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La réduction des déficits publics : quelle participation pour les collectivités locales ?
Sollicités en octobre 2013, par le Président de la République (sur la maîtrise collective des finances publiques), Martin Malvy (ancien ministre et président du conseil régional de Midi-Pyrénées) et Alain Lambert (également ancien ministre et président du conseil général de l’Orne) ont rendu leur rapport, le 16 avril 2014 (1).
Il s’agissait, pour les deux élus locaux, assisté des trois grands corps d’inspection (finances, administration et affaires sociales) de répondre à la commande du Président de la République : « bâtir avec les collectivités un pacte de gouvernance financier durable, s’inscrivant dans la nouvelle étape de décentralisation et dans le prolongement du pacte de confiance et de responsabilité établi le 16 juillet 2013 ».
Le contexte de ce travail est désormais bien connu et largement partagé : 40 ans de politique budgétaire reposant sur l’emprunt plutôt que l’équilibre pour un résultat préoccupant : une dette proche des 2 000 milliards d’euros (plus de 90 % du PIB), soit 30 000 euros par habitant ; les seuls intérêts de la dette représentant plus de 50 milliards chaque année (2).
Dans ces conditions, la réduction des déficits s’est progressivement invitée au cœur des débats publics et le secteur public dans son ensemble est concerné par les différents plans d’économies successifs. On conserve ainsi en mémoire les récents objectifs annoncés par le Premier Ministre qui a présenté, le 16 avril dernier, les principales mesures d’un plan destiné à réaliser 50 milliards d’économies sur les dépenses publiques entre 2015 et 2017 (3). « Équitablement répartis entre toutes les sources de dépenses publiques », la feuille de route prévoit :
- 18 milliards d’euros d’économies de la part de l’État (maîtrise des dépenses de fonctionnement des ministères, mutualisation des fonctions de soutien, gel du point de la fonction publique…) ;
- 10 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie (meilleure organisation des parcours de soins, amélioration de la dépense de médicaments…) ;
- 11 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de protection sociale ;
- 11 milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales (suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions, réforme de la dotation globale de fonctionnement…).
Le premier rapport thématique annuel de la Cour des Comptes consacré aux finances publiques locales en octobre 2013 témoigne de cette évolution. Au-delà d’une synthèse utile de la situation des finances locales, ce travail se veut « un nouvel outil au service du redressement des finances publiques (4) ».
C’est dire, dans cette perspective, toute la pertinence du rapport présenté par les deux anciens ministres. Intitulé « Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance mutuelle et l’engagement de chacun », il se propose « d’élaborer un cadre simplifié et plus efficace de gouvernance pour les collectivités territoriales.
Ce dernier doit porter tant sur les modalités de prise de décision que sur l’organisation des structures et les politiques partagées avec les autres administrations ».
Solidarité, transparence, lisibilité sous-tendent les cinquante-trois propositions fondatrices de ce nouveau cadre autour de quatre axes majeurs :
- la clarification des objectifs fixés aux collectivités ;
- la clarification des rôles des différents niveaux territoriaux ;
- l’amélioration des outils financiers des collectivités territoriales ;
- la mise en œuvre d’une gouvernance financière partagée.
Il s’agit d’un préalable indispensable à la trajectoire souhaitée par les auteurs : restaurer la confiance pour associer l’ensemble des acteurs publics à l’indispensable effort budgétaire. Le défi budgétaire concerne en effet tous les échelons de responsabilité qu’il est donc indispensable d’associer : « seul un diagnostic partagé peut en effet légitimer une contrainte accrue sur les finances des collectivités dans une logique de responsabilité et de partage collectif des efforts » (p. 47).
Les auteurs appellent ainsi à jeter les bases d’un véritable « dialogue national des territoires » (p. 9) qu’ils abordent de manière particulièrement pragmatique sans occulter ni les erreurs d’approche de l’État (trop souvent mathématiques), ni les dérives des acteurs locaux.
Une bouffée de clairvoyance sur une matière où, le plus souvent, la redondance de termes minutieusement choisis se limite à l’exercice de style.
