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12 / 06 / 2012 | 11 vues
Denis Garnier / Membre
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« La folie évaluation », fabrique de servitude

La folie évaluation : le titre est celui d’un ouvrage collectif qui illustre « les nouvelles fabriques de la servitude » (éditions Mille et une nuits).

Le contenu de cet article est donc directement inspiré de cet excellent ouvrage qui complète celui de Christophe Dejours, L’évaluation professionnelle à l’épreuve du réel (éditions INRA).

Des lectures à l’adresse de tous les cadres et décideurs pour valider la qualité de travail et  pour ne plus mesurer le degré de servitude des travailleurs.

L’évaluation est chronophage

L’évaluation détourne à son profit un temps considérable qui ne peut être consacré au travail.

« Un chef de service de secteur psychiatrique relate qu’une simple auto-évaluation, administrativement incontournable, a mobilisé le quart du personnel pendant 16 heures, à raison de 8 réunions de 2 heures afin de remplir une grille référentielle préétablie de surcroît non adapté à la psychiatrie ».

L’évaluation est très coûteuse

 

Ainsi, dans le système le plus évalué du monde (les États-Unis), les dépenses administratives d’évaluation absorbent près du tiers (31 %) des dépenses de santé. Si l’on transpose le résultat de ces études (effectuées en 2003 par la Harvard Medical School) à la France, on pourrait imaginer que 300 000 emplois hospitaliers seraient détournés de leur activité principale pour participer à toute sorte d’évaluation. Nous ne sommes pas aux États-Unis même si la folie de l’évaluation touche tous les secteurs d’activité et tend à se développer.

Professionnelle ou accréditante, elle est contestable

 

Les plus connues à l’hôpital sont, la démarche d’accréditation menée par la Haute Autorité de Santé et l’évaluation professionnelle du million de ses agents et médecins menée par toutes les hiérarchies.

L’une et l’autre présentent des aspects contestables.

Lorsque la Haute Autorité de Santé découvre par notre fait les conditions de travail du personnel hospitalier, elle ne peut que douter de la pertinence de l’accréditation dans un tel contexte de misère sociale. Une fois la visite d’accréditation passée, le quotidien reprend sa place.

En revanche, le fait d’instaurer le respect de bonnes pratiques faisant l’objet d’un consensus scientifique ne peut être contesté en matière de santé. Encore faut-il que la volonté de qualité chasse la recherche permanente de responsabilité, voire de culpabilité.

Concernant l’évaluation professionnelle appréciée par le fameux entretien individuel imposé par le précédent gouvernement, elle est tout aussi chronophage et aléatoire.

Un million d’agents pendant une heure avec au minimum un cadre, cela représente 2 millions d’heures qui ne sont plus consacrées au travail. Si l’on ajoute à cela le temps passé à la rédaction, l’impression, la communication, la contestation etc., ce chiffre peut largement être doublé.

L’évaluation professionnelle est par essence ségrégative. Elle produit des classements d’individus, elle désigne les meilleurs et stigmatise implicitement les autres. Elle instaure une compétition permanente entre les institutions, les équipes et les professionnels. Elle porte atteinte au lien social. Rien de mieux que l’évaluation pour miner la conscience syndicale, affirment ces médecins, professeurs d’université.

 
Pour quel bénéfice ?

  • L’accréditation permet-elle de mieux soigner les gens ?
  • L’évaluation professionnelle permet-elle l’amélioration de la qualité du travail ?
  • Est-ce bien l’objectif poursuivi ?

L’évaluation en fait, génère un idéal inaccessible. Le moindre coût pour l’efficacité maximale. Même le bénévolat expert ne peut complètement la satisfaire.

C’est au moment où toutes les dépenses sont compressées que des emplois sont supprimés, non pour répondre à une réduction d’activité mais pour communier avec la religion de réduction des dépenses, que l’évaluation bat son plein.

« L’évaluation telle qu’elle se pratique aujourd’hui consacre cette révolution conservatrice qui, comme Pierre Bourdieu n’a cessé de le dire, se réclame de la raison, de la science, de la gestion du pragmatisme pour justifier le démantèlement des services publics, le massacre de l’État social, la liquidation des acquis, la destitution des métiers, de l’amour du travail bien fait. »

Ce ne serait pas grave si cet engouement pour la recherche d’un apparent meilleur, permettait d’améliorer les pratiques et d’optimiser les résultats.

Mais nous n’en sommes pas là, loin s’en faut.

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