Energie : réformer quand c'est nécessaire
Réforme de la régulation avec la fin de L’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique), réforme du marché européen avec l’arrêt de la concurrence dans le secteur de l’énergie et retrait de la réforme des retraites : voici ce que l’on peut souhaiter pour cette nouvelle année! Après une très mauvaise année 2022 pour les comptes et l’outil de production de notre entreprise (sécheresse dans l’hydraulique, problèmes de corrosion sous contrainte dit « CSC » et report calendaire de la maintenance du parc nucléaire), celle qui nous attend devrait vraisemblablement être meilleure.
A minima, nous aurons quelques nouveautés réglementaires plus positives pour notre avenir, avec d’une part l’application des lois d’accélération des ENR et du nucléaire et d’autre part la proposition de loi de nationalisation d’EDF, présentée le 9 février prochain à l’Assemblée nationale.
Pourquoi une proposition de loi de nationalisation d’EDF ?
Les députés redoutent les projets du gouvernement et de la Commission européenne visant au découpage de l’entreprise intégrée et à tout ce que cela peut entraîner de négatif, notamment pour le contribuable et la facture du consommateur.
Par cette loi, ils souhaitent rendre le capital d’EDF incessible, rendre EDF définitivement à la collectivité nationale et sanctuariser le modèle d’entreprise intégrée allant de la production à la commercialisation, au service de tous les Français. Ils veulent ainsi qu’EDF se retrouve protégée de toutes velléités de démantèlement de type Hercule bis ou «Grand EDF», et puisse assurer avec sérénité un service public de qualité pour les consommateurs français. La proposition de loi proposée ne se réduit plus à une simple étatisation comme c’est le cas dans l’OPAS toujours en cours.
Cette étatisation n’empêche en rien le futur démantèlement de notre belle entreprise, contrairement à une loi de nationalisation.
Une OPAS à durée étrangement indéterminée…
L’OPAS n’a pas suscité l’enthousiasme escompté chez les actionnaires d’EDF qui ont montré une réticence certaine à apporter leurs actions. Il faut dire que de nombreux actionnaires ont trouvé le prix proposé de 12 € trop bas au vu du potentiel de l’entreprise et se sont sentis floués par l’offre de l’État. Cette OPAS vient tout juste d’atteindre le seuil de 90 % le 19 janvier dernier, seuil nécessaire au retrait de la cote, mais au prix de combien d’efforts?
La clôture de l’OPAS a dû être reportée depuis son ouverture le 24 novembre 2022, prouvant le peu d’intérêt des actionnaires minoritaires. Toutefois, même si le seuil fatidique de 90 % est désormais atteint, cela ne signifie pas pour autant que le retrait obligatoire va se faire rapidement. Il faudra prendre en compte les démarches en cours comme le recours en justice du Conseil de Surveillance du fonds Actions EDF ou encore la proposition de loi de nationalisation.
L’État devrait donc lancer le retrait obligatoire d’ici mai prochain, si la recevabilité de l’OPAS (décidée par l’AMF) est confirmée, à la suite de l’audience prévue le 23 mars prochain à la cour d’appel de Paris. Quant au prix de l’action, il a été fixé à 12 € par l’OPAS en intégrant divers paramètres… essentiellement valables que sur la seule année 2022. Or, ces paramètres sont susceptibles d’évoluer significativement dans les prochains mois et années.
Le contexte sera forcément meilleur dans 2 ans avec la résolution de la crise « CSC », l’évolution des opérations de Grand Carénage et pourquoi pas une météo plus favorable à la production hydraulique. Le prix de l’action a été établi à la pire période de l’histoire d’EDF, ce qui interroge sur sa valorisation. C’est peut-être aussi pour cette raison que la proposition de loi de nationalisation comporte un prix plus élevé par action, à savoir 14 € au lieu de 12 €.
Et après l’OPAS… si elle réussit effectivement ?
L’État deviendrait le seul actionnaire, ce qui lui permettrait de mettre en place sa propre stratégie. Celle-ci sera dévoilée au printemps prochain par notre nouveau PDG, M. REMONT, à qui sa feuille de route a été récemment transmise par la Première ministre, Mme BORNE. L’objectif principal assigné à M. REMONT est de «faire du watt» et d’améliorer «la performance opérationnelle et financière»! Or, cette feuille de route semble oublier le paramètre humain et social. La performance opérationnelle ne peut se réaliser qu’avec le personnel de l’entreprise.