Cette audace se poursuit dans les recettes que les auteurs proposent pour contraindre les collectivités locales à l’effort général et que l’on peut regrouper autour de deux grands axes :
- une clarification des perspectives pour chaque échelon territorial ;
- et de nouveaux outils financiers, pour un meilleur pilotage sécurisé de la dépense des collectivités.
Une rationalisation du mille-feuille territorial
La question de l’architecture territoriale française n’est pas nouvelle. L’actualité législative illustre la pertinence du sujet. Ce rapport tombe ainsi à point nommé pour revenir sur des thématiques connues d’une part (la clarification des compétences) mais échafauder d’autre part une approche originale du mille-feuille territorial.
La clarification des compétences. Vieux serpent de mer de la décentralisation, la clarification des compétences n’échappe pas à la critique des deux anciens ministres. Ils évoquent naturellement la problématique des doublons existants entre les collectivités en proposant de supprimer la clause de compétence générale pour les départements et les régions et de définir seulement un ou deux niveaux de collectivités pour chaque domaine de compétences.
Ces positions s’inscrivent à la suite de nombreuses réflexions sur cette clause générale de compétence, supprimée par le précédent gouvernement avant d’être réintroduite au début de l’actuel quinquennat (5).
Mais le rapport ne s’arrête pas en si bon chemin et ne limite pas son souci de clarification aux seules collectivités territoriales. Il déplore ainsi « l’imbrication des compétences et des financements entre État, administration de Sécurité sociale et collectivités territoriales ». Préconisant des mesures à la carte selon la nature des territoires, le rapport souligne que « la clarification doit commencer par l’État ». Celui-ci, même s’il ne paie plus beaucoup, continue en effet de peser sur la politique culturelle ou l’aide économique au niveau local, ce qui gêne l’action des collectivités.
La mission réclame donc le transfert aux conseils régionaux des compétences résiduelles de l’État dans plusieurs domaines : aides économiques, formation professionnelle, tourisme, sport, soutien au spectacle vivant… Ce faisant, les auteurs partagent les conclusions du rapport thématique de la Cour des Comptes de juillet 2013 pour lequel « l’État, uniforme dans son principe, est devenu protéiforme dans son organisation et dans son fonctionnement... Les étapes successives de décentralisation ont développé des formes de cogestion dans de nombreux domaines, ce qui a conduit à une perte de lisibilité et à une dilution des responsabilités » (6).
Enfin et toujours en vue de limiter l’enchevêtrement des compétences et structures locales, le rapport propose de réduire le nombre de syndicats de communes et de renforcer l’échelon intercommunal, après le basculement progressif de la dotation globale de fonctionnement allouée aux communes. Pour encourager le regroupement des compétences communales au sein des intercommunalités, les auteurs proposent de définir un seuil minimal d’intégration de 60 % à un horizon de six ans.
C’est, en quelque sorte, la suite logique de ce que d’aucuns avaient qualifié d’intercommunalité à marche forcée lors de la réforme territoriale du 16 décembre 2010 (7).
L’avenir du département. Les deux élus locaux tranchent également sur une question récurrente ces dernières années : le sort des départements (8). Alain Lambert avait déjà souligné l’apport de cet échelon territorial, notamment en matière sociale (9). Dans cette droite ligne, le présent rapport ne préconise pas une suppression pure et simple des départements à horizon plus ou moins lointain. Il opère une juste distinction entre les départements urbains et la cinquantaine de départements ruraux et préconise, pour ces derniers, une fédération des intercommunalités.
En milieu rural, le département pourrait ainsi exercer des compétences de proximité pour le compte de la région et jouer un rôle de « facilitateur » en quelque sorte en étant le pivot de la mutualisation de certaines compétences communales et intercommunales. Dans les territoires urbains en revanche, les départements pourraient fusionner leurs compétences avec celles des agglomérations. Par ailleurs, afin d’assurer l’équilibre financier des départements toujours menacé par le financement des prestations sociales, la mission Malvy-Lambert met en avant la logique du prescripteur-payeur.
