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Le silence gouvernemental sur l’ESS impressionne, celui des instances de l’ESS aussi
À l’heure où sont écrites ces lignes, il semblerait que l’économie sociale et solidaire (ESS) retient son souffle. Un haut commissaire lui serait donné et ce serait Christophe Itier. Mais la nouvelle tarde à être confirmée. Cela confirme l’impression de désintérêt qu’ont montré le président et le gouvernement envers l’ESS.
Ni dans le discours épique et lyrique du premier, devant le parlement réuni en congrès à Versailles afin d’éclairer les orientations de son quinquennat, ni dans celui concis et énumératif du Premier Ministre devant l’Assemblée nationale, fixant la politique générale du gouvernement, il n’a été fait allusion à l’ESS.
Faut-il s’en étonner ou s’en émouvoir ?
Certes, Emmanuel Macron a évoqué la « charte de [son] action (…) fixée durant la campagne », durant laquelle l’ESS avait été mentionnée et pour laquelle une conduite politique avait été imaginée autour de quatre axes : libérer les énergies, encourager l’innovation sociale, soutenir le modèle associatif, encourager la finance solidaire. Certes, à Versailles, le Président de la République proposait « l’engagement pour un lien fraternel », souhaitant que ce quinquennat permette « de prendre la vraie mesure de cette question (…) en associant l’État, les collectivités, les associations, les fondations, l’ensemble des Français engagés, bien souvent bénévoles, toutes les entités qui, privées ou publiques, œuvrent à l’intérêt général et pour la dignité des gens ».
Et d’ajouter : « nous devons substituer à l’idée d’aide sociale, à la charité publique, aux dispositifs parcellaires, une vrai politique de l’inclusion de tous ».
On y trouve l’écho de la définition des entreprises de l’ESS que le candidat Emmanuel Macron posait dans son programme : « elles combattent l’illettrisme et le décrochage scolaire, soutiennent l'autonomie des personnes âgées et des handicapés, luttent contre l’exclusion et le chômage, développent l’économie circulaire et promeuvent l’économie du partage grâce au numérique ».
Tournées vers la prévention des risques sociaux, elles innovent, expérimentent et portent des solutions concrètes sur les territoires, aux côtés des acteurs économiques « classiques » et des pouvoirs publics. Mais un écho affaiblit car les mots « économie sociale et solidaire » ne résonnent pas. Surtout les implications « économiques et entrepreneuriaux » de l’ESS ne paraissent pas pris en compte : cet « entreprendre autrement » qui répond à des aspirations croissantes notamment chez les jeunes.
Pour l’ESS, la messe semble donc dite. Elle n’est pas reconnue comme telle ou, si elle l’est, c’est du bout des lèvres. Les missions de certains de ses membres sont réaffirmées, surtout dans la réparation sociale et dans les actions d’inclusion mais le coup de grâce à l’institutionnalisation du secteur, manifestée dans les article 4, 5 et 6 de la loi du 31 juillet 2014, a été donné quand le Président de la République a annoncé sa réforme du Conseil économique, social et environnemental, faisant de cette assemblée « le carrefour des consultations publiques et le seul (…) Nous en ferons l’instance unique de consultation prévue par tous les textes ».
En effet, cela signifie-t-il la fin du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire ? Ou celle du Haut conseil de la vie associative ? L’ESS serait-elle condamnée à reposer en paix derrière les colonnes du Palais d’Iéna ?
Pouvait-on alors espérer dans le discours du Premier Ministre des atténuations de cette charge implicite contre l’institution-nalisation de l’ESS ?
Quand il en est venu à évoquer les priorités d’actions de son ministre d’État, le chef du gouvernement n'a mentionné que « la transition écologique ». Silence sur la transition solidaire que l’on imaginait déjà comme la nouvelle arche d’alliance de l’ESS !
Les décrets d’attributions des membres de son gouvernement accordent la responsabilité des politiques de développement de l’économie sociale et solidaire à son ministre de la Transition écologique et solidaire, en lien avec sa ministre des Solidarités et de la Santé. Mais la vie associative paraît être à l’Éducation nationale. L’ESS s’y trouve dispersée et, comme telle, marginalisée : Hulot, Buszin, Lemaire, Blanquer, c’est un conseil de famille difficile à réunir !
Le plus grave, c’est que l’on peut voir une des réponses possibles à ce silence dans cette autre assertion du Premier Ministre quand il évoque la situation financière de la France : « Nous devrons choisir de remettre en cause certaines missions (…) Aucun ministère, aucun opérateur, aucune niche fiscale ne sera sanctuarisé ».
Les politiques publiques de l’ESS n’ont peut-être plus leur place dans les priorités gouvernementales.
C’est dans cette toile de fond de ces interventions sur le cadrage des politiques publiques qu’il convient peut-être de trouver la source du silence, en se demandant si les politiques publiques de l’ESS n’ont peut-être plus leur place dans les priorités gouvernementales et qu’il convient de ne pas se faire d’illusion sur les organisations prochaines.
Le Haut Commissaire n’est pas un Haut commissariat.
Le Haut Commissaire dont il est question, au-delà de la personne de Christophe Itier (qui a été président du MOUVES, le mouvement de l’entrepreneuriat dit social, ce qui laisse augurer d’un tropisme annoncé pour cet entrepreneuriat, mais qui a aussi été un écarté du suffrage, s’étant présenté dans le Nord où il a été battu par un insoumis) n’est pas un Haut commissariat.
On voit bien l’icône, on peut légitimement s’interroger sur les moyens, l’administration pour traiter d’un secteur qui représente selon les chiffres magiques trop fréquemment mis en avant 8 % du PIB et emploie près de 2 millions de salariés, auxquels il faudrait ajouter les adhérents engagés, les bénévoles….
Ces chiffres font de l’ESS, au-delà de sa diversité, un « secteur » plus important que d’autres qui voient un ministère de plein exercice, des budgets et des moyens humains spécifiques.
Le silence gouvernemental sur l’ESS impressionne. Celui des instances de l’ESS aussi. Ce serait pourtant à l’ESS, à ses acteurs institutionnels et à ses entreprises de faire du bruit.
En changeant de logiciel revendicatif. La bataille redevient culturelle. L’agir ensemble doit reprendre la main face à la financiarisation des valeurs illustrée par le passage un temps à Bercy.
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