Organisations
Corruption : les élus locaux en première ligne
Certains luttent contre la corruption, d’autres cèdent au contraire à la tentation : les élus locaux sont au cœur de ce sujet sensible, qui mine la confiance des citoyens dans leurs représentants. Où en est-on aujourd’hui ? Le paysage de la corruption en France en quelques chiffres et exemples.
Corruption, trafic d’influence, prise illégale d'intérêts, détournements de fonds publics, favoritisme… En 2021, 801 atteintes à la probité ont été relevées par la police et la gendarmerie, selon l’étude publiée en octobre 2022 par le service statistique du ministère de l’Intérieur et l’Agence française anticorruption (AFA). Un chiffre en augmentation de 28 % depuis 2016, principalement du fait de la hausse des infractions de corruption (+ 46 %), qui représentent près d’un tiers des atteintes à la probité. Après la corruption, le détournement de fonds publics et la prise illégale d’intérêts sont les infractions les plus fréquemment constatées.
En moyenne, un élu local fait l’objet d’une mise en cause pénale par jour, selon l’Observatoire 2022 de la Smacl, mutuelle niortaise spécialisée dans l’assurance des collectivités. Sur la période 2014-2020, 2.000 élus ont été poursuivis en France, soit 50 % de plus que durant la mandature 2008-2014. Des chiffres probablement sous-estimés parce qu’avec le « pas vu pas pris », un certain nombre de délits et infractions échappent aux radars. Mais entre le rôle d’alerte que jouent les oppositions ou des associations comme Anticor, les contrôles des préfectures, la presse et les plaintes d’éventuelles victimes, les mailles du filet ne sont pas si lâches.
Néanmoins, si élus et fonctionnaires sont de plus en plus l’objet de poursuites, le taux de mise en cause pénale reste marginal : toutes infractions confondues, il est de 0,342 %. Si l’on s’en tient aux patrons d’un exécutif local, maire, président d’intercommunalité, de département ou de région, le taux est de 2,35 %. De plus, mise en cause ne veut pas dire condamnation : la justice blanchit six élus poursuivis sur dix.
Le maire de Sanary-sur-Mer sous bracelet électronique
Parmi les affaires qui ont défrayé la chronique, figure notamment la condamnation, en octobre 2021, du maire de Sanary-sur-Mer (Var), Ferdinand Bernhard, pour prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme. Verdict de la cour d’appel d’Aix-en-Provence : trois ans de prison, dont un an ferme, cinq ans de privation des droits civils et civiques, 50.000 euros d’amende, et confiscation d’un ensemble immobilier évalué à 1,5 million d’euros. L’élu de 69 ans (réélu pour un sixième mandat en juin 2020, dès le premier tour, avec 68 % des voix) effectuera sa peine de prison à domicile sous bracelet électronique.
La justice a notamment sanctionné les manœuvres et les passe-droits utilisés par le maire pour obtenir un permis de construire sur lequel il a fait construire quatre villas et une piscine. Il est aussi épinglé pour l’attribution de marchés publics, hors procédure, à des proches, ainsi que pour l’utilisation indue d’une voiture de fonction, et la promotion-éclair de sa maîtresse (passée de simple contrôleuse de gestion à directrice générale des services, à 5 000 € par mois), « au mépris du respect des règles d’emploi dans la fonction publique ». Il s’est pourvu en cassation.
Le maire de Saint-Gervais visé par une plainte
Un autre maire, celui de Saint-Gervais-les-Bains, Jean-Marc Peillex, est actuellement visé par une plainte pour délivrance illégale d’un permis de construire et corruption passive, déposée par l’association Respectons la terre, et actuellement instruite par le parquet d’Annecy. Selon l’édition du 15 mars 2023 du Canard Enchaîné, Jean-Marc Peillex a autorisé la construction de trois chalets de luxe à vocation hôtelière au pied du Mont-Blanc… au profit d’un investisseur qui s’est, par ailleurs, montré particulièrement généreux pour la municipalité.
La légalité de ce permis de construire, accordé à des hôtels dans une zone naturelle où seules les constructions à usage d’habitation sont autorisées par le plan local d’urbanisme est sujette à caution. Et, ce d’autant que le propriétaire et bénéficiaire du permis, Vincent Gombault, est plutôt fortuné : magnat de l’hôtellerie de luxe et propriétaire des demeures d’exception Almae Collection, il dirige aussi le fonds d’investissement londonien Clipway. Fortuné et plutôt généreux : quelques semaines avant les demandes de permis de construire, Vincent Gombault effectuait des dons d’au moins 1,5 million d’euros à la commune pour rénover son patrimoine. Les associations ont du mal à voir dans cette concordance de faits une simple coïncidence et soupçonnent plutôt une preuve de manigance. C’est ce que l’enquête en cours devra déterminer.
Corruption et prise illégale d’intérêts
Autre exemple de dérapage d’un élu local : le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné, en janvier 2022, l’ex-maire de Bruges (Gironde), Bernard Seurot, à quatre ans d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 50.000 euros pour des faits de corruption. L’enquête avait démarré sur signalement d’élus de sa propre majorité. Il lui est reproché d’avoir profité d’un système de corruption en échange de marchés publics. Voyages au Maroc et en Argentine, cuisine équipée, places VIP pour des manifestations sportives, société de chasse en Espagne... Il a reçu pendant plusieurs années des avantages très conséquents contre l’attribution de marchés publics. Quinze patrons du BTP étaient également poursuivis, onze d’entre eux ont été reconnus coupables des faits reprochés.
En décembre dernier, la maire du village corse de Grosseto-Prugna, Valérie Bozzi, a été quant à elle condamnée par la cour d’appel de Bastia pour prise illégale d’intérêts. Il est reproché à l’élue d’avoir présidé le conseil municipal et d’avoir participé à un vote concernant la vente du bail d’un établissement de plage à une société présidée par son compagnon. Il lui est également reproché d’avoir signé des concessions de plage au bénéfice de cette même société. Elle est condamnée à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, 5.000 € d’amende et trois ans d’inéligibilité. Valérie Bozzi a fait le choix de se pourvoir en cassation.
Des élus s’engagent contre la corruption
A côté de ceux qui fautent, de nombreux élus se sont au contraire engagés dans la lutte contre la corruption. Ancien député, maire et président de l’agglomération de Grenoble, Didier Migaud, passé par la présidence de la Cour des comptes, est aujourd’hui président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il en appelle à « une volonté politique forte pour lutter contre la corruption : n’attendons pas le prochain scandale pour agir ! HATVP, Parquet national financier, Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières, Agence française anticorruption, Tracfin : depuis dix ans, des institutions nouvelles ont été créées ou renforcées pour améliorer la détection des manquements à la probité, mais à chaque fois en réaction à des affaires. La corruption a toujours une longueur d’avance, elle s’adapte ».
A l’occasion de la procédure de renouvellement de son agrément, l’association Anticor a également été soutenue par de nombreux élus, comme les députés PS Valérie Rabault, Olivier Faure ou Boris Vallaud. « Il est nécessaire que les citoyens, et a fortiori les associations dont l’objet social est de lutter contre la corruption, puissent questionner les pouvoirs publics dès lors que des irrégularités sont susceptibles d’entacher l’action publique », estime Sébastien Pla, sénateur de l’Aude. « Ce type d’association a montré sa place dans la vitalité démocratique du pays », estime André Chassaigne, député PC du Puy-de-Dôme. La lutte continue.