Selon elle, soit les départements qui distribuent ont la main sur la modulation des aides ou sur l’expérimentation et exercent ainsi une véritable compétence décentralisée, soit il faut re-centraliser cette compétence en déléguant aux départements le rôle de simple guichet de l’État en recevant des dotations à l’euro près.
Le redécoupage des régions. Sans avancer ou devancer l’actuel débat législatif sur le nombre de régions françaises, le rapport estime indispensable de s’assurer que les régions disposent d’une taille critique suffisante afin que leurs compétences s’exercent de manière pertinente et contribuent à résorber les déséquilibres.
De nouveaux outils financiers
C’est peut être sur ce second grand thème du rapport que les auteurs innovent le plus. Ils envisagent deux séries d’outils :
- des outils collectifs destinés à garantir nos engagements européens et inspirés des pratiques de nos voisins ;
- des outils techniques jouant leur rôle au niveau de chaque collectivité.
Un pacte volontaire individualisé en forme de bonus-malus. Parmi les cinquante trois propositions du rapport, celle consistant à offrir aux grandes collectivités (régions, départements et principales agglomérations comptant 200 000 habitants, soit 60 % des dépenses de l’ensemble des collectivités) un « pacte volontaire individualisé » est peut-être la plus novatrice. Il s’agit d’un pacte triennal qui garantirait à chaque signataire une dotation de base en cohérence avec la diminution des concours de l’État.
Un donnant-donnant puisque ce document inscrirait l’évolution minimale de la dotation globale de fonctionnement sur trois ans, la compensation des décisions de l’État et l’évolution des dépenses, prélèvements, déficits et endettements, ainsi que les fusions ou regroupements de collectivités. En échange, les collectivités qui signeraient auraient droit à une bonification de dotations.
En revanche, celles qui ne concluraient pas de pacte avec l’État se verraient imposer, pour le bloc communal, un cadre plus strict pour augmenter les impôts et pour toutes, un tour de vis indirect sur les dotations. Un mécanisme inédit de bonus-malus bienvenu dans un domaine où l’indispensable péréquation laisse parfois un sentiment de prime à la mauvaise gestion.
Dans le même esprit, les auteurs recommandent de « renforcer les règles de plafonnement de taux des impôts communaux » pour éviter que les communes ne compensent le manque à gagner de l’État par une augmentation des taxes sur lesquelles elles disposent d’un levier financier.
Une loi financière. Le rapport propose de formaliser dans une loi financière les évolutions des dotations de l’État et les perspectives d’évolution des principales masses budgétaires des collectivités. Aujourd’hui, les budgets de l’État et de la Sécurité sociale sont gravés dans la loi, mais pas ceux des collectivités. Ce dispositif permettrait d’y remédier, sans avoir la même portée, ce qui éviterait le risque d’inconstitutionnalité d’un tel dispositif. En contrepartie, les collectivités pourraient être associées au pacte de stabilité.
Des outils locaux. Les auteurs appellent de leurs vœux une plus grande lisibilité des budgets locaux, non seulement des collectivités en tant que telles, mais également de leurs satellites.
Pour répondre à cette exigence démocratique, les propositions ne manquent pas : inscrire dans la loi l’obligation de présenter à la délibération de l’assemblée et aux citoyens locaux : un plan de mandature ; des données précises quant à la situation financière de la collectivité sur la base d’un tableau de bord des indicateurs de gestion ; une programmation pluriannuelle actualisée des investissements, un recensement exhaustif des engagements hors bilan et une présentation des structures satellites de la collectivité. Les auteurs ne sont d’ailleurs guère tendres avec ces derniers et militent pour une ré-internalisation des services confiés à ces structures qui, il est vrai, présentent nombre d’avantages, au premier rang desquels figure, pour certaines, la possibilité de s’absoudre des règles de recrutement et de salaires qui encadrent la fonction publique…
Aujourd’hui, en matière de consolidation des comptes locaux, il n'existe qu’une seule obligation formulée par le code général des collectivités territoriales : effectuer la somme des résultats des différents budgets annexes avec le résultat prévisionnel inscrit au budget principal de la collectivité.
