Participatif
ACCÈS PUBLIC
11 / 03 / 2009 | 8 vues
Christian Kostrubala / Membre
Articles : 15
Inscrit(e) le 15 / 09 / 2008

La santé, nouvel enjeu des restructurations d’entreprises

Licenciements massifs, chômages techniques, emplois précaires : les perspectives 2009 pour l’emploi ont tout du champ de ruine, ou du film de guerre. Certains auront beau jeu d’affirmer que l’intérêt collectif doit se payer, parfois, de l’intérêt particulier. Mais les restructurations, telles qu’elles se pratiquent en Europe, provoquent souvent l’inverse de l’effet recherché. C’est du moins ce qu’affirment Thomas Kieselbach et Deborah Jeske, membres de l’institut de recherche en psychologie du travail et auteurs d’un rapport du projet MIRE. Lancé par le Fonds Social Européen, le projet, mené dans cinq pays (Belgique, France, Allemagne, Suède et Royaume-Uni) en collaboration avec plusieurs centres de recherche européens, cherche à ouvrir de nouvelles perspectives dans l’organisation des restructurations d’entreprise.

De bonnes raisons financières

Les chercheurs se sont penchés sur la question de la santé des employés qui subissent des restructurations. Pas de philanthropie là-dessous, ni d’indignation sur le coût humain de l’opération. Car c’est un calcul qu’ils proposent : à mettre dans la balance les économies en masse salariale et les coûts en dépense de santé que les restructurations entraînent, on s’aperçoit qu’il y a de bonnes raisons financières pour réformer la manière dont elles sont mises en œuvre.

  •   « Les employés épargnés par les licenciements sont aussi affectés : les coupes claires passées, ils souffrent souvent d’un sentiment d’insécurité et de stress accru, qui donne lieu à une baisse de leur efficacité. »


Car, telles qu’elles sont organisées, elles entraînent sur le moyen et le long terme des coûts supplémentaires en affectant la santé des employés. Aussi bien ceux qui partent, que ceux qui restent. Ceux qui partent, d’abord. La tendance des chômeurs à boire, fumer, manifester des troubles du sommeil et manquer d’exercice physique affecte leur santé, affirment les chercheurs : on observe chez eux des troubles du cœur, du système immunitaire, de la pression sanguine, du taux de cholestérol, etc. Les maladies psychosomatiques, qui sont souvent associées au chômage ou à un emploi précaire, pèsent en outre lourdement sur les budgets européens en sécurité sociale.

« maladie du survivant » Le licenciement et le chômage sont vus socialement comme un sujet de honte, et non comme l’effet d’une crise globale ou du développement d’une société, expliquent les chercheurs. Ce poids conduit ceux qui le subissent à une faible estime d’eux-mêmes et à une perte d’autonomie qui peut engendrer des troubles psychiques graves (dépression, anxiété, désespoir, résignation, apathie) ainsi qu’à une dégradation de ses liens familiaux et sociaux. Et plus on est âgé, pire c’est, insistent les auteurs du rapport : si le chômage des jeunes actifs est un accident de parcours possible, chez les personnes plus âgées il est vécu comme une honte.

Mais les employés épargnés par les licenciements sont aussi affectés : les coupes claires passées, ils souffrent souvent d’un sentiment d’insécurité et de stress accru, qui donne lieu à une baisse de leur efficacité. Baisse de la loyauté vis-à-vis de l’entreprise, de la prise de risque, de l’implication personnelle dans l’entreprise et son évolution : autant de symptômes de ce qui est souvent décrit comme une « maladie du survivant ».

Approche individualisée de la santé au travail

Les entreprises auraient tout à gagner, par conséquent, à introduire la santé de leurs employés au cœur de leurs préoccupations, notamment quand elles s’engagent dans une réforme de leur organisation.

