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08 / 03 / 2024 | 161 vues
Céline Bernard / Membre
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Emploi : Pourquoi la France devrait redynamiser l’attractivité des métiers d’ingénieurs

Bizarrement, les métiers d’ingénieurs – autrefois très attractifs – sont boudés par les étudiants français. Les raisons sont nombreuses, et tous les acteurs de la filière industrielle et scientifique doivent aujourd’hui retrousser leurs manches pour redynamiser l’ingénierie française, pouvoirs publics comme entreprises privées.

 

Ils ne battent jamais le pavé, on ne les verra jamais défiler derrière des banderoles ou bloquer tel ou tel chantier ou laboratoire. Pourtant, les ingénieurs français sont à la peine et l’attractivité de leurs métiers ne semble plus être une priorité des gouvernements successifs depuis les années 2000. Bien au contraire, les dirigeants politiques de tout bord semblent s’être désintéressés de la question, comme si les filières scientifiques – exigeantes par nature – pouvaient fonctionner en « pilote automatique ». Il n’en est rien.

 

Des formations d’ingénieurs à améliorer

 

En économie, les images d’Épinal ont la vie dure. L’une d’elles concerne la filière française des formations d’ingénieurs, réputée parmi les meilleures au monde. Pourtant, une étude[i] récente de L’Étudiant – basée sur les chiffres de 2021-2022 – montrent les failles de la formation française. Pêle-mêle, les problèmes sont nombreux : baisse de l’attractivité de la formation de l’enseignement public au profit du privé, faible présence féminine (moins d’un tiers des candidats aux diplômes), priorité à celles et ceux sortis de classes préparatoires et mauvaise image de l’apprentissage, très faible diversité des profils sociaux dans les formations… Les écueils sont de natures très différentes mais aboutissent à un même constat : les pouvoirs publics français pourraient mieux accompagner les métiers d’ingénieurs. Sous peine d’une lente glissade qualitative.

 

À la rentrée 2021, quelque 246000 étudiants étaient inscrits dans les écoles d’ingénieurs en France, dont 46500 nouveaux entrants à la rentrée 2022. Seulement voilà, une part d’entre eux ne vont pas au bout de leur cursus. En 2023, le gouvernement semble avoir entendu le cri d’alarme de cette filière avec le projet de loi « industrie verte »[ii] lancé par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, Roland Lescure, ministre délégué en charge de l’Industrie et de l’Énergie, et Christophe Béchu, ministre de la Transition Écologique. Son objectif, louable mais insuffisant : voir « 50000 ingénieurs diplômés par an d’ici la fin du quinquennat ». Mais les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.

 

Les difficultés de recrutement

 

Au sein des entreprises potentiellement recruteuses, l’état d’esprit est souvent le même : redynamiser les filières d’ingénieurs devrait être une priorité nationale. Car l’urgence est là, comme le montrent les chiffres[iii] de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) selon lesquels l’économie française aurait besoin de 50 à 60000 nouveaux ingénieurs par an alors que seulement 40000 sortent diplômés chaque année. Un déficit synonyme de catastrophe à moyen terme pour les entreprises industrielles. En 2030, la France pourrait ainsi manquer de 54000 ingénieurs, toutes filières confondues.

 

« Les entreprises ont du mal à recruter des ingénieurs parce qu’on n’en fabrique pas assez », résume assez bien Marc Rumeau[iv], président de l’IESF (Société des ingénieurs et scientifiques de France), organisme qui a lui aussi publié plusieurs études chiffrées. Selon l’IESF, 20% des recruteurs auraient « rencontré des difficultés à recruter sur tous les profils, un niveau inégalé ces huit dernières années » tandis que 31% affirment avoir des difficultés à trouver des profils spécialisés. Les raisons de cette pénurie de talents : la disparition des maths dans le tronc commun au lycée, des salaires pas à la hauteur des espérances – même s’ils sont en hausse –, et la baisse notable des candidates féminines.

 

Pour les bureaux de ressources humaines des grands groupes et des PME industrielles et scientifiques, ce manque prévisible de compétences constitue un signe alarmant. Dans le domaine des hautes technologies – à la fois nucléaire, spatiale et médicale – par exemple, le groupe Bertin Technologies cherche en permanence à recruter de nouveaux ingénieurs pour développer ses projets et poursuivre son développement industriel. Si cette PME francilienne réussit à recruter entre 40 et 70 personnes chaque année, elle aimerait pouvoir faire mieux. À elle donc de se montrer attractive pour les jeunes diplômés. « Le recrutement des ingénieurs en France est difficile, raison pour laquelle nous déployons beaucoup d’efforts pour être et rester attractifs, note Bruno Vallayer[v], président de Bertin Technologies. Notre dernière enquête de satisfaction interne a révélé que 86% des collaborateurs recommanderaient Bertin. Nous utilisons aussi beaucoup d’assistance technique, en projet, en forfait ou en ponctuel. C’est une porte d’embauche intéressante. Nous faisons en permanence un effort d’embauche de jeunes coachés par nos anciens qui, pour beaucoup, restent chez nous jusqu’à leur retraite. Enfin, du fait de la pénurie d’ingénieurs en France, une des solutions restantes est de recruter à l’étranger : 25% de nos collaborateurs vivent ailleurs en Europe (Suède, Finlande, Angleterre ou Allemagne). »