Rappelons que c’est cet investissement qui a permis d’éviter le black-out hivernal, médiatiquement annoncé comme inéluctable : non seulement en raccordant un maximum de réacteurs au réseau, mais aussi en faisant progresser les techniques et la R&D en matière de réparation des microfissures liées à la CSC, le tout en un temps record.
Pour réussir le redressement d’EDF, il faudra s’appuyer sur tout l’écosystème social de l’entreprise et le valoriser durablement. Il faudra être performant aussi bien en matière de dialogue social, de valorisation des compétences, de sécurité ainsi que de santé physique et mentale des salariés, en évitant de se focaliser seulement sur l’opérationnel et le financier. Les salariés restent soucieux du bon fonctionnement de leur entreprise, car ils sont encore attachés aux valeurs de service public.
Un retour en grâce salutaire du nucléaire
La feuille de route de Luc REMONT fait la part belle au nucléaire, tant cette activité d’EDF (comme bien d’autres) a été maltraitée par les décisions irresponsables des pouvoirs publics ces dernières années. La crise de l’énergie aura au moins eu cette vertu, c’est de mettre en lumière toutes les incohérences que notre secteur subit depuis des décennies…
Après des années de «nucléaire bashing», le projet de loi d’accélération du nucléaire signe un revirement total en faveur de la filière. Dans le cadre de ce projet de loi, le gouvernement a, en effet, déposé deux amendements inattendus, reléguant la loi de 2015, dite PPE, aux oubliettes, en supprimant notamment :
- Le plafonnement du parc national de production électrique à 50 % de nucléaire à horizon 2035.
- L’obligation de fermer 12 réacteurs nucléaires.
Les deux réacteurs Fessenheim ont malheureusement déjà été fermés en raison de considérations politiques partisanes.
Cette fois-ci, le message est passé auprès des parlementaires. Ils ont enfin ouvert les yeux sur la nécessité de retrouver des marges de manœuvre pour notre outil nucléaire, afin de pallier la crise énergétique et le manque de production pilotable. Ils avaient aussi oublié que les enjeux de compétitivité des entreprises françaises (mais aussi – on l’oublie trop souvent – des firmes étrangères énergivores qui décident de s’implanter dans l’Hexagone et d’y créer des emplois) reposent largement sur une énergie abondante et bon marché.
Or, ces dernières années, la régulation de notre secteur a progressivement dégradé cet atout français d’une énergie compétitive pour les entreprises et les consommateurs.
À telle enseigne que les parlementaires ont déclenché de nombreuses audiences auprès d’anciens politiques ou hauts responsables du groupe EDF, dans le cadre de leur enquête visant à établir «les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France».
Ces auditions ont eu le mérite de montrer l’effet catastrophique des mesures imposées par l’État, au nom de la concurrence européenne sur notre système électrique, comme celles de l’ARENH. Ce dispositif a affaibli notre entreprise, par une augmentation de la dette de 3 à 4 milliards € par an (et même davantage en 2022!) et nous a empêchés de développer les moyens de production nécessaires à l’équilibre du système électrique français. Plutôt que de remettre en cause l’ARENH, le gouvernement a préféré recourir dans l’urgence à un bouclier tarifaire temporaire pour protéger les Français, ou du moins essayer.
Non, l’ARENH n’est pas un bouclier tarifaire !
Notre ministre de la Transition énergétique, Mme Pannier Runacher, déclarait le 31 octobre dernier que l’ARENH était un mécanisme qui bénéficiait au consommateur final : cela est faux, voire mensonger! Il s’agit avant tout d’un engagement de l’État auprès de la Commission européenne pour faire émerger la concurrence dans le secteur de l’électricité en France.
N’en déplaise aux théoriciens bruxellois du libéralisme, rappelons que cette concurrence est artificielle, car elle n’a pas permis l’émergence de producteurs de moyens pilotables d’électricité, mais seulement de revendeurs d’électricité… à qui EDF se devait de revendre à un prix fixe (ne couvrant pas tous ses coûts) une part croissante de sa production.
Certes, l’ARENH a bien ainsi permis aux fournisseurs alternatifs de caler leurs prix sur le tarif réglementé de vente (TRV) pour les particuliers et petites entreprises, mais avec quelles conséquences pour EDF et pour les Français?
L’ARENH est bel et bien un régime d’aides d’État aux alternatifs, et cela au détriment d’EDF et donc des consommateurs. Sur ce point, deux réflexions s’imposent :
- Est-ce que des opérateurs comme Shell, Engie, ENI, Iberdrola ou TotalEnergies ont réellement besoin d’ARENH pour «survivre»?