Or le premier constat des chercheurs est justement que les questions de santé sont dans l’entreprise ou bien réduites, ou bien individualisées. Réduites d’abord, à la seule question de la santé physique et des accidents de travail. On admet la dangerosité des chaînes de montage, pas celle d’un stress ou d’un sentiment d’insécurité élevé. Individualisées, ensuite : si un employé va mal, c’est à la singularité de son cas que son malaise est ramené. Voir sa défaillance individuelle comme le symptôme d’un dysfonctionnement plus général n’est pas de mise.

Parvenir à considérer la restructuration d’une manière dynamique, comme le moment d’un processus qui se déroule sur le long terme.
Il s’agit donc de changer de regard sur les restructurations d’une part, la santé d’autre part. Les entreprises, expliquent Thomas Kieselbach et Deborah Jeske, doivent parvenir à considérer la restructuration d’une manière dynamique, comme le moment d’un processus qui se déroule sur le long terme, et cessent de  le voir comme un accident ou une crise imprévue. Pourquoi ?

Parce qu’une telle conception donne lieu à une crise du management, expliquent les auteurs. De la même façon, la promotion de la santé doit être intégrée à l’organisation même de l’entreprise et à son développement. La prendre au sérieux au cours d’un processus de restructuration en adaptant celui-ci est dans l’intérêt tant des employés que de l’entreprise elle-même.   Et promouvoir une nouvelle prise en compte de la santé dans le monde du travail au cours de restructurations n’est pas impossible : Thomas Kieselbach et Deborah Jeske exposent dans leur rapport plusieurs initiatives intelligentes allant dans ce sens. L’exemple de l’une d’entre elles permet d’y voir plus clair.

  • A Ericsson, en Suède, d’importantes restructurations ont eu lieu en 2001. En 2000, l’entreprise décide de passer de 50 000 à 41 000 employés. Les syndicats négocient le lancement d’un « forum du futur », qui se fixait pour but de trouver pour chaque employé une solution, par des programmes de formation et d’aide à la recherche d’un nouvel emploi. L’opération pilote menée entre août 1999 et août 2001 pour 200 employés est un succès pour 90 % d’entre eux, et les organisations décident de poursuivre le programme. Commencé comme une simple opération pour promouvoir le développement personnel des salariés, il donne lieu, dans les années suivantes, à la prise en charge de problèmes physiques et psychologiques auxquels ils n’étaient pas préparés. Un nouveau groupe d’experts, composés de psychologues… et de prêtres, est engagé pour aider sur ces sujets, là où les consultants chargés de réorientés les employés ne suffisaient plus. Là encore, l’opération est un succès. Et du côté de la direction de l’entreprise aussi on y trouve son compte : le directeur des ressources humaines de Ericsson pour la Suède, Carl-Gustav Leinar, soulignait à l’époque que grâce au « forum du futur » Ericsson conservait son image de « bon patron », importante dans la perspective d’un recrutement d’excellence, et que les employés maintenus dans leur poste se montraient plus rassurés et produisaient un meilleur travail.

Cet exemple, ajouté à ceux qui, en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Belgique, ont été étudiés, permettent de souligner les bénéfices d’une politique managériale attentive aux questions de santé. Qu’il s’agisse de lancer des groupes de travail pour que les employés licenciés gardent un bon état de santé, d’anticiper les conséquences d’une restructuration sur le stress des employés, de promouvoir en amont leur formation pour assurer leur adaptation à l’évolution de l’entreprise ou de les aider dans la phase post-licenciement, les recommandations du rapport vont dans le même sens. Donner une nouvelle place à la santé psychique et physique des personnes dans le monde du travail passe d’abord par un changement des pratiques courantes de management, qui laissent généralement de côté ces aspects lors des processus de restructuration. Ensuite par l’établissement, dans l’Union Européenne d’une codification et certification communes des programmes de formation destinés aux employés. Enfin par l’instauration d’obligations légales afin d’assurer la généralisation de ces réformes.

Prémisses d’une révolution dans les pratiques européennes ? Le chemin est encore long. Mais le pas décisif ne sera franchi que lorsque les entreprises elles-mêmes y auront trouvé et compris ce qu’elles avaient à y gagner.

Pas encore de commentaires