 

Les entreprises veulent (et doivent) séduire

 

Certains dirigeants d’entreprise ne manquent pas d’humour pour alerter l’opinion publique et d’éventuels candidats au sujet des difficultés qu’ils rencontrent pour recruter. Près de la frontière suisse par exemple, à Archamps, les laboratoires Vivacy ont déployé une grande banderole visible depuis la route qui relie Annemasse à Saint-Julien. Le message est limpide : l’entreprise recrute. Des ingénieurs production et amélioration continue, des opérateurs et opératrices de conditionnement en salle blanche, des chargés d’affaires réglementaires… « Nous avons renforcé notre service ressources humaines, qui était petit, explique Denis Gantin[vi], le directeur industriel des laboratoires Vivacy. Nous avons également monté un centre de formation. Ce n’est pas tout : en lien avec Pôle emploi, nous utilisons la méthode de recrutement par simulation, qui permet de déceler les compétences et de ne pas s’arrêter au CV. Tout ceci a déjà commencé à porter ses fruits. » Dernier argument pour attirer les jeunes ingénieurs : la participation « intéressante » aux résultats de l’entreprise.

 

En Normandie, une autre entreprise d’ingénierie – dans les télécoms cette fois – met en avant sa politique de recrutement des jeunes ingénieurs. À Rouen, l’entreprise Altitude, 3e opérateur d’infrastructures de fibre optique en France, rencontre les mêmes difficultés que ses consœurs. Son message à l’attention des jeunes diplômés est limpide lui aussi : nous vous ferons confiance. « Mon père Jean-Paul Rivière a monté l’entreprise avec des jeunes, explique Dorothée Lebarbier[vii], la PDG d’Altitude. « Notre groupe, de par l’intérêt des postes qu’il propose, attire les candidatures. Nous n’hésitons pas à faire confiance aux jeunes, à leur donner des responsabilités. Nous offrons aussi des possibilités d’évolution et de mobilité professionnelle importantes. » Ici comme chez Bertin Technologies, la mobilité n’est pas que géographique. Elle se concrétise aussi au sein de l’entreprise, avec des changements de métiers et des évolutions de carrière en interne : « en tant qu’entreprise de taille moyenne, nous proposons plus de souplesse, plus de liberté, un accès plus direct au patron avec moins d’étages hiérarchiques, et ainsi une plus grande connaissance et une meilleure intégration à la vie de l’entreprise. Nous jouons constamment sur nos points forts : la nature technique de notre travail et l’intérêt des marchés sur lesquels nous opérons. […] Sur un plan purement RH, nous avons mis en place une GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) pour acquérir plus de visibilité sur les différents types de carrières possibles : carrières très techniques ou carrière d’expertise. », précise encore Bruno Vallayer.

 

Le gouvernement français, lui, va devoir répondre aux attentes de tous ces chefs d’entreprise. La formation française, en l’état, ne pourra pas seule assurer les besoins de la double politique de réindustrialisation et du ‘made in France’ technologique et scientifique, sans cesse louée par le président Macron et ses ministres. Si la France veut rester aux avant-postes – surtout dans le cadre de la transition énergétique –, elle va devoir investir dans ses ingénieurs. Et vite.

 

 

[i] https://www.letudiant.fr/etudes/ecole-ingenieur/quel-est-le-profil-type-dun-etudiant-en-ecole-dingenieurs.html

[ii] https://www.challenges.fr/grandes-ecoles/industrie-verte-le-plan-du-gouvernement-pour-palier-le-manque-criant-dingenieurs-en-france_855548

[iii] https://www.cours-thales.fr/post-bac-ingenieur/la-france-a-besoin-de-10-000-ingenieurs-supplementaires/

[iv] https://www.lexpress.fr/economie/pourquoi-des-entreprises-ont-du-mal-a-recruter-des-ingenieurs-francais_2180188.html

[v] https://www.choiseul-magazine.fr/2024/02/09/bruno-vallayer-la-croissance-de-demain-reposera-sur-le-savoir-faire-de-nos-ingenieurs/

[vi] https://www.lemessager.fr/649306067/article/2023-11-02/archamps-pour-vivacy-des-difficultes-recruter-mais-des-moyens-de-les-surmonter

[vii] https://actu.fr/normandie/mont-saint-aignan_76451/mont-saint-aignan-cette-entreprise-recrute-plus-de-300-personnes-par-an_59083297.html

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