils se plaignent, cela peut mener à des mesures de rétorsion une fois de retour à quai et au risque de ne jamais retrouver d’embarquement. Signalons aussi que chaque année, des marins laissent leur vie sur ces poubelles des mers. C’est pour eux que l’ITF (présente dans 150 pays et regroupant 700 syndicats ) œuvre par ses contrôles sur les conditions sociales à bord. Elle récupère aussi parfois les salaires et arriérés. Plus largement, la fédération internationale travaille à négocier des accords avec des organisations internationales (dont employeurs maritimes et agences de recrutement) pour garantir des normes et conditions minimales pour les gens de mer.