Batteries électriques : Quand la technologie donne le tempo
Quelle(s) technologie(s) pour le coeur des voitures de demain ? La question agite les industriels du secteur et au-delà. Le groupe de travail automobile (GTA) fédéral a planché sur la question et vient de mettre en ligne ses travaux sur ce nouveau chapitre annoncé de l’histoire automobile, dont l’écriture ne fait que commencer.
Suite à l’annonce de la mort du moteur thermique pour 2035, l’ensemble du monde automobile a mis le cap sur l’électrique. Si la France s’est intéressée à la question à partir de 2017 en soutenant dès son émergence l’Alliance européenne des batteries et un « Plan Batteries » en 2018, il aura fallu attendre 2021 pour disposer enfin d’une « Stratégie nationale sur les batteries ».
Cette dernière consiste surtout à favoriser la création de gigafactories, comme celle d’ACC à Douvrin (Nord) et à trouver comment les approvisionner. Ce sont essentiellement les acteurs privés qui se posent la question qui conditionne la réussite de la transition du secteur automobile vers l’électrique : quelle technologie choisir ?
Derrière cette interrogation a priori neutre se cachent une série d’enjeux majeurs, d’ordre environnemental,
industriel, commercial, social et de souveraineté nationale (voir article p.6). Chaque technologie apporte des réponses propres à chacun de ces défis, et chaque avancée technologique semble rebattre les cartes du jeu automobile.
La demande de batteries augmente rapidement et devrait être multipliée par 14 d'ici à 2030, principalement sous l'impulsion de l’électrification des transports. Pour autant, faut-il trancher rapidement ?
Pour le moment, deux standards dominent le marché. Le premier est celui dit « NMC », mélange de nickel, manganèse et cobalt à l’électrode positive, avec son dérivé NCA (nickel-cobalt-aluminium). Chères mais recyclables, elles demeurent la référence pour les véhicules ayant besoin de performance. Privilégiées par les Européens, elles offrent une meilleure autonomie et une plus grande rapidité de charge. Autre technologie incontournable sur le marché de la batterie, celle baptisée « LFP » (lithium, fer, phosphate, de la grande famille lithiumion), fer de lance de la stratégie chinoise de conquête de l’électrique.
Moins onéreuse mais aussi moins efficace que les NMC sur le plan de l’autonomie et sur celui de la charge, cette technologie a été mise au point par l’Europe, qui l’a ensuite délaissée, permettant à la Chine de miser dessus depuis une dizaine d’années en solitaire. Alors que se profile une massification du marché, elle retrouve son attrait et pourrait représenter plus du tiers des ventes à la fin de la décennie, si l’on considère que les véhicules d’entrée et de milieu de gamme peuvent s’en contenter.
L’Europe va-t-elle devoir mettre les bouchées doubles sur un savoir-faire qu’elle a contribué à mettre au point avant de l’abandonner ?Rien n’est moins sûr, le secteur automobile met le paquet sur la R&D et de nouvelles pistes émergent déjà.
La première consiste à améliorer l’existant, par exemple en ajoutant du manganèse dans les batteries LFP. Réputé stable et sécurisée, la batterie lithium-fer-phosphate, en s’enrichissant de ce matériau peu onéreux, offre une belle hausse de l'autonomie des véhicules électriques sans pour autant en augmenter le coût. Le pack produit par le Chinois Gotion High-Tech promet une autonomie de 1 000 kilomètres par charge, laquelle passerait de 10 à 80% en moins de 20 minutes.
Espérance de vie de la batterie ?
Le constructeur affiche 4 millions de kilomètres et compte passer prochainement à la série industrielle. Pour renforcer la densité énergétique des batteries lithium-ion, Porsche et Mercedes travaillent sur une autre voie : des anodes en silicium pour remplacer celles en graphite et stocker ainsi davantage d'énergie.
Fruit d’une alliance avec le Californien Sila Nanotechnologies, la technologie accroîtrait la densité énergétique de 20 %, avec pour objectif final des capacités de stockage jusqu'à deux fois supérieures à celles du graphite. Le constructeur chinois Nio tente pour sa part de mettre au point la batterie semi-solide.
Son modèle ET7 est propulsé par une batterie à électrolyte hybride de 150 kWh qui clame ses 1 000 kilomètres d’autonomie. Le géant chinois CATL prétend, quant à lui, avoir produit une batterie semi-solide capable de stocker deux fois plus d'énergie que les lithium-ion.
Chaque découverte rebat les cartes
Autre technologie qui fait beaucoup parler et suscite autant d’espoir : l’électrolyte solide.
Dans les batteries lithium-ion actuelles, c'est pour le moment un liquide qui conduit les ions, leur permettant de se déplacer de l'anode vers la cathode (pour alimenter le moteur) ou l'inverse (lors de la recharge). Avec le solide, il s'agit de remplacer ce liquide par un composé inorganique solide (céramique, polymère…). Sa plus grande stabilité sur le plan thermique est le gage d’une densité d'énergie embarquée plus importante
encore, pour un temps de charge réduit.
