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« La souffrance au travail. Osons le dire »
Si je vous dis « souffrances au travail », que me répondez-vous ? Paul, un voisin, m’a tout de suite répondu : « souffrance physique ou morale, la souffrance morale peut être pire que la douleur physique. Ne pas être reconnu, c’est dur ». Paul a travaillé en atelier, il a même été blessé au travail, gravement, cela l’a marqué pour toute sa vie professionnelle et pourtant ce n’est pas de cette blessure dont il parle. Dans son travail, chacun y met un peu de lui-même.
Chacun veut pouvoir dire aux autres et d’abord à lui-même : « regarde, c’est moi qui l’ai
fait, j’étais dans l’équipe qui l’a conçu, assemblé, bâti, construit, inventé, pensé, que sais-
je… ».
Mais ces trente dernières années, les conditions de travail ont été bouleversées et déshumanisées.
- Ces bouleversements, je les ai vécus comme salarié dans une entreprise de fabrication de systèmes d’imagerie médicale, comme élu du personnel dans celle-ci et syndicaliste membre d’un syndicat inter-entreprises de la métallurgie.
Cette entreprise était une filiale d’un groupe industriel nationalisé en 1981-1982, puis privatisé pour pouvoir céder cette filiale à une multinationale nord-américaine. Dix plans de restructurations en dix ans ont suivi.
Cette multinationale, General Electric, était sous la conduite de son PDG, Jack Welch,
précurseur dans la politique de réduction systématique des coûts, de flexibilité et de « création de valeur » pour les actionnaires.
Déjà en 1987, ce PDG avait conquis auprès des syndiqués de son pays le surnom de « Terminator », tant les suppressions d’emplois ont été nombreuses. J’ai vu l’introduction de l’individualisation des augmentations de salaire en 1984, d’abord pour les catégories de cadres supérieurs, puis l’individualisation a gagné, catégorie après catégorie, jusqu’à l’ouvrier.
Avec celle-ci, se sont développés les nouvelles méthodes de classification fondées sur celle des postes, telle la méthode Hay, et sur l’entretien individuel annuel.
L’individualisation a graduellement touché tous les éléments constitutifs du contrat de travail. Celle-ci et l’annualisation du temps de travail sont deux avancées patronales essentielles et à l’origine de l’augmentation de la productivité caractéristique de la deuxième moitié des années 1980 et des années 1990.
En tant que délégués, nous nous sommes heurtés aux nouveaux critères de gestion définis par les objectifs de marge et de retour sur investissement au compte des actionnaires et déterminés par eux à travers le comité de direction. L’externalisation des activités ouvrières mises en sous-traitance, le recours à l’intérim, la place grandissante des prestataires, la généralisation de la précarité, la perte de visibilité sur son futur ont généré de nouvelles sources de souffrances au travail, établi de nouveaux modèles d’entreprise flexibles et « compétitifs ».
Cette mise en œuvre du tryptique (dérégulation, dérèglementation, privatisation) a fait « tourner la roue dans l’autre sens ». Les salaires se sont effondrés pour l’immense majorité.
- Les conditions de travail dégradées, décrites par les témoignages recueillis dans « La souffrance au travail. Osons le dire » en sont la conséquence.
Le salaire « nul » est apparu. Celui avec lequel on ne peut pas vivre. Par mon activité, j’ai rencontré des ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, cadres du secteur privé, et des enseignants, employés du secteur public, ainsi que des hommes et des femmes immigrés, travaillant dans l'industrie et le secteur agricole. Attentif et à l’écoute de leurs propos, j’ai pu rassembler leurs témoignages.
- Le but de ce livre est simple : à partir de faits incontestables, contribuer à soulever l'indignation devant la situation faite à un nombre croissant d'hommes et de femmes de ce pays. S'ouvrant par une citation de Bertolt Bretcht sur les ouvriers oubliés, il met à jour pour tous ce que souvent chacun subit sans oser en parler. « Osons le dire » s’est ainsi imposé comme titre. Si chaque lecteur de ce livre se retrouve dans ses pages, alors ce travail sera réussi.
Car la situation est grave et très souvent méconnue des « élites » et des « autorités qui nous gouvernent. Fatigue, stress, surmenage, manque de considération et de reconnaissance, promesses d’augmentation et d’évolution non tenues reviennent le plus souvent dans les témoignages.
L’individualisation a remplacé le travail collectif. La mise en compétition des salariés a
chassé la solidarité déjà fragile. La réussite individuelle a été célébrée. L’exemplarité est
devenue une règle de gestion des personnels. La surcharge de travail est appelée « défi »,
« challenge ».
Les communiqués des directions générales au personnel vantent régulièrement les réalisations financières de l’entreprise. Dans cette ambiance, faire une remarque, émettre
un avis différent, faire preuve d’indépendance d’esprit est suspect. Les nouvelles méthodes de gestion engendrent une dureté et une déshumanisation des relations de travail. Ce phénomène est général. Pendant des années la majorité des personnes au travail confrontées à ce manque d’humanité se sont sentis isolées, se sont répétées « c’est un mauvais moment à passer ».
Comme le souligne Jean Le Garrec dans sa préface, il a fallu un siècle de luttes syndicales et de combats politiques pour encadrer les conditions de travail et protéger les salariés. Mais rien n’est jamais conquis durablement, tout est rapport de force syndical et politique.
Aujourd’hui, la domination totale de la finance rend l’action difficile, rude et dangereuse. La rapacité est devenue priorité. Guizot disait « enrichissez-vous». Il faudrait dire « goinfrez-vous ». La course au profit aboutit à une logique de création/destruction, création de capital par destruction d’emplois. Le marché détruit l’emploi. Osons le dire !
Ces quelques lignes auront-elles suscité l’intérêt pour ce livre ? Je l’espère. N’hésitez pas à faire connaitre ce livre et surtout par ce site d’information, à me transmettre vos remarques, critiques et témoignages.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia