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Ordonnances : disparition du mot « sous-traitance » et autres éléments de novlangue
Institué en 1910, le Code du travail marque la naissance du droit social moderne en imposant que les rapports patrons-salariés ne soient pas exclusivement régis par la loi du marché. Son objet est de protéger les salariés (en position de faiblesse dans ce rapport) d’une part en leur garantissant des droits et d’autre part en limitant le pouvoir de l’employeur.
Ce préambule n’est pas inutile car les ordonnances de septembre 2017 ne s’accommodent visiblement guère d’un Code du travail au service des salariés. Pour la première fois s’agissant d’un texte de loi, elles introduisent la novlangue du MEDEF et relèguent ainsi les députés au rang de relais de l’organisation patronale. Rappelons que le concept de novlangue renvoie au roman 1984 de George Orwell et désigne un langage épuré, dont l’emploi hégémonique est destiné à dénaturer la réalité.
La « sous-traitance » y est remplacée par « partenariat ».La première modification de vocabulaire que nous évoquerons est passée pratiquement inaperçue. Elle concerne le point 8 des articles R2312-8 et R2312-9 relatifs à la BDES : la « sous-traitance » y est remplacée par « partenariat », terme masquant pudiquement le rapport de force en faveur des donneurs d’ordre. Ce changement n’est pas anecdotique. Il s’opère au moment où le patronat dispose d’un moyen sans précédent pour remettre en cause le contrat de travail des salariés, à travers les accords de « fonctionnement de l’entreprise », censés répondre « aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou préserver ou développer l’emploi » (nouvel article L2254-2 du Code du travail).
Ces accords ont des conséquences graves : ils permettent à l’employeur de contourner ses obligations à la fois en matière de contrat de travail et de licenciement économique collectif. À la différence des accords de « préservation et de développement de l’emploi » de la loi sur le travail de 2016, ils peuvent avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié (sous réserve de respecter le SMIC et les salaires minima conventionnels).
Il s’agit donc d’une véritable aubaine pour les employeurs mais encore faut-il qu’ils préparent le terrain pour inciter les syndicats à signer un accord défavorable aux salariés. Le chantage à l’emploi fonctionnera d’autant mieux s’ils parviennent à convaincre qu’une communauté d’intérêt efface les barrières entre donneurs d’ordre et sous-traitants et qu’il n’y a aucune raison pour que les salariés des premiers soient mieux lotis que ceux des seconds. Dans ce contexte, le terme « partenariat » n’est pas anodin : il laisse supposer un continuum économique au nom duquel les acquis sociaux issus du passé doivent faire place à un alignement sur les pratiques sociales les plus régressives.
Sur trois autres sujets, les ordonnances se mettent par ailleurs au service du vocabulaire patronal.
1/ Le mot pénibilité devient tabou et disparaît du Code du travail pour être remplacé par la périphrase « facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L4161-1 ». Cette évolution n’est que la face visible de l’iceberg, les ordonnances excluant désormais les quatre facteurs de pénibilité les plus courants de l’obligation qu’a l’employeur de déclarer et de suivre l'exposition des salariés. Alors que la prévention de la pénibilité constituait une contrepartie de l’allongement de l’âge de départ en retraite de 2014, il n’en est dorénavant plus question pour ces quatre facteurs : la pénibilité n’est traitée qu’après coup, via une visite médicale de fin de carrière, ce qui a été qualifié par certains syndicats de « droit à continuer d'abîmer la santé des travailleurs ».
2/ Il n’est désormais plus précisé que les représentants du personnel sont chargés de « veiller à l'observation des prescriptions légales » ; il serait évidemment inconvenant de souligner que le patronat se soustrait trop souvent à ses obligations légales... Mais que l’on se rassure, cette mission de veille reste indissociable du mandat des élus, notamment en matière de santé professionnelle. La loi est en effet structurée autour d’une affirmation première : l’employeur est responsable de la santé physique et mentale de ses salariés. À ce titre, il reste soumis à des obligations rigoureuses (évaluation des risques et « document unique » notamment), qui sont d’autant moins contournables qu’elles émanent de la directive européenne du 12 juin 1989 sur les principes fondamentaux de la protection des travailleurs.
3/ Les experts en santé, sécurité et conditions de travail sont dorénavant labellisé « experts en qualité du travail et de l'emploi », évolution en lien avec le point précédent. En effet, les employeurs cherchent à promouvoir le concept de qualité de vie au travail (QVT) pour mieux faire oublier celui de « santé au travail » et les responsabilités légales qui s’y rattachent. La QVT a suscité des espoirs et fait couler beaucoup d’encre. Comment pourrait-il en être autrement à une époque où les risques psychosociaux sévissent massivement ? Il n’empêche qu’elle s’apparente le plus souvent à un leurre : les représentants du personnel y consacrent du temps, pour finalement se rendre compte que l’obligation de négocier (prévue à l’article L2242-1 du Code du travail) n’est assortie pour l’employeur d’aucune autre obligation réelle.
En conclusion, il faut replacer l’ensemble des constats précédents dans un cadre plus général. Depuis de nombreuses années, le patronat utilise le vocabulaire comme une arme idéologique de premier plan. Souvenons-nous qu’avant 1998, le syndicat des employeurs s’appelait Conseil national du patronat français (CNPF). Excellente idée que de l’avoir rebaptisé Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : en apparence, les patrons n’existent plus ! Ainsi, lorsque que le gouvernement leur octroie une manne de 40 milliards par an, via le CICE, il peut sans encombre affirmer que ce cadeau est destiné aux entreprises et pas au patronat. Autre belle réussite de la novlangue imposée par le MEDEF : dans tous les médias, l’expression « partenaires sociaux » remplace l’expression « acteurs sociaux », ce qui ringardise par la même occasion le concept de lutte des classes. Heureusement, de nombreux syndicalistes continuent de considérer que le terme « partenaires » est réservé aux domaines de la sexualité, du jeu ou des affaires mais qu’il est inapproprié pour qualifier leur relation avec un employeur.
Trois ouvrages sur les IRP aux éditions Gereso :
CHSCT : les bonnes pratiques
Délégués du personel : les bonnes pratiques
Comité d'entreprise : les bonnes pratiques
Un quatrième, sur le CSE, paraîtra en avril 2018.
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le partenariat est-il réservé aux syndicats ?