Ces dispositions imposent en outre aux collectivités les plus importantes (collectivités de plus de 3 500 habitants) d’annexer à leur budget des informations comptables et financières relatives à leurs principaux satellites et partenaires.
Ce regroupement d’informations ne constitue cependant pas une véritable consolidation comptable, comme les entreprises la pratiquent. Les deux auteurs militent ainsi en faveur de l’établissement de véritables comptes consolidés d’un « groupe local », couvrant l’ensemble des budgets d’une collectivité et donnant ainsi une image réelle et fidèle. Il suffirait ici d’adapter les techniques du plan comptable général aux spécificités du secteur public local.
Cette idée présente, il est vrai, nombre d’avantages en fournissant :
- des éléments pour éclairer l’avenir et aider à la prise de décision ;
- des outils concrets pour faciliter la gestion ;
- une transparence financière accrue vis-à-vis des partenaires (établissements bancaires, délégataires de service public, par exemple) ;
- un retour d’information lisible et pertinent pour le citoyen.
Elle a également ses défauts. La Direction générale des collectivités locales a ainsi déjà eu l’occasion de souligner qu’une telle méthode suppose la définition d’une entité consolidante, qui se définit en principe comme étant celle qui « contrôle » les entités consolidées. Or, tant sur le plan juridique que dans les faits, il n’existe pas de hiérarchie entre les différentes catégories de collectivités.
Il est dès lors délicat d’inclure un EPCI (ou une fraction de ses données comptables) au sein d’un groupe « ville », de même que formaliser un groupe intercommunal absorbant les communes membres. La consolidation se limiterait dès lors au périmètre d’une seule collectivité et complèterait utilement la technique de l’agrégation territorialisée, c’est-à-dire l’addition de certaines données comptables et financières de plusieurs niveaux de collectivités, correspondant à un territoire précis, déduction faite des flux croisés entre ces entités.
Même si elle utilise plusieurs techniques de la consolidation, l’agrégation met sur un même plan les différentes collectivités présentes sur le territoire retenu.
Par ailleurs, contrairement à l’exercice de consolidation, il s’agit d’un travail modulaire, fonction des souhaits et besoins, par nature différents, d'un site à l’autre.
Enfin, quelques règles d’une gestion en ci-devant bon père de famille, méritent toute l’attention des élus locaux : transmission à l’assemblée délibérante d’une étude d’impact socio-économique sur les projets d’investissement significatifs, renforcement des obligations de provisionnement des risques sur les structures satellites des collectivités, provisionnement d’un an de fonctionnement d’un équipement lors du vote du budget…
(1). JCP A 2014, act. 363.
(2). R. Lanneau, « L’âge d’or des déficits publics. La démocratie en danger », Gestion & Finances publiques, n° 2, 2014.
(3). JCP A 2014, act. 368.
(4). B. Fleury, « Premier rapport thématique annuel de la Cour des Comptes consacrés aux finances publiques locales. Un nouvel outil au service du redressement des finances publiques », Gestion & Finances publiques, n° 2, 2014, p. 74 et s.
(5). J.-M. Pontier, Le vrai-faux retour de la clause de compétence générale, JCP A 2014, 2047.
(6). L’organisation territoriale de l’État, juillet 2013, p. 225. Sur ce document, voir H. Pauliat, La Cour des comptes et la désorganisation territoriale de l’État, JCP A 2013, 638.
(7). J.-F. Brisson, La loi du 16 décembre 2010 portant réforme territoriale ou le droit des collectivités territoriales en miettes, Dr. Adm. 2011, 5.
(8). Pour une bonne synthèse sur cette question, voir Y. Luchaire, Quel avenir pour le département ?, JCP A 2012, 2261.
(9). Les rapports entre l’État et les collectivités locales, rapport du groupe de travail présidé par Alain Lambert, 2007, p. 3, 8.