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25 / 08 / 2020 | 70 vues
Cathy Simon / Membre
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Empêcher que le monde ne se défasse en ces temps de grands reniements et remaniements

Ce que nous prédisions et pressentions depuis quelque temps allait bien finir par arriver un jour ou l’autre. Le rideau allait bien finir par s’ouvrir avec fracas, le voile se déchirer et le tissu du manteau s’effilocher pour se transformer, bientôt peut-être, en guenille dispersée.

 

Les fractures françaises longtemps relativisées ou délégitimées par les « bien-pensants », les conflits sociaux et « sociétaux » sans cesse contenus afin d’en faire des non-événements ou des produits mort-nés, constamment soutenus par des discours « officiels » péremptoires qui leur opposaient des fins de recevoir en les habillant d’euphémismes toujours plus simplistes, allaient bien finir par furieusement éclater au grand jour.

 

Longtemps demeurés dans un état plus ou moins larvé, plusieurs signes alarmants annonçaient (révélant par-là la fin d’un cycle historique) à ceux qui refusaient de s’obstiner dans l’aveuglement que la dernière digue du déni était sur le point de céder sous les coups de butoirs, toujours plus violents du réel. Le retour du refoulé sonnait de nouveau avec insistance à notre porte mais beaucoup refusaient encore de l’entendre.

 

On daigne désormais tendre l’oreille mais pour rendre compte des maux qui traversent notre société et l'on continue, nous dit-on du côté du pouvoir et de leurs idiots utiles, de chuchoter sous peine de fâcher certaines susceptibilités prêtes à en découdre en allumant un feu que nous aurions ensuite toutes les peines du monde à éteindre. Principe de précaution oblige... Pendant que d’autres, il est vrai, ne s’entourent guère de précaution lorsqu’il s’agit de déboulonner les statues et les « vieilles idoles » et ion regrette, hélas, que cette furie nihiliste et éradicatrice n’épargne personne (et aucune organisation). En effet, l’heure n’est-elle pas à la grande « révision » historique et au reniement de certaines de nos figures tutélaires ?

 

Au sein de ce dépoussiérage massif, une foire d’empoigne idéologique est à l’oeuvre partout. Dans cette furie révisionniste qui s’abat sur les consciences, les procès en traîtrise prolifèrent, dans lesquels vivants et morts sont sommés de comparaître, séance tenante, devant le nouveau tribunal de l’Histoire rageusement dressé par nos nouveaux et opportunistes prophètes.

 

Face au péril et pour éviter que la dialectique historique ne se grippe définitivement, beaucoup s’improvisent démiurges de l’histoire et des temps nouveaux : il ne s’agit rien de moins dans cette entreprise que de refaçonner l’histoire de telle façon qu’elle concorde en tout point avec le récit que l’on s’invente de toute pièce pour les besoins de la cause. Sous prétexte de revisiter l’histoire dans le but de rendre justice à l’Histoire et à tous ceux que celle-ci aurait cruellement offensé, c'est toujours la même pulsion nihiliste qui œuvre et toujours la même manie de la table rase.

 

Ainsi, sous des accents prophétiques et terriblement arrogants, on se veut le propriétaire de l’avenir. À partir d’un récit historique, soigneusement refaçonné pour appuyer et hâter sa venue, on s’auto-désigne prophète de l’avènement d’une ère radicalement nouvelle.

 

« Les vieux tyrans évoquaient le passé. Les nouveaux tyrans évoqueront l’avenir », prédisait le grand écrivain britannique G.K. Chestertton à la fin du XIXe siècle. Formule on ne peut plus exacte mais qui faisait l’impasse sur cette autre espèce que sont les vieux-nouveaux tyrans qui n’ont de cesse d'inlassablement convoquer le passé pour légitimer leurs luttes futures, en appliquant ce faisant peureusement le même logiciel idéologique quel qu’en soit le contexte.