- Est-il normal que des fournisseurs alternatifs accumulent des bénéfices en revendant de l’électricité, achetée au prix préférentiel de l’ARENH, à leurs clients alors même que le bouclier tarifaire est financé par le contribuable et EDF?
L’enquête de la CRE pour pratique abusive envers Ohm Energie ou Mint Energie révèle parfaitement les conséquences néfastes de cet ARENH pour le consommateur. Revendre de l’énergie achetée bon marché à EDF pour le revendre au prix fort au consommateur est un véritable scandale.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un outil spéculatif au service d’opérations de trading et non d’un bouclier tarifaire. En effet, est-il normal que 70 % de l’électricité achetée par les concurrents d’EDF soit au prix de 42 € le MWh, alors que pour les 30 % restants ils bénéficient d’un tarif plafonné à 280 € le MWh, ce qui leur garantit des marges confortables.
Malgré les conséquences néfastes de l’ARENH, nous pensons que le gouvernement actuel pourrait conserver ce dispositif en l’état et ne faire que des changements cosmétiques, voire renforcer ses travers, afin d’accélérer encore plus la concurrence dans notre secteur. Il est possible qu’un prochain mécanisme soit tout aussi incohérent ou dommageable pour EDF.
Malgré ces doutes, nous espérons que l’État français saura obtenir de Bruxelles des avancées permettant à EDF d’assurer sa survie puis son redressement. Reste la question incontournable du financement du nouveau nucléaire avec ce handicap de l’ARENH ou d’un autre dispositif assez similaire…
Comment financer le nouveau parc nucléaire ?
Il s’agit du grand casse-tête du moment : comment minimiser le coût du capital et ainsi les coûts de l’électricité pour la collectivité en construisant de nouvelles centrales, tout en conservant l’ARENH ?
Il existe déjà des pistes de réflexion et certains modèles de financement à l’instar de ce qui se fait en Grande-Bretagne, notamment avec Sizewell C éligible au modèle de financement dit «base d’actifs régulés» (Regulated Asset Base ou RAB). Il s’agit de mécanismes de soutien public : le financement est assuré par des investisseurs privés auxquels le gouvernement garantit un prix pour l’électricité produite.
L’exemple anglais semble avoir inspiré le discours de Belfort du Président MACRON, mais également les déclarations plus récentes de la ministre de la Transition énergétique au Sénat le 11 janvier dernier : «Si nous proposons des contrats à 100 euros le mégawattheure (MWh), les entreprises s’en saisiront, car cet investissement répond à une demande d’électricité». De son côté, M. LE MAIRE, ministre de l’Économie, a rappelé que trois paires de nouveaux réacteurs EPR2 représentent près de 52 milliards d’euros d’investissement.
Ainsi, depuis l’annonce de la construction de 6, voire de 14 EPR2, et de 4 GW de petits réacteurs modulaires (small modular reactors ou SMR) correspondant au scénario énergétique n° 3 de RTE, l’État a déjà commencé à négocier des contrats long terme avec des investisseurs privés.
Nous le savons, la question du financement sera déterminante pour l’avenir de la filière nucléaire, de nos emplois et de nos conditions sociales.
Avec l’OPAS et l’étatisation qui en découlerait, il est en effet tout à fait possible que certaines activités soient revendues au secteur privé, morceau par morceau. L’autre possibilité serait de faire financer nos centrales par des acteurs privés, voire de les faire exploiter par ces mêmes acteurs. Il est tout à fait imaginable d’avoir d’autres exploitants qu’EDF sur le sol français pour les nouveaux EPR2, d’autant que le droit européen de la concurrence ne l’interdit pas. En contrepartie, ces investisseurs et/ou exploitants privés européens mettraient au pot pour la construction du nouveau parc nucléaire sur le sol français. Cela pourrait, en effet, être le moyen de résoudre le problème du financement de tels ouvrages sans que l’État n’ait à régler l’intégralité de la facture.
Nous le savons, outre une internationalisation coûteuse qui a globalement échoué, les finances d’EDF ont été asséchées par la politique de dividendes de l’État et par la régulation pendant des années, au point qu’elle n’a plus les moyens de financer le renouvellement de son parc nucléaire, pourtant nécessaire à la nation. Et, de son côté, l’État doit financer son bouclier tarifaire pour notamment continuer à maintenir les alternatifs (et enrichir via l’ARENH nombre d’entre eux)… I
l est donc urgent qu’EDF soit renationalisée et que l’État français dise stop à l’ARENH et aux politiques européennes de concurrence qui n’ont rien apporté à notre secteur. Malheureusement, elles ont au contraire empêché les investissements indispensables à notre système électrique et à la production d’une énergie abondante et compétitive.