Sa promesse ? Doubler, au moins, l’autonomie des véhicules qui en seront équipés. Depuis 2022, tous les grands groupes et constructeurs, ou presque, ont annoncé des partenariats stratégiques ou des investissements significatifs dans ce domaine, sans oublier une myriade de startups
bien décidées à se tailler une place sur ce créneau prometteur.
Pour autant, le procédé est loin d’être au point, et le lancement de la production industrielle avant 2030 promis à l’unisson par tous les acteurs de la filière est encore loin d’être garanti.
A noter d’ailleurs que, si la technologie, tant sur le solide que le semi-solide, n’est pas encore totalement au point, elle pourrait fort bien intéresser, in fine, le secteur aéronautique, en particulier sur le plan de la sécurité.
Parmi les autres chemins en cours d’exploration, il faut mentionner les batteries sodium-ion, considérées comme révolutionnaire par certains acteurs, mais dont la faible densité énergétique n’offre qu’une faible autonomie.
Autre option : l’utilisation du soufre sur l’électrode positive des batteries au lithium
Cette technologie permettrait, pour un coût des plus modestes, de multiplier par trois, voire par cinq, la densité énergétique des batteries. Restent à résoudre les problèmes de corrosion de l’électrode positive chargée en soufre et son expansion volumétrique.
Plus novateur, des recherches sont menées sur un matériau composé de nanotubes de carbone verticalement alignés qui permettent, en théorie, une recharge plus rapide et une utilisation plus efficace.
Il faut également mentionner la piste qui semble la plus farfelue mais qui ne manque pourtant pas d’avantages : la batterie bio.
Plusieurs études récentes ont fait état de la mise au point d’une anode à base de carapaces de crabe par des équipes universitaires américaines. Ces dernières ont transformé des déchets de coquilles de crabe en carbone dur qui peut servir d’anode à un accumulateur sodium-ion.
Pour vérifier cela, les carapaces de crabe ont été portées à une température de plus de 500 °C avant de se voir ajouter du sulfure d’étain ou de fer. Avec cette combinaison, les chercheurs ont pu fabriquer une anode sodium-ion, (la borne positive de la batterie).
Même si les ions sodium possèdent des caractéristiques chimiques proches de celles du lithium, ils sont un peu plus volumineux. Ce qui nécessite l’utilisation d’une anode avec des propriétés différentes de celles en graphite. Avec le crabe, place à une anode plus poreuse et fibreuse, qui offre une bonne conductivité des ions de sodium.
Plusieurs mois auparavant, une autre équipe avait utilisé un gel électrolyte dérivé des mêmes carapaces pour faire fonctionner une batterie à base de zinc. La combinaison du gel biodégradable de chitine et du zinc a permis de créer un matériau utilisable comme électrolyte dans la batterie, qui comprend ainsi une anode en zinc et une cathode en matière organique entièrement biodégradable. A en croire les auteurs de l’étude, cette batterie maintiendrait un rendement de charge frisant les 100 % sur plus de 1 000 cycles de recharge !
Changement de logique ?
Au final, la R&D participera à faire la différence et en ce domaine, la question du financement est celle dont découlent toutes les autres. Pour le moment, Chinois et Américains investissent nettement plus que le Vieux continent, dont les pays font cavaliers seuls, malgré la fameuse « Europe des batteries ». « Au niveau national, la clé serait peut-être de passer d’une logique d’assembleur à un système industriel où la batterie est intégrée à une approche large du groupe propulseur (chargeur – batterie – onduleur – moteur), explique le secrétaire fédéral Olivier Lefebvre.
Cette approche garantirait une optimisation du rendement électrique du véhicule, et constituerait aussi un bon argument de vente, le tout dans une démarche tricolore associant fabricants de batteries, d’électronique et de moteurs. »
Au-delà de cet aspect, difficile de savoir si les avancées annoncées par les constructeurs et les acteurs de la supply chain sont réelles ou de simples effets d’annonce. Le seul fait que la Chine a mis au point ses propres normes (dénommées CLTC) pour attester de l’autonomie ou des capacités de recharge entrave déjà les possibilités de comparaison, en particulier pour le consommateur, et ouvre la porte à un
marketing qui risque d’inspirer fort peu confiance à un consommateur déjà pas franchement emballé par l’électrique.
La technologie n’est donc qu’un aspect du problème, dont de nombreuses autres facettes promettent elles aussi de peser sur la chimie de batteries vertueuse qui trouvera sa place sous le capot de la voiture électrique demain.
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- Le Rubik's cube de la batterie électrique
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- Quel nouveau modèle de mobilité ?
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