 

Puisque pour ces nouveaux pharisiens il n’y rien de nouveau sous le soleil, il est pour eux tout à fait légitime de mobiliser les termes, les « concepts » et la grille idéologique, bâtie au XIXe siècle pour parer aux maux qui s’abattaient alors sur la classe ouvrière, pour expliquer et pour résoudre les problèmes du temps présent. C’est toujours la même trame simpliste et binaire qui est convoquée pour expliquer que la France (et le monde tout entier) se divise en deux blocs antagoniques, deux camps parfaitement homogènes, dont la clef explicative est l’économie, l’économie et enfin l’économie. cet « économisme » implacable, partagé par les tenants de cette conception et par les capitalistes eux-mêmes, s’affirme à l’exclusion de toute autre considération, qu’elle soit politique, culturelle, religieuse et plus globalement anthropologique.

 

C’est bien pourquoi ce « paradigme » est faux ; le réel ne se prête jamais à de telles simplifications, il est rebelle à toute mise en boîte théorique qui consiste en l’occurrence à diviser l’humanité en deux camps (les dominants et les dominés, les exploitants et les exploiteurs, les coupables et les innocents, termes tout droit issus du vocable religieux), lesquels n’auraient d’autre issue que de s’affronter en une lutte finale (forme sécularisée de la parousie chrétienne), d’où les exploités sortiraient vainqueurs, pour toute éternité. La prolifération de la guerre civile est généralement la conséquence logique de ce type de conception tout droit sorti de leur immaculé ciel des idées.

 

Après les catastrophes qui ont ponctué le XXe siècle, nous aurions légitimement pu penser que nous étions une fois pour toutes vaccinés contre ce type de tentatives aux fausses allures d’antidote, que nous étions immunisés contre le démon de l’anachronisme pour de bon.

 

Il n’en est hélas rien et, comme le rappelait récemment fort justement le camusien Raphaël Einthoven au sujet des utopies mortifères ayant sévi au XXe siècle et qui tentent aujourd’hui de se « recycler », « une idée fausse ne meurt jamais. Elle ressuscite quand toutes les tentatives de l’incarner ayant échoué, le réel cesse d’être une objection pour elle. Puis elle échoue, fatalement, pour avoir tenté d’exister. Dans l’intervalle, on y croit. Et ainsi, à l’infini... »

 

Puisque le dernier grand récit conçu par les néolibéraux et mis en place « systématiquement » mis en place par les divers gouvernements européens après la chute du mur pour endormir les masses dans la servitude, s’est révélé pour ce qu’il était vraiment, une funeste mythologie de plus, la grande braderie est à nouveau ouverte : dans laquelle il est fait feu de tout bois, où on jette le bébé avec l’eau du bain et où, après le « dé-bétonnage » de toute forme d’identité historique et nationale, on y rejette de nombreux pans et trésors de nos traditions séculières à pleines mains.

 

L’heure est à la fragmentation et à la dispersion en tout genre et il risque fort de résulter de ces profondes « crises d’identités ». Hélas, un affaiblissement généralisé, d’abord chez les plus vulnérables, avant que bien sûr de vastes mains charitables ne viennent démagogiquement et dangereusement récolter les fruits de cet éclatement communautariste.

 

Ce questionnement relatif à « notre identité » peut se révéler salutaire. Il caractérise les périodes de grandes crises, ces temps où plus rien ne semble aller de soi et où le sol paraît se dérober sous nos pieds. Temps crépusculaires qui sont aussi à interpréter comme des appels à nos consciences endormies pour qu’elles se ressaisissent face au péril, en allant elles-mêmes puiser les conditions du « renouveau » qui s’impose. Pour cela, il est plus que temps de rompre avec la sentence exprimée par Raymond Aron qui consiste à ce qu’un « régime nouveau est toujours impatient d’affermir son autorité en détruisant les fondements du régime ancien », comme le néolibéralisme et certaines versions du communisme prétendument renouvelées continuent de le faire.

 

Se réapproprier une part de notre héritage et sauver les fondements qui sont inhérents à notre identité donc de notre singularité. Les termes nation et souveraineté (donc la démocratie qui lui est consubstantielle), voire, lorsque certains moments de notre histoire l’exigent pour survivre, de « bien commun » (l’essence des relations humaines n’est pas uniquement faite de lutte à mort entre les gens entre deux classes éternellement immuables.

 

La politique et l’émancipation ont autant besoin du conflit que du consensus, aussi provisoire soit-il et, même si rien n’est jamais acquis, pour exister) prennent à nouveau tout leur sens puisqu’une large partie du peuple s’en réclame aujourd’hui légitimement. Car que voudrait dire le politique ou la politique au sens noble du terme, sans une souveraineté véritable et digne de ce nom ? Nous sommes actuellement dans les eaux troubles d’un entre-deux insoutenable, comme l’ont montré les tragédies récentes (nous nous trouvons dans un « vide » de souveraineté, celle-ci ne se trouve actuellement ni dans la nation ni au niveau européen, au grand bénéfice des grands blocs comme la Chine et les États-Unis notamment).

 

L’histoire récente nous a révélé que ces mots ne doivent plus continuer d'être considérés comme des gros mots. Aussi, ne faisons plus le cadeau de ces derniers à l’extrême droite (à moins d’un sursaut, sa victoire risque d’être bientôt totale), ne laissant tragiquement au peuple (toujours divers dans ses composantes et potentiellement en conflit) comme seule alternative les versions réactionnaires et belliqueuses de ces mots (nation, souveraineté, récit national et européen, Droits de l’Homme…), politiques par excellence. Pour continuer à tendre vers l’universel (et, à terme, viser une forme d’internationalisme politique), nous avons besoin d’un point d’ancrage, de sources et de traditions assumées, n’oublions pas que nous sommes « des nains juchés sur les épaules des géants » qui nous ont précédés mais placés plus haut qu’eux toutefois, il nous incombe de voir plus loin qu’eux.

 

Nous savons que le politique se nourrit aussi de mythologie et d’utopie mais ces dernières ne doivent en aucun cas occuper tout le champ de la politique. Le conflit (social) ne disparaîtra pas ; il fait partie intégrante de la démocratie donc de l’émancipation. Il existera toujours des intérêts divergents en fonction de la position sociale (changeante) de chacun, des « classes » sociales, toujours diverses, qui se réuniront ponctuellement pour défendre leurs intérêts respectifs. il y a aura toujours des gens faibles à protéger contre les abus des plus forts, d’où la raison d’être du syndicalisme et de notre organisation en particulier.

 

À cet égard, si nous sommes tous convoqués à nous redéfinir, notre organisation ne fera pas exception. Aucune organisation n’est assez forte pour résister longtemps aux assauts qui peuvent la miner à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, faute de conception claire et relativement tranchée de ses fondements, de ses finalités et de ses méthodes*.

 

FO a d’illustres prédécesseurs (Léon Jouhaux, André Bergeron etc.) qui ont contribué à faire l’ADN de notre organisation : basé sur une conception réaliste de la démocratie ; basé sur une démocratie sociale empreinte de paritarisme (qui n’existe presque plus aujourd’hui) qui a toujours défendu la négociation collective en bâtissant ce faisant un rapport de force le plus pacifique possible mais aussi le plus ferme possible et basé sur l’indépendance, sans être hermétique et toujours hostile aux règles du jeu de la démocratie représentative et de l’État (qui est aussi un état de droit)…

 

Pour conclure, nous laisserons la parole à un philosophe car il nous semble plus actuel que jamais : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. […] Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche de l’alliance. » (1) - Albert Camus.

 

(1) Discours de réception du prix nobel de littérature, à Stockholm, 10 décembre 